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Où agissent nos chers pirates des mers ? Selon quelles méthodes ? Quand ? Toutes les réponses … ou presque

(B2) La piraterie dans le monde reste relativement stable après les pics observés en 2011-2012. Le Golfe de Guinée atteint des niveaux préoccupants, pas tellement en termes de nombre, mais de modalité d'action. Tel est le constat de la Royale (la marine nationale française) qui publie son premier rapport sur la piraterie. À lire !

Pour le MICA Center (1), que nos lecteurs connaissent un peu, car il est devenu le 'hub' européen d'observation de la piraterie pour le Golfe de Guinée (MDAT-Gog) et, plus récemment, pour la Corne de l'Afrique avec la délocalisation du centre MSCHOA de liaison avec la marine marchande de l'opération Atalanta (2), ce rapport est une première. Et je dois dire que ce résultat est réussi. C'est clair, limpide, précis, illustré de nombreux schémas, de photos et au surplus bilingue (français et anglais). Ce qui n'est pas un détail dans un monde maritime dominé par l'anglais et même par la City de Londres. Niché au cœur de la préfecture maritime de Brest, armé par des officiers français (mais aussi belges, espagnols et britanniques) ce centre semble aujourd'hui arriver à sa maturité.

Un chiffre relativement stable d'année en année

Le nombre total d’événements liés à la piraterie et au brigandage reste stable ces dernières années : 360 événements reportés dans le monde, ce qui est sensiblement équivalent depuis quatre ans. Un chiffre qui a baissé par rapports aux années 2012-2015 — où la piraterie somalienne était assez active — et est de près de deux fois inférieur aux sommets atteints en 2011, au plus fort des attaques dans cette zone.

 

Des évolutions contrastées selon les zones

On note :

— le maintien à un niveau (très) faible de la piraterie au large de la Somalie et de la Corne de l’Afrique. « Au large des côtes somaliennes, le nombre d’événements reste marginal » après le pic des années 2010-2011 ;

— une légère hausse du nombre d’événements en Asie du Sud Est. Il y a en particulier « de nouveau » des attaques menées lors des transits « dans le dispositif de séparation du trafic (DST) à l’ouvert du détroit de Malacca » ;

— la recrudescence du brigandage dans l’arc des Caraïbes. En Amérique latine, « la recrudescence du phénomène constatée depuis trois ans se confirme ». En particulier, « les larcins » augmentent dans les Caraïbes ; ils touchent essentiellement la navigation de plaisance ;

— une légère hausse du nombre d’attaques relevées dans le golfe de Guinée, avec surtout une augmentation sensible du nombre de personnes enlevées. C'est sur cette dernière zone que je vais concentrer mon regard...

Le Golfe de Guinée : zone rouge

Dans le golfe de Guinée, l’insécurité maritime liée à la piraterie et au brigandage reste en effet élevée. On compte ainsi 111 évènements, soit près d'un tiers des évènements mondiaux. Un chiffre en légère hausse par rapport à 2018 (90 évènements), « plus particulièrement au fond du Golfe où elle est caractérisée par une recrudescence des enlèvements et le maintien d’un niveau de violence élevé ».

Le chiffre augmente plus particulièrement au fond du Golfe - en noir les navires piratés ; en rouge, les attaques ; en orange les approches ; en jaune les vols, (crédit : Mica Center)

Si le nombre d'attaques comme de navires piratés reste assez stable — 23 en 2017, 28 en 2018, 26 en 2019 —, c'est le nombre de vols à bord, de rapines, qui a augmenté nettement en 2019 : 42 vols contre 22 en 2018. Le tableau (ci-dessous) le prouve.

Il s'agit principalement de vols commis au mouillage ou dans un port. Un phénomène, qui peut s’expliquer « par le mauvais temps qui a régné sur la majeure partie de la zone entre juin et octobre 2019 et qui a obligé les délinquants et criminels à opérer le long des côtes ». Ainsi, en 2019, le nombre d’actes commis le long des côtes a triplé par rapport à celui de 2018. Ainsi, plus de la moitié des événements a eu lieu à des distances inférieures à 12 nautiques de la côte.

Un nombre d'enlèvements en hausse continue

Ce qui est plus inquiétant est le nombre d’enlèvements. Il est en augmentation sensible. Ce de façon continue depuis trois ans. « La majorité des enlèvements recensés se concentre dans le fond du golfe de Guinée ». Autre facteur d'inquiétude : la durée moyenne de détention. Elle s’allonge, s'établissant désormais à 33 jours, avec un record de 58 jours. Enfin, le nombre d'otages pris par attaque a augmenté tout récemment.

Le mois de décembre illustre une accélération du phénomène. Jusqu’à là, « on observait que les pirates enlevaient moins d’une dizaine d’otages, pris parmi les membres d’équipage ». En décembre 2019, il y a eu sept prises de 'guerre' avec davantage d'otages : cinq enlèvements ont eu lieu, représentant 53 otages, soit plus d'un tiers du nombre total de personnes kidnappées au cours de l'année 2019. Parmi ceux-ci, deux enlèvements comportant une vingtaine d'otages chacun ont été recensés. Toute la question est désormais de savoir si on est sur une exception, ou sur une tendance.

Pays par pays

Le pirate nigérian est tenace
C'est le Nigéria qui concentre la majorité des approches de pirates, avec près de la moitié (54 sur 111 en 2019, nombre identique en 2018 mais sur moins d'attaques). Celles-ci se concentrent au large de trois États, avec des modalités d'action et des motivations légèrement différentes.

À Lagos, le brigandage se déroule majoritairement dans la zone de mouillage située face à l’embouchure du fleuve Ogun. Le mode opératoire est assez connu : abordage du navire de nuit et le plus discrètement possible afin de s’introduire dans ses soutes et d’y voler des matériels pour revente sur le marché noir local. « La majorité de ces événements semble être l’œuvre de brigands locaux agissant sans arme. »

À Bayelsa, ce sont essentiellement les communautés locales qui passent à l'attaque contre les pêcheurs ou les remorqueurs de soutien lors de leurs transits côtiers. La prise d’otages est l’un des modes opératoires le plus souvent constaté. Les pirates locaux s’attaquent aussi à des navires à fort tonnage lors de leurs transits au large des côtes de Bayelsa.

Dans le Rivers State, les pirates profitent davantage des transits des navires marchands vers Port Harcourt pour mener leurs attaques dans la Bonny River. La plupart des événements sont donc relevés dans une zone située entre les eaux de la Bonny River et 70 nautiques des côtes. Le Nigeria a réagi cependant. Au cours des dernières années, l’État nigérian a mené des actions de lutte contre le brigandage et la piraterie. On a alors « observé une baisse du nombre d’actes commis à Bayelsa tandis que leur nombre a augmenté à Rivers State ». Une action donc assez incomplète...

Des émules au Cameroun, Gabon et Togo

Dans les autres pays, cela varie d'année en année. En 2019, on remarque une augmentation des évènements dans trois pays : le Cameroun (+7), le Gabon (+6), le Togo (+4). En revanche, on note une diminution des incidents au Ghana (-6) après un pic en 2017-2018 (respectivement 12 et 11 incidents). Le chiffre de cinq incidents revient ainsi à un niveau moyen, observé entre 2008 et 2016.

Le long des côtes du Cameroun, le nombre d’incidents est « à nouveau en augmentation depuis deux ans ». « Des pirates mènent des incursions près des côtes d’Idenau et prolongent parfois leurs raids jusqu’à Douala (4 attaques consécutives à la fin de l’été 2019) ». Le gouvernement a réagi en déployant des équipes de protection sur les navires au mouillage.

Idem au Togo qui a subi une recrudescence d’incidents durant l’année. Mais les Togolais ont réagi. En mai 2019, ils ont engagé deux navires et un groupe d’intervention. Ce qui a permis de contrer une tentative de détournement d’un pétrolier. Par ailleurs, les autorités locales ont « renforcé la sécurité du port de Lomé et de sa zone de mouillage en y déployant des équipes de protection ».

Au Gabon, les incidents étaient « extrêmement rares depuis 2013 ». Mais, au mois de décembre 2019, il y a eu une irruption soudaine (6 événements) — avec pas moins de cinq attaques de navires au cours de la même nuit – et violente. Durant l'une de ces attaques, le capitaine d'un des navires a été tué par balles.

 

Quand le pétrole monte, le pirate surgit

L'irruption des pirates n'est pas dû au total hasard. Il y a des raisons très économiques à leur intervention, surtout dans les 'rapines' de pétrole. Les soutages délictueux des cargaisons de pétroliers (on pompe le pétrole de la soute) , appelés aussi 'bunkering' (du nom anglais de la soute = bunker), « semblent directement liés aux variations de prix du pétrole ».

Les détournements de ces derniers demandent, en effet, « une logistique importante : matériel, personnel pour se rendre maître d’un navire cible, 'affrètement' d’un autre navire... » Ces opérations deviennent « théoriquement rentables dès lors que le prix du baril dépasse les 60$. Elles sont cependant principalement observées lorsque les prix avoisinent les 100 $ US ».

Le seuil de rentabilité d’un vol ponctuel est plus bas car la logistique est moindre : les brigands opérant au mouillage « emploient des fûts métalliques pour pouvoir voler quelques litres de carburant, qu’ils revendent sur le marché noir local ». Ces évènements ont généralement lieu dès que le prix du baril dépasse les 40 $ US.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Crédit images : tous les schémas sont du MICA Center - Télécharger le rapport complet

  1. Le Maritime Information Cooperation & Awareness Center (MICA) a été créé au sein de la préfecture maritime de Brest (France), il y a quatre ans.
  2. Maritime Domain Awareness for Trade – Gulf of Guinea
  3. Le MSCHoA (Maritime Security Center Horn of Africa), assurant la tenue de situation. Lire aussi : Piraterie maritime. Le MICA de Brest prêt à héberger le MSCHOA et prendre le relais de Northwood

À Suivre : Reportage au MICA Center.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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