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A Ankara, le ‘sofagate’, miroir tendu aux faiblesses européennes

(B2) Une femme « blessée » , la place des femmes « fragilisée »... Tout comme l'image de l'Union européenne, tétanisée à l'idée de bousculer l'ordre diplomatique et mal à l'aise dans la défense de ses valeurs. Décidément, la visite à Ankara de la présidente de la Commission européenne et du président du Conseil européen se digère avec difficultés. Les parlementaires européens s'en sont encore fait l'écho ce lundi 26 avril

Charles Michel et Ursula von der Leyen (sur la photo) étaient présents devant le Parlement européen qui débattait sur le Sofagate (crédit : Parlement européen)

Le mauvais choix de Michel

« Le président Michel n'aurait jamais laissé Juncker (l'ancien président de la Commission européenne) sur le canapé comme il l'a fait avec la présidente von der Leyen. C'est arrivé parce que c'est une femme. Le Sofagate est un cas clair de discrimination envers une femme ». La sentence de l'Espagnol Ernest Urtasun (Verts/Catalogne en commun) résume l'opinion de nombreux députés européens, intervenus hier (lundi 26.04).

Promis juré c'est du passé

Quelques minutes plus tôt, au pupitre au bas de l'hémicycle, à quelques mètres d'Ursula von der Leyen assise à la place dévolue de la présidente de la Commission, Charles Michel veut visiblement faire oeuvre de contrition, mais d'un « incident » qu'il continue de qualifier de « protocolaire ». « Je mesure que les images ont pu donner le sentiment à beaucoup de femmes d’être offensées ». Il se défend de toute attaque sexiste et veut « réaffirmer » son « engagement total complet absolu » à « soutenir les femmes, l’égalité des genres ». À l'avenir, il veut même croire que « les instructions données (aux) équipes protocolaires et diplomatiques » suffiront à éviter qu'un telle « situation ne se reproduise plus ». Il promet aussi des directives européennes pour faire avancer la cause des femmes, sur l'égalité salariale notamment. Aucun eurodéputé ne reprend la balle au bond, comme si le jeu avait déjà tourné court.

Mais pas pour Ursula von der Leyen, une femme blessée

La présidente de la Commission européenne, elle, fend l'armure. Elle se livre. Elle s'est sentie « blessée, seule, en tant que femme et européenne ». Ses mots sont pesés. Le ton clair. Elle entend encore une fois marquer le coup de ce qu'elle vécu. Elle en fait un combat féminin : «  je suis la première femme au poste de présidente de la Commission européenne, c’est de cette façon que je souhaitais être traitée il y a deux semaines (lors de la visite à Ankara NDLR), mais cela n’a pas été le cas ». Elle insiste et balaye tous les arguments protocolaires exposés depuis : « il n’y a pas de justification dans les traités, c’est arrivé parce que je suis une femme. » L'issue ne passe donc que par une évolution des mentalités. Visiblement, Ursula von der Leyen entend se servir de sa position pour cela. Et vis-à-vis de la Turquie, elle veut faire du « respect des droits des femmes » l'un des préalables « à la reprise du dialogue  ». 

Le (mauvais) exemple européen

Charles Michel a d'autant plus « déçu » que personne n'attendait finalement du président turc qu'il agisse autrement. De même que peu sont surpris de la décision d'Ankara de se retirer de la convention d'Istanbul, ce cadre juridique, le premier du genre, mis en place pour lutter contre la violence à l'égard des femmes. Symbole pour symbole, l'annonce turque coïncidait avec la célébration du 10e anniversaire. Mais là encore, comme l'a invité Ursula von der Leyen, l'UE doit « balayer devant (sa) porte ». Car, plus inquiétant, « certains États membres considèrent aussi la possibilité de quitter la convention d’Istanbul, ce n’est pas acceptable ».  Elle prévient, elle veut aussi placer chacun devant ses propres responsabilités. Mais elle manque l'opportunité de nommément les citer...

Le symbole d'un vide ?

Le Parlement soutient et relance. « Il est juste d'attaquer la Turquie pour son retrait de la Convention d'Istanbul, mais n'oubliez pas que seuls 21 États des 27 membres de l'UE l'ont ratifiée, ce qui sape la crédibilité européenne. L’UE doit être cohérente en interne pour être crédible à l’extérieur » tance l'Italien Fabio Massimo Castaldo (Non inscrits/Mouvement 5 étoiles). C'est le message partagé avec d'autres parlementaires. Comme un appel à l'humilité. Et à redresser le port de tête. La visite à Ankara est contestée sur la forme comme sur le fond.

Les eurodéputés critiquent ce « message de la faiblesse », qui a fait passer le fonds de la visite à Ankara à l'arrière plan de l'actualité.  « On voulait envoyer un message de la force, mais c’est celui de la faiblesse qui est passé » fustige le leader de la droite populaire (PPE), l'Allemand Manfred Weber (CSU). Les flèches sont cinglantes. Comme celle de la leader des écologistes, l'Allemande Ska Keller : « le Conseil continue de travailler sur un mandat pour la modernisation l’union douanière avec la Turquie ! Sans engagements sur les droits humains ! On aide Erdogan là où il est le plus faible, l’économie ! ». Elle attaque là où cela fait mal : « nous n’aurions jamais du lui demander de s’occuper des réfugiés, c’est un désastre géopolitique auquel on doit mettre fin au lieu de le poursuivre ».  

Prochaine épreuve : recouvrer de la crédibilité

La formule de la présidente de la sous-commission Sécurité et défense (SEDE), Nathalie Loiseau (Renaissance/Renew), résume le ton de ces échanges, entre les parlementaires et l'exécutif européen : « L'Europe doit un peu moins se demander où elle s’assoit et un peu plus comment elle reste debout pour se faire respecter, à Ankara comme à Moscou ».

(Emmanuelle Stroesser)

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Emmanuelle Stroesser

Journaliste pour des magazines et la presse, Emmanuelle s’est spécialisée dans les questions humanitaires, de développement, d’asile et de migrations et de droits de l’Homme.

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