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Retour sur l’évacuation des gendarmes français et des experts d’EUBAM Libya vers la Tunisie

(B2) L'affaire de plusieurs personnes, travaillant pour l'Union européenne et la France, interceptées à la frontière tunisienne, a fait couler un peu d'encre et semé beaucoup de confusion. Tentons d'y voir un peu clair

En fait, il y a eu deux évacuations quasi-simultanées, l'une des Européens d'EUBAM Libya menée par voie de mer, l'autre menée par les Français par voie terrestre. Des évacuations plutôt confuses car l'Union européenne comme la France se sont bien gardées de communiquer clairement sur ces évacuations, laissant prospérer toutes les versions possibles.

Une décision d'évacuation

Au moment de l'offensive du maréchal Haftar sur Tripoli, les Européens prennent la décision d'évacuer le personnel d'EUBAM Libya, la mission de l'UE d'assistance aux frontières au gouvernement libyen (lire : Les équipes d’EUBAM Libya ont quitté la Libye). L'évacuation se fait le 10 avril vers l'ile de Djerba, par voie de mer, moyen le plus sûr et le plus rapide de locomotion et régulièrement utilisé par la mission pour ses transferts réguliers entre Tunis, où est basé son siège, et son point avancé à Tripoli, sur le site de Palm City.

Onze personnels d'EUBAM Libya revenus via Djerba

A bord de deux bateaux, Vincenzo Tagliaferi, le chef de mission EUBAM (un ancien carabinieri italien), des gardes de sécurité, de différentes nationalités, et différents personnels dont Bruxelles ne veut confirmer ni le profil ni la nature des fonctions. Il n'y a pas eu d'interception, de saisie ou d'arrestation, comme l'a mentionné le ministre de la défense relayé par certains médias (1). « Ce trajet était prévu et les autorités tunisiennes dûment averties comme le veut la procédure » a simplement confirmé à B2 un officiel européen. Comme le veut la règle, les armes et munitions dont disposaient les gardes sont « remises aux autorités tunisiennes » et contrôlées. A noter que tous les gardes n'ont pas été rapatriés en Tunisie, certains sont restés sur place pour empêcher que les locaux ne soient pillés.

Treize Français par voie terrestre

Quelques jours après, dimanche (14 avril), les Français ont assuré une évacuation similaire par voie terrestre, cette fois. Un convoi de six véhicules tous terrains franchit la frontière, au poste de Ras Jedir, en provenance de la Libye. A bord, 13 personnes. Des personnes (gendarmes) chargées de la sécurité de l'ambassade de France de Tripoli, assure-t-on côté français. Le passage semble être moins facile.

L'île de Djerba, point focal des agents de renseignement

Les personnels sont retenus durant plusieurs heures. Le ministère tunisien de la défense et des sources au sein de la présidence tunisienne citées par Radio France internationale parle même de la présence d'agents du renseignement parmi les gendarmes. « Il y a beaucoup de va-et-vient vers la Libye » indique une 'gorge profonde' de RFI. L'île de Djerba, dans le sud tunisien, « est devenue une base arrière » pour les services de renseignement étrangers. « Cette activité nous rend responsables de ce qui se passe en Libye et pourrait nous causer des ennuis... »

Tunis bien prévenu

Un propos qui sera démenti ensuite officiellement par la présidence tunisienne. Les ministères tunisiens des Affaires étrangères et de l’Intérieur avaient bien « été prévenus par la France de ce déplacement décidé moins de 48 heures auparavant » indique Rfi citant « une source proche du dossier ». Et si le stock d'armes saisi à bord des véhicules est conséquent — plusieurs centaines de grenades, des casques, des gilets pare-balles, des lance-missiles, lance-roquettes et du matériel de communication selon notre confrère —, il s'agissait de ne pas laisser à Tripoli un tel stock d'armes qui aurait pu être pris par des personnes de mauvais aloi.

Commentaire : la présence, au sein de la mission européenne en Libye comme de l'ambassade de France, de personnes chargées de faire du renseignement, de prendre des informations à la source et de les faire remonter à leur autorité hiérarchique ne serait pas surprenant. C'est même a priori une partie de leur rôle . Ce qui serait dommageable, ce serait qu'ils aient été plus loin que cela. Un peu de clarté sur le profil et les fonctions des personnes évacuées, du côté européen comme français, ne nuirait pas. Continuer d'entretenir le flou sur le sujet accrédite tous les fantasmes, réels ou supposés.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : Renforcer l’état libyen : une tâche pas facile pour EUBAM Libya. Bilan d’un an d’avancées… et de blocages

  1. Dans une déclaration à Sun FM en marge de l'ouverture de la journée des médias sur la transparence et la bonne gouvernance, le ministre de la Défense nationale, Abdul Karim al-Zubaidi a déclaré que la marine tunisienne avait intercepté mercredi (17 avril) deux canots pneumatiques tentant de franchir la frontière maritime, avec à leur bord onze personnes de différentes nationalités européennes. La marine tunisienne a repéré les deux bateaux, a remis le groupe aux autorités concernées et a confisqué les armes et munitions dont ils disposaient, a déclaré le ministre.
  2.  Le porte-parole a ajouté que ce groupe était entré sous la couverture d'un diplomate et avait des armes et des munitions en sa possession, soulignant que toutes les armes et les munitions contenues dans ces groupes étaient entreposées à la caserne de Benkardan, dans l'état de Medenine.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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