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Un certain leurre démocratique

La bannière déployée sur la Commission européenne. "Cette fois c'est différent" Un rien provocateur ? (crédit : © NGV / B2)
La bannière déployée sur la Commission européenne. "Cette fois c'est différent" Un rien provocateur ? (crédit : © NGV / B2)

(BRUXELLES2) Par le vote, on désignerait dimanche le futur président de la Commission européenne. Cette idée est répétée, à satiété, par certains responsables européens. Elle figure même sur la bannière déployée au-dessus de la Commission européenne à Bruxelles. « Cette fois-ci c'est différent » est-il marqué. Certaines têtes de liste pour la campagne au Parlement européen le répètent également et plusieurs observateurs reprennent en coeur cette antienne. Certes elle a l'avantage de la simplicité et se pare d'une certaine légitimité. Mais cette idée repose sur une lecture très particulière de ce qui fonde actuellement le système électoral européen et de ce que dit la "Loi fondamentale" européenne. Pour tout dire, on est plus proche du leurre démocratique que de la réalité textuelle.

Une double coalition, des peuples et des Etats

Tout d'abord, l’Europe n’est pas un Etat fédéral, avec une population qui forme une unité nationale mais reste une union de peuples et d’Etats, gouverné par un Traité qui fixe assez précisément les règles. On est plus proche d'une sorte de système "confédéral".

Le système européen inscrit dans le Traité (remanié à Lisbonne), qui est la "Loi fondamentale" de l'Union européenne, n’est ni un système présidentiel (à la française) ni même un système parlementaire majoritaire (à la britannique, où le chef de parti victorieux s’assied dans le siège de chef de gouvernement, car il bénéficie d’une prime majoritaire, voire à l’allemande). C’est un système parlementaire à double coalition : coalition des élus du peuple (parlement européen) et coalition des Etats membres.

Cette caractéristique est consacrée dans le Traité de l’Union européenne qui décrit exactement « le fonctionnement de l’Union » comme « fondé sur la démocratie représentative ». D’une part, « Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen ». D’autre part, « les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens » (article 10 du Traité UE). Certains estiment que ce texte est ambigu. Certes il ne produit pas la simplicité mais réunir des Etats aussi différents que l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni ou l'Italie, sans compter les 24 autres n'est pas simple. Mais  au regard des principes précédents, cela semble assez limpide.

Ensuite, on n'élit pas ainsi un président qui choisit ses ministres mais un Président qui se voit, plus ou moins imposer, ses coreligionnaires par les Etats membres. La Commission européenne s'inscrit ainsi dans un processus constitutionnel assez différent de celui existant dans la plupart de nos pays (en France par exemple).  Il n’y a, en outre, pas un seul poste à pourvoir (celui de président de la Commission) mais un ensemble de postes (président du Conseil européen également, Haut représentant, commissaires) qui doivent être répartis et permettent d’offrir une « compensation » à celui qui n’a pas le poste.

Enfin, aucun parti n’a la majorité au Parlement européen. Autrement dit le parti arrivé en tête a le droit de faire le premier tour de piste, d’être le démineur, voire le formateur de la future majorité de « gouvernement ». Un système très proche des systèmes belge ou néerlandais de formation d’un gouvernement. Le formateur (ou le « démineur » en cas de problème particulier) n’est pas automatiquement celui qui s’assied dans le siège de dirigeant ensuite…

Concrètement dire que l'élection au Parlement européen vaut donc automatiquement élection à la Commission européenne ne correspond donc pas tellement à la réalité politique et juridique. On peut souhaiter une telle évolution. Mais l'imposer, sans changer le traité, constitue un réel détournement de pouvoir. Ce leurre démocratique peut aussi générer chez nombre d'électeurs le fait que l'on ne tient pas compte de sa voix...

Papier complet et détaillé paru sur le Club (lundi) : L’équation insoluble : Martin ou Jean-Claude … Ou ni l’un ni l’autre ? Lire aussi : Comment est nommé le président de la Commission. Quelques points oubliés

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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