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Entre USA et Union européenne, une histoire d’amour qui tourne mal. La diplomatie européenne face à un nouveau front

(B2) Entre Européens et Américains, les clivages ne semblent pas prêts de s'éclipser. Au contraire. La relation se détériore sur de nombreux dossiers diplomatiques, au point que parler 'd'alliés' devient difficile

Avec G.W. Bush, les relations ont aussi été heurtées. Mais pas détériorées sur une telle longueur de temps. Photo souvenir : Romano Prodi, président de la Commission européenne, Guy Verhofstadt, Premier ministre belge assurant la présidence du Conseil européen, et G.W. Bush le 27 septembre 2001 (Crédit : Commission européenne)

Les États-Unis de Donald Trump avaient déjà sonné les cloches des Européens en quittant l'accord de Paris sur le climat, il y a deux ans (juin 2017), en dénonçant l'accord sur le nucléaire iranien, il y a un an (mai 2018) et en annonçant dans la foulée le déménagement à Jérusalem de leur ambassade. Trois dossiers auxquels tenaient pourtant les Européens. Et cela ne semble pas fini ! Depuis une quinzaine de jours, on assiste à un véritable festival, significatif du fossé croissant entre les positions diplomatiques américaines et européennes.

Un changement d'alliance à revers en Libye

A la mi-avril, l'hôte de la Maison Blanche annonce sans coup férir son soutien au général Haftar qui a lancé son offensive sur Tripoli (1). Un coup dur pour la diplomatie européenne (2). L'annonce prend à revers sa position de soutien continu au gouvernement de Tripoli, dirigé par Fayez El Sarraj, et le processus de négociation mené (péniblement) par l'ONU.

NB : Ce dernier épisode suit l'annonce plutôt confuse de Donald Trump, fin décembre 2018, d'un retrait (éventuel) américain de Syrie, comme d'Afghanistan. Certains alliés européens sont alors pris de court. Aucune concertation n'a réellement été menée. Même si la décision sera, en partie, reportée, elle laisse un goût d'amertume : les Européens 'comptent pour du beurre' tandis que l'allié américain semble peu fiable.

Cuba, le retour des sanctions extra-territoriales

Le 17 avril, Mike Pompeo, le secrétaire d'Etat US annonce la réactivation de la loi Helms-Burton de 1996. Cela signifie le rétablissement des sanctions sur Cuba, à compter du 2 mai. C'est à l'opposé de la politique européenne de rétablissement des relations économiques avec La Havane, avec la menace ajoutée de mesures de rétorsion des entreprises européennes qui commercent avec l'île (lire : Les Européens protestent contre l’application de la loi Helms-Burton).

Tout faire pour saper l'accord sur le nucléaire iranien

Le 23 avril, le président américain décide de durcir les sanctions contre l'Iran. Il met fin aux exemptions dont bénéficiaient huit pays (dont la Grèce, l'Italie et la Turquie) en matière d'importation du pétrole iranien. Ces sanctions, entrées en vigueur le 2 mai, vont clairement à l'encontre de la volonté des Européens de garder vivant l'accord sur le nucléaire iranien en rétablissant certains échanges économiques avec Téhéran.

Les accords de désarmement passés au karcher

Le 26 avril, le président américain annonce devant la NRA (National Rifle Association), le lobby des armes à feu, le retrait des États-Unis du traité de l'ONU sur le commerce des armes (TCA) (3). C'est un élément de plus dans la volonté américaine de se dégager de toute limite dans le réarmement, après la dénonciation du traité US-Russie sur les armes à portée intermédiaire sur le sol européen (lire : Le retrait américain du traité inquiète. L’Europe ne veut pas redevenir un champ de bataille).

Une attaque en règle contre les Européens, accusés de manque de solidarité

Le 30 avril, dans un de ces tweets dont il a le secret (4), le président américain accuse les Européens de manquer de solidarité en refusant de prendre en charge le retour de leurs ressortissants soupçonnés de faire partie de l'organisation de l'état islamique (Daesh/Isis) arrêtés en Irak ou en Syrie. Ce n'est pas la première fois. Mais la virulence comme la réitération exacerbent l'hostilité américaine.

Kosovo et Venezuela, la convergence se craquelle

Dans cette liste, on pourrait aussi mentionner l'attitude plus qu'ambigüe des Américains sur la position du Kosovo, alimentant en sous-main certaines idées telles que la redéfinition des frontières ou l'élargissement du format des négociations... aux USA. Ce qui est le meilleur moyen de tuer le dialogue, nous a confié un diplomate européen.

De même, la position intransigeante, interventionniste, de Washington à l'égard du gouvernement de Caracas complique la donne. Si les Européens soutiennent aussi dans leur immense majorité Juan Guaido contre Maduro, ils restent partisans du dialogue et refusent surtout d'instrumentaliser l'aide humanitaire.

D'autres points de crispation à venir

Cette liste pourrait s'allonger très vite, avec l'annonce d'une initiative américaine de paix au Proche-Orient qui risque d'être plus proche de la position israélienne actuelle (visant à l'annexion d'une partie de la Cisjordanie) que de la solution à deux États voulue par les Européens, avec un État palestinien viable.

NB : Dans ce panorama, on pourrait aussi parler des différentes disputes d'ordre économique (Boeing/Airbus, taxe sur l'importation de véhicules) ou des litiges mêlant questions économiques et de sécurité comme les critiques sur l'octroi de licences 5G à Huawei par les Européens. Mais ceci relève davantage des bisbilles habituelles entre puissances économiques.

Des positions non plus convergentes mais divergentes

La réalité diplomatique, c'est qu'aujourd'hui, on peut compter sur les dix doigts les points où l'Union européenne n'est pas en butte aux pressions (dans le meilleur des cas), aux offensives ou à l'hostilité des Américains sur les principaux dossiers qui l'intéressent. Les divergences sont plus grandes que les convergences (5). C'est inquiétant car une bonne partie de la construction européenne s'est bâtie en concertation et en coopération avec les Américains.

Une Europe désarmée face à une Amérique en confrontation permanente

Les Européens n'ont pas vraiment été habitués à pratiquer une politique complètement autonome et détachée des Américains. Ils sont aujourd'hui plutôt divisés sur l'attitude à avoir dans ce qui devient une 'confrontation' permanente. Ils n'osent qu'à peine répliquer aux tweets infamants du président Trump. Les Européens ne disposent pas, ou que peu, d'instruments de réplique. La remise à jour de la 'loi de blocage' (face aux sanctions US) ressemble à un artifice de pacotille. Tandis que les recours devant l'OMC traduisent une vision archi procédurale de la diplomatie. Là où les Américains (comme les Russes) la conçoivent comme une épreuve de force.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : Entre Européens et Américains, entre Merkel et Pence, davantage qu’une nuance, une opposition


La Commission est 'zen'

Malgré toutes ces attaques qui reposent sur des éléments objectifs, à la Commission européenne, on tente de rester zen. « Nous défendons un système international basé sur les règles, la légalité internationale, avec l’ONU au centre. Nous sommes engagés dans tous les chantiers de coopération internationale et transatlantique » a argumenté Margaritis Schinas quand je l'ai interrogé pour B2 sur l'écart qui s'agrandit entre USA et Europe. « Il y a la déclaration et la rhétorique, mais il y a aussi la substance » a-t-il ajouté, se voulant rassurant. « L’Union européenne est engagée, ouverte, positive, travaille pour s’entendre, pas pour polariser ou diviser les relations avec nos alliés et partenaires internationaux. » A part çà, il fait beau, les oiseaux gazouillent et les herbes bruissent dans les champs.


  1. Le communiqué officiel américain est éloquent. « Le Président a reconnu le rôle important du maréchal Haftar dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de la Libye. Les deux hommes ont discuté d’une vision commune de la transition de la Libye vers un système politique stable et démocratique. »
  2. Soyons honnêtes, la position européenne était larvée par un conflit franco-italien, sur le soutien au gouvernement de Tripoli : Paris trouvant que le GNT était incapable de venir stabiliser la situation là où Rome estimait la même chose de Haftar.
  3. « Under my Administration, we will never surrender American sovereignty to anyone. We will never allow foreign bureaucrats to trample on your Second Amendment freedoms. And that is why my Administration will never ratify the UN Arms Trade Treaty.»  tweet 26 avril 2019
  4. « We have 1,800 ISIS Prisoners taken hostage in our final battles to destroy 100% of the Caliphate in Syria. Decisions are now being made as to what to do with these dangerous prisoners European countries are not helping at all, even though this was very much done for their benefit. They are refusing to take back prisoners from their specific countries. Not good ! » (Donald Trump)
  5. Le seul point réel de convergence aujourd'hui entre US et UE est en fait l'attitude vis-à-vis de la Russie — où les nuances semblent moins grandes — et la présence dans l'OTAN qui demeure un des seuls ciments de multilatéralisme qui relie les deux parties de l'espace euro-atlantique.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Entre USA et Union européenne, une histoire d’amour qui tourne mal. La diplomatie européenne face à un nouveau front

  • Il est temps que l Europe ait sa propre politique etrangere et muscle egalement sa force economique et militaire pour faire respecter ses interets…qui sont finalement convergents souvent avec les USA..
    Trum nous force a defendre l Occident

Commentaires fermés.

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