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Un triangle de Weimar amer et divisé (maj)

(BRUXELLES2) Le triangle de Weimar – c'est-à-dire la Pologne, l’Allemagne, la France – n’a de triangle que le nom. On pourrait plutôt parler d’une construction géométrique de lignes entrecroisées qui, si elles partent du même point, divergent ensuite. On ne peut certes pas parler d’opposition frontale. Les trois partenaires partagent, à peu près, le constat — la nécessité de renforcer la politique européenne de défense et de sécurité —, les objectifs à long terme — comme un quartier général commun ou des battlegroups plus effectifs —. Mais c’est à peu près tout. Sur les priorités à court terme, il est difficile cependant de trouver un point commun.

Trois monologues

Quand on réunit autour d'une table des représentants polonais, français et allemand, on a ainsi l’impression d'assister trois monologues plutôt que d’un dialogue trilatéral. Pour résumer, je pourrais dire que Paris est tout affairé à ses amours d’adolescent avec Londres et à se voir considérer par Washington comme le bon élève actif. Berlin fait un travail introspectif et, sous l’impulsion de son ministre des Affaires étrangères, Westerwelle, retrouve quelques accents d’un pacifisme intransigeant qu’on croyait appartenir au passé. Tandis que Varsovie craint de rester tout seul sur son front est. Le fossé semble cependant particulièrement plus important entre la France et ses deux autres partenaires qu’entre ceux-ci.

Au-delà du manque de dialogue des responsables politiques des trois pays, il existe effectivement des préoccupations nationales divergentes, que constatent les chercheurs. La France – explique un chercheur de l’IFRI – est préoccupée par le « désarmement structurel, sa position sur la scène internationale et son influence ». Pour elle, l’arc de crise va du Sahel au Pakistan en passant par le Golfe Persique. L’Allemagne, en revanche, est plus axée sur la « prévention de crises, le multilatéralisme efficace », le respect de la Charte des Nations-Unies, les outils civils de la PSDC, comme le souligne un expert allemand de la Défense. Pour la Pologne, « la présence américaine en Pologne (Nb : avec les Patriot) est très importante (…) les « Etats-Unis présentent une garantie plus sûre pour nous que l’Union européenne ». Comme le remarque un chercheur du SWP (l’institut allemand pour les affaires de sécurité et internationales), il y a une « baisse d’ambition importante de l’Allemagne et de la France également (comme du Royaume-Uni) ». Constat largement partagé : le manque une réelle volonté politique. « Nous manquons au niveau de l’UE, d’un vrai leadership, d’une personnalité autonome capable de dire à l’opinion publique certaines vérités ».

Approche Civilo-militaire ou synergie civile et militaire

Si tout le monde semble d’accord sur la nécessité de développer une composante civile à l’action européenne, il y a des divergences sur la mise en pratique de cette idée. La proposition allemande d’ajouter une notion civile aux battlegroups n’a pas vraiment été retenue. Idée que soutiennent pourtant les Polonais, « Il faut concevoir un battlegroup Plus, avec une composante civile prévue depuis le début ». Pour les Français, officiels comme chercheurs, il faut d’abord résoudre la question de l’usage de la force. Le fait par exemple qu’un soldat allemand puisse être tenu pour responsable devant un tribunal civil pour certains actes commis en opération est difficilement concevable.

Trop de « pooling and sharing » tue le pooling and sharing

« Le temps passe et nous ne suivons pas » explique notre chercheur allemand. « 300 projets sont actuellement évalués à l’agence européenne de défense. Mais il n’y a que 7 personnes à l’agence européenne de défense (deux permanents et cinq experts des Etats membres). A ce train-là, ils auront besoin de 5 ou 6 ans pour évaluer le tout. » Et il sera trop tard. « Il faudrait définir 10 projets concrets à mener dans les années à venir ».

Le coup de froid de l’accord franco-britannique

L’accord franco-britannique a jeté un froid supplémentaire sur une coopération qui peinait à trouver ses marques. Bien que les représentants français défendent sa valeur « d’exemple » pour les autres, son caractère ouvert à d’autres coopérations… ils n’ont pas vraiment pu convaincre. Chacun connaît les tenants et aboutissants de cette coopération, centrée sur l’instrument nucléaire. Et il paraît difficile de se joindre à ce couple.

Les Allemands sont particulièrement déçus de ne pas voir leurs propositions d’implanter un centre commun de commandement de force (FHQ) à Ulm ou d’ajouter une once de civil aux actions militaires reprises et soutenues par les Français. Comme le remarque un officiel Allemand. « Nous avons toutes les raisons de tomber dans une dépression profonde »

Malgré tout…

Mais il y a des lueurs dans ce tableau assez noir. D’une part au niveau de la vision stratégique, il y a des analyses communes, comme la crainte des Etats faillis et la sécurité globale (partagée par l’Allemagne et la France). D’autre part, il y a la volonté d’arriver à des progrès « concrets ». Un mot répété à de nombreuses reprises par tous les participants. La nécessité d’engager les battlegroups est aussi vitale. « Les battlegroups ne doivent pas rester dans les casernes mais être déployés » a précisé un représentant du ministère polonais de la Défense. « La Libye aurait mérité une utilisation opérationnelle de ces groupements tactiques ».

Et il existe aussi des évolutions, les points de vue sont intéressants. On entend ainsi, coté polonais,  une ode (il n’y a pas d’autre mot) à l’opération anti-pirates Atalanta ou reconnaître qu’en Libye, la « France et Royaume-Uni ont bien agi et que l’Allemagne et la Pologne se sont trompés » (Nb : en ne soutenant pas dès le début le CNT). Et un responsable allemand célébrer la réussite d’EUTM Somalia. « On ne pensait pas que cela marcherait aussi bien ».

La Pologne a évolué

« Il y a un changement d’état d’esprit en Pologne » explique un responsable polonais à la Défense, sur les principales questions. « Est-ce que l’UE a besoin d’éléments militaires durs ? Nous disons : Oui, il faut des capacités militaires. Y a t il suffisamment d’instruments non militaires pour aller plus loin. Nous disons : Non. ». La Pologne défend aussi l’idée d’un OHQ : « Nous sommes maintenant un défenseur actif de la capacité de conduite, et estimons qu’elle est différente de ce qui peut se passer au SHAPE ».

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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