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Pologne : le débat sur l’état de droit vire à l’affrontement

(B2) Le premier ministre polonais avait demandé à pouvoir intervenir à la session plénière à Strasbourg. Il n'est pas certain que l'explication ait servi sa cause. Les positions se sont radicalisées. La Commission européenne a posé des limites. Avec l'appui d'une majorité des députés européens. Les chrétiens-démocrates du PPE n'étant pas les moins virulents... Ambiance

Le premier ministre stoïque, écoute (ou rêve) pendant le débat qui se déroule autour de lui (PE/B2)

Un débat qui déborde

« La crise de l'État de droit en Pologne et la primauté du droit de l'UE ». Tel était l'intitulé du débat programmé mardi (20 octobre) matin. Il devait durer la matinée, mais il a largement débordé.

45 minutes de soliloque du Polonais

Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki (PIS/ECR) devait parler cinq minutes. Il en a pris 40 de plus ! Une « marque d'irrespect » qui lui sera reprochée. Sa réplique « ne me dérangez pas ! » au président de séance qui a tenté plusieurs fois de le faire conclure sera reprise en boucle pour l'éreinter plus encore...

La foule au pupitre

Près d'une centaine de députés, dont nombre de Polonais, se sont succédé au pupitre, à quelques mètres du premier ministre, assis comme le veut la tradition au deuxième rang. Certains le regardent d'ailleurs directement, le désignant ou cherchant son regard. Le premier ministre, le dos raide, reste stoïque. Il ne se réfugie pas sur un portable ou dans des notes. Il écoute. Le masque sanitaire couvrant sa bouche et son nez accentue son regard. Le tapotement d'un doigt sur la table sera le seul signe visible d'agacement.

Un Polonais inflexible

Mateusz Morawiecki a repris l'argumentaire du courrier adressé aux leaders des 26 autres États membres de l'Union et présidents des trois institutions (Conseil européen, Commission européenne et Parlement européen), développé dans un plan en sept points... Le Polonais met en garde : tous les États peuvent être à leur tour mis en cause, aucun n'est irréprochable. Il prend soin de redire que la Pologne revendique « sa place » dans l'Union européenne et « sa volonté d'y rester ». Il réfute les « récits erronés sur un Polexit ou la prétendue infraction à l’état de droit ».

Un chantage inacceptable

Mieux, il attaque, jugeant « inacceptable de voir un élargissement des compétences par la pratique du fait accompli ». Il dénonce le « chantage financier », « cette langue des menaces et de la coercition ». Il persiste, « nous n’avons pas de doute sur la primauté du droit européen dans ses compétences délégués par les États membres, mais le tribunal polonais se demande si le monopole de la Cour de justice de l'UE dans la définition des limites factuelles est la bonne solution. » Pour lui, « les États membres sont les garants des Traités », déniant ainsi au passage à la Commission européenne de jouer ce rôle.

Échanges de flèches sur le fond... et la forme

Ce débat était le neuvième mettant en cause la Pologne depuis le début du mandat. Les rangs parlementaires se sont resserré pour exiger de la Commission européenne qu'elle passe désormais aux actes.

Weber en procureur implacable

Manfred Weber, le leader nouvellement réélu du PPE, le premier groupe en taille du Parlement européen et qui abrite la Plateforme Civique (PO), le frère ennemi du PiS (tous deux issus de Solidarnosc), donne le ton. « Le gouvernement polonais veut mettre un terme à l’indépendance de la justice en interne. C’est cela la question ! (...) Merci aux Polonais qui sont descendus dans la rue, des centaines de milliers qui ont défendu un autre visage de la Pologne. Ce sont de vrais patriotes ! » L'Allemand tance : « Vous affaiblissez l’UE. Vous semez la zizanie. Et Poutine va se réjouir. Votre politique aide les Russes car ils ont tout à tirer d’une Europe affaiblie. Alors arrêtez ! ».

L'inaction du Conseil européen en cause

La dernière banderille vise cette fois les autres États membres : « On devrait discuter d’un recours en carence auprès du Conseil. Nos chefs de gouvernement lancent de bonnes paroles. Mais il nous faudrait un Conseil qui agisse quand on a un État qui ne respect pas le droit de l’Union européenne ». Le Parlement européen demande que la Commission européenne rejette le plan de relance de la Pologne, et lance enfin le mécanisme de conditionnalité liant budget et respect de l'état de droit, résume le Néerlandais Malik Azmani, pour le groupe centriste Renew. « Finies les tergiversations ! »

La Commission européenne prête à agir

La présidente de la Commission européenne monte à son tour au pupitre. « Fortement préoccupée » et « regrettant » cette situation, Ursula von der Leyen se borne au factuel. D'emblée, elle se place dans son rôle de « gardienne des Traités ». « C'est la première fois qu’une cour nationale statue que les traités européens sont incompatibles avec la Constitution nationale ». Cet arrêt « sape la protection de l'indépendance de la justice telle que le garantit l’article 19 du Traité. » Incitée à frapper fort par les députés, von der Leyen se montre plus déterminée lorsqu'elle reprend la parole après la conclusion du premier ministre polonais. Au passage, elle raille les manœuvres du premier ministre : « N’essayez pas de détourner l’attention, de vous soustraire à la discussion ».

Les prochaines étapes

Aux parlementaires, la cheffe de l'exécutif européen promet d'appliquer toute la conditionnalité prévue dans le cadre budgétaire pluriannuel. « Les règles pour le fonds de relance sont claires. [...] Ces investissements sont liés à des réformes qui doivent répondre aux recommandations spécifiques par pays, et celles pour la Pologne prévoient le rétablissement de l’indépendance de la justice, et donc la suppression du régime disciplinaire contre les juges et le rétablissement des postes des juges limogés. C’est le plan prévu et que nous mettons en œuvre ». Et d'assurer, face aux critiques sur la lenteur de la Commission : « nous n’avons jamais perdu une procédure sur l’état de droit et nous allons continuer ».

Le Parlement en rangs serrés (ou presque)

« Je suis fière de tous les collègues qui se sont levés pour la défense de l’état de droit ! » relève in fine l'écologiste allemande Ska Keller. Cela doit se vérifier dans les votes de la résolution soumise aux voix ce jeudi (21 octobre). La fracture est nette en revanche, et sans surprise, avec la partie très à droite de l'hémicycle, à savoir les groupes ECR (conservateurs) — où siège le PiS (Droit & Justice) — et ID (Identité & démocratie) — habitant le Rassemblement national par exemple. Deux de ses représentants français (Jérôme Rivière et Nicolas Bay) prendront même la peine d'aller saluer le Polonais à l'issue du débat. Ce seront quasiment les seuls. L'autre fracture apparente, porte sur une opposition est/ouest... Ce que résume le Slovaque Milan Uhrik (Non inscrits) : « l’état de droit n’est qu’un outil de contrôle, pour faire passer un programme libéral. La Pologne a tout notre soutien pour maintenir sa souveraineté. Ne provoquez pas l'Europe centrale ».

(Emmanuelle Stroesser)

Emmanuelle Stroesser

Journaliste pour des magazines et la presse, Emmanuelle s’est spécialisée dans les questions humanitaires, de développement, d’asile et de migrations et de droits de l’Homme.

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