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K. Georgieva : Tripoli doit garantir l’accès aux organisations humanitaires

K. Georgieva en Tunisie (crédit : Commission européenne)

(BRUXELLES2) Kristalina Georgieva, la commissaire européenne chargée de l’Aide humanitaire, la réponse de crises et la coopération internationale, était en Tunisie le 3 mars, à la frontière de Ra’s Jedir avec la Libye. Nous avions convenu de nous reparler à son retour.

La Commissaire réitère son appel au régime libyen de Tripoli pour permettre un accès aux travailleurs humanitaires dans les zones qu'il contrôle. Elle n'a pas de mots assez durs pour le régime de Kadhafi qui ne respecte par les règles internationales. Mais elle estime que la solution des corridors humanitaires sous protection de la force n'est pas une solution, du moins actuellement. Il faut préserver la neutralité et l'impartialité des organisations humanitaires. En ce qui concerne l'arrivée des réfugiés coté tunisien, elle loue la rapidité de la réponse européenne. Mais elle appelle surtout à soutenir et rapatrier les habitants des pays les plus pauvres (Bengalis, Africains...). Et à être prêt à toute crise. La situation est très mouvante.

Vous avez appelé, vendredi, à avoir accès pour les travailleurs humanitaires à toutes les parties de Libye. Devez-vous réitérer cet appel aujourd’hui ?

Oui. Nous appelons encore, et encore, à avoir un accès humanitaire à toutes les parties de la Libye. Le CICR attend de l’autre côté de la frontière (en Tunisie). Il n’a pas encore reçu la permission d’entrer. Il faut maintenir la pression. C’est important. La Libye a des obligations internationales qu’elle doit respecter.

Vous n’avez pas accès actuellement partout  ?

Non. Ma grande préoccupation, c'est à l’ouest, du côté de Tripoli. Nous avons très peu d'informations. Et c’est très difficile d'y accéder. Même le Croissant rouge libyen, qui effectue un travail remarquable - il faut le souligner - a beaucoup de difficultés à accéder partout. Tripoli doit tout faire pour permettre l'action humanitaire de se déployer dans cette partie de la Libye (NB : l'ouest est majoritairement sous contrôle du régime libyen du Col. Kadhafi). La communauté internationale doit appuyer ce mouvement. J'espère que la mission envoyée par la Haute représentante et vice-présidente de la Commission, Catherine Ashton, reviendra avec de bonnes nouvelles.

Et du côté est de la Libye, sous contrôle du Conseil national libyen ?

Nous n’avons pas le même problème. C’est plus facile. Nous avons d'ailleurs une équipe de 2 personnes d’ECHO (l’Office européen d’aide humanitaire) à Benghazi, des équipes de MSF (Médecins sans frontières) et du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) sur place. Une évaluation a été menée sur les six hôpitaux de la ville. Et les conclusions sont rassurantes. La situation médicale est bien suivie. La situation humanitaire est, autant que possible, satisfaisante. Du moins, à l’heure d’aujourd’hui (dim. 6 mars matin). Il existe certains besoins comme les médicaments et produits médicaux. Mais pas de pénurie alimentaire. Cela pourrait cependant devenir un problème dans l'avenir si les conditions de sécurité se détérioraient. Les Nations-Unies ont ainsi dû suspendre certains ravitaillements du fait des actions militaires en cours (NB : un navire du PAM, le programme alimentaire mondial a ainsi dû faire demi-tour). Nous devons suivre la situation de très près.

"On ne doit pas foncer avec des convois militaires.
Nous briserions notre neutralité et notre impartialité en faisant cela"

N'est-il pas nécessaire d’instaurer des corridors humanitaires alors, au besoin avec l'appui militaire ?

La communauté humanitaire est vraiment sensible à ne pas imposer des voies d’accès humanitaires, des corridors, par la voie militaire. Nous devons penser à toutes les options. Mais nous devons rester très prudents. Il ne faut pas prendre de mesures contre-productives. Et penser au futur. Il y a maintenant clairement deux côtés. Si le conflit dure, nous aurons besoin d’un accès impartial et neutre. L’humanitaire ne peut pas être d’un côté plus que d’un autre. On ne doit pas foncer avec des convois militaires. Nous briserions notre neutralité et notre impartialité en faisant cela. Les humanitaires sont des professionnels ; s’ils ont besoin d’une protection militaire, ils le diront. Il n'est pas nécessaire de le dire à leur place.

Comment considérez-vous l'attitude du régime de Kadhafi ?

Là encore, je dois me placer du côté des principes humanitaires. C'est mon rôle. Et je suis vraiment en colère. Les règles internationales — accès aux organisations humanitaires, ne pas s’en prendre aux civils , … — doivent être respectées quelle que soit la cause de ce conflit. Un régime qui ne le ferait pas n’a sa place dans le monde du 21e siècle. Ce régime doit s’en aller.

Pour vous ce conflit, c'est une révolution, une guerre civile ?

C'est une situation de troubles (Unrest). Le peuple libyen se révolte et combat contre Kadhafi et un régime oppressif. Le CICR n’a pas encore qualifié ce conflit de guerre civile. Ils restent prudents.

A la frontière tunisienne,
"Il faut aider les plus vulnérables à rentrer chez eux"

Vous étiez à la frontière tunisienne jeudi, êtes-vous inquiète de la situation aujourd’hui avec ces milliers de réfugiés qui arrivent ?

Il faut dire avant tout que les autorités tunisiennes, le Croissant rouge tunisien, les organisations internationales (HCR/OIM...)  font un bon travail sur place. J’ai pu le vérifier. Très vite, ils ont mis sur pied des camps de transit à la frontière et à l’aéroport pour les réfugiés qui arrivent, ainsi que des hôpitaux mobiles. La seule préoccupation que nous avons est l’hygiène dans ces camps. Selon les informations que j’ai reçues de l’équipe d’ECHO et de la MIC qui sont sur place, ce n’est pas encore résolu. (...) Dans ce camp, il y a beaucoup de jeunes hommes, très peu de femmes et d’enfants. Nous avons mis en place des terrains de football pour qu’ils puissent dépenser leur énergie.

Quelle est la typologie des gens qui arrivent ?

La situation évolue très vite. Nous avons vu arriver les Tunisiens, puis les Egyptiens, et dans les derniers jours, des Bengali, très vulnérables, très pauvres, ayant peu d’affaires avec eux. Ils ont réellement besoin de nous, de la communauté internationale. Enfin, on voit arriver des Libyens, pas beaucoup de 1000 à 2000. Mais c’est nouveau. Et on peut s'attendre à ce qu'il y ait davantage qui arrivent dans les prochains jours.

La priorité maintenant à la frontière tunisienne ?

La grande priorité, c’est d’aider ceux qui ont le plus de mal à rentrer chez eux, de les rapatrier. Mais il importe aussi d’avoir des capacités en "stand by". On ne sait pas ce que demain nous réserve, où vont arriver d'autres réfugiés, ni quels profils ils auront, et où il faudra les rapatrier.

Le flux semble se tarir ces derniers jours . Votre explication ?

On voit sur les photos satellites, qu’il y a du côté libyen des rassemblements de personnes. Est-ce des camps pour éviter que les personnes quittent le territoire, ou simplement pour les rassembler avant le départ, … c’est difficile de le dire.

Comment estimez-vous la réponse européenne ?

Elle a été exceptionnellement généreuse. Les Etats membres ont répondu de façon exceptionnellement généreuse, en termes de moyens, en termes financiers. Cela a permis de mettre en place un pont aérien, de façon rapide. De nombreux Etats participent (la Belgique, la Bulgarie viennent d'envoyer des moyens). Je reviens de Genève, où les organisations internationales qui expriment leurs remerciements pour la façon dont l'Europe a répondu.

Qu’est-ce que vous frappe dans cette crise ?

Son côté imprévu et... imprévisible. Il faut donc savoir répondre rapidement à une situation très changeante. Il faut prépositionner des moyens. Nous devons, par exemple, nous attendre à des arrivées côté égyptien si la crise s’aggrave dans l'est.

NB : Interview réalisée par téléphone dimanche 6 mars au matin
(date et heure sont importants dans ce contexte où les informations sont très mouvantes)

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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