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Entre la France et l’Australie, le froid va durer

(B2) L'affaire AUKUS laissera des traces. Si avec Washington, et dans une moindre mesure avec Londres, la voie de la normalisation semble acquise, Paris semble bien déterminé à faire payer sa trahison à Canberra.

Halloween dans la Royal Australian Navy (Photo : Marine Australienne)

Le 15 septembre dernier le gouvernement australien a rompu le contrat de fourniture des sous-marins par la France (et Naval Group). Et signé un accord de partenariat de défense avec les États-Unis et le Royaume-uni (AUKUS) dans la foulée. Sans aucun préavis. Un acte qui a toujours du mal à passer dans les rangs français.

Une dent contre l'Australie

Avec les États-Unis, on ne peut pas se fâcher longtemps et les relations ont clairement repris. Avec le Royaume-Uni, trouver le chemin de la réconciliation sera un peu plus long, « mais il y a des réalités géopolitiques qu'on ne peut ignorer : les côtes anglaises ne sont qu’à 25 km de Calais. Avec l’Australie, en revanche, c'est autre chose… ». Un gradé français, bien introduit dans le cercle du pouvoir, résume ainsi pour B2 l'état des lieux de l'après AUKUS. Et surtout, ne termine pas tout à fait sa phrase. Mais on comprend que ce sera très compliqué et que cela risque de durer longtemps. Précisons que ce propos a été tenu avant la réunion du G20 qui a vu un nouvel échange de "mots doux" entre Paris et Canberra (cf. encadré).

La coopération maritime avec l'Australie

Un propos qui n'est pas isolé. L'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine nationale, l'avait confirmé quelques jours auparavant (mi-octobre) lors d'une audition à l'Assemblée nationale : le gel de la coopération est en marche. « L’officier australien qui avait intégré mon état-major quittera ses fonctions l’été prochain et ne sera pas remplacé. De plus, nous avons suspendu la coopération de nos forces sous-marines avec l’Australie. Enfin, nous avons annulé l’embarquement d’un cadet australien pour la campagne Jeanne d’Arc 2022, ainsi que l’envoi d’un ancien commandant de sous-marin nucléaire à l’Académie militaire d’Australie. »

... réduite a minima

Seules « quelques coopérations » vont subsister, poursuit l'amiral Pierre Vandier. « Nous conserverons les points d’escale que nous partageons avec l’Australie pour ravitailler la base antarctique de Dumont d’Urville. Nous aurons aussi l’occasion de croiser les Australiens lors d’exercices multinationaux dans l’océan Indien et dans le Pacifique. »

L'ennemi n'est pas l'Australie mais la Chine

Le chef de la marine a cependant tenu à ajouter en guise d'avertissement à une volonté trop politique d'approfondir les divisions. « Ne nous trompons pas d’ennemi », a abjuré le marin. Il faisait référence à l’attaque de Mers-el-Kébir en 1940 par la Royal Navy contre les navires français amarrés dans le port militaire algérien (1). « Il convient d’aborder l’AUKUS avec la même prudence ». Et de viser concrètement la Chine comme la Corée du Nord, en pleine phase d'expansion.

Le réveil naval chinois... et des autres

« Nous assistons aujourd’hui au réveil naval chinois. La Chine met à l’eau l’équivalent de notre flotte nationale tous les trois ans. [...] La mise en service du troisième porte-avions chinois est prévue en 2025. [...] Les simples patrouilleurs garde-côtes chinois sont en fait de véritables frégates de premier rang. Des bateaux de 10.000 tonnes – plus important que nos frégates du même format –, armés de canons […] et autorisés à ouvrir le feu depuis la modification de la loi navale. » La Corée du Sud, aussi, entreprend « des opérations navales majeures ». Les Coréens ne sont pas les seuls. « Nous observons d’importants taux de croissance des marines japonaise, indonésienne, coréenne, australienne et indienne ». L'Inde est « censée mettre quatorze frégates sur cales entre 2021 et 2030 [et] en train de mettre à l’essai son dernier porte-avions, qui a vocation à embarquer des Rafale marine. ».

En fait, c'est toute la zone Indo-Pacifique qui s'enflamme : « Le réarmement mondial [au niveau] naval est sans précédent depuis trente ans. »

NB : On comprend donc la détermination américaine d'être très présente dans la zone, comme la volonté européenne de ne pas être l'oubliée de l'histoire. La question de l'extension des zones maritimes d'intérêt européen est ainsi à l'agenda de la prochaine réunion des ministres de la Défense (lire notre article confidentiel).

(Nicolas Gros-Verheyde)


Le premier ministre australien a menti !

Emmanuel Macron a été interrogé par Bevan Shields, un journaliste australien du Sydney Morning Herald, en marge du G20 pour savoir s'il pensait que Scott Morrison, le premier ministre australien, avait menti. Le Français a répondu directement : « I don't think, I know » . Soit : Je ne le pense pas, je le sais. Surtout, le président français a refusé d'évoquer le retour de la confiance : « Nous discutons, nous verrons ce qu'il fera ». Un signe de sa colère froide. Et d'ajouter à l'adresse de l'Australie : « J'ai beaucoup de respect pour votre pays et beaucoup de respect et d'amitié pour votre peuple. Je dis juste que lorsque nous avons du respect, vous devez être vrai et vous devez vous comporter conformément à cette valeur. »

L'Australie réplique mardi avec la fuite dans la presse locale d'un SMS émanant d'Emmanuel Macron adressé au premier ministre australien, Scott Morrison. « Dois-je m'attendre à de bonnes ou de mauvaises nouvelles pour notre ambition conjointe sur les sous-marins ? », lui écrit le président français, le 13 septembre, deux jours avant que l'affaire n'éclate, alors que le dirigeant australien cherche à le joindre. Une preuve selon Canberra que Macron savait. NB : Je dirais plutôt que c'est la preuve ultime que Macron ne savait pas. Et que l'Australie s'y est pris le plus tard pour informer les Français.

(NGV)

Lire aussi : L’accord AUKUS entre Australie et USA provoque les Européens. Quelles réactions possibles ?

  1. Cette attaque menée entre le 3 et 6 juillet 1940 par les Britanniques (avions et marine) a fait près de 1300 morts côté français et mis hors de combat plusieurs navires. Elle est considérée comme une trahison de l'alliance franco-britannique côté français. Une attaque parfaitement justifiée pour Londres, par la signature de l'armistice par Philippe Pétain, la mise en place d'une collaboration avec l'Allemagne, et le refus du gouvernement français de l'époque de mettre ses navires hors de portée des Allemands.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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