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Fusion ratée Alstom-Siemens : le baudet de Bruxelles a bon dos

(B2) Un déluge de critiques - souvent excessives et déplacées - s’est abattu sur la Commission à la suite de sa décision (prévisible depuis plusieurs semaines) de refuser d’autoriser la fusion des activités des sociétés Alstom et Siemens en matière de matériel et de services de transport. A tort, estime notre chroniqueur Jean-Guy Giraud

(crédit : Alstom)

« Une honte », « un mauvais coup », « une faute économique et politique », « un aveuglement historique »… Cette surenchère d’accusations — fort peu documentées — ont même émané d’autorités publiques, principalement françaises. Le Ministre français de l’Économie y a largement participé, après avoir très inhabituellement tenté de faire pression sur la Commission lors de son examen du dossier (1).

Une instruction solide

Peu de place a été laissée aux arguments de la Commission qui apparaissent pourtant techniquement et juridiquement solides, voire imparables - ainsi qu’en témoigne son communiqué dont la lecture est plus éclairante que les critiques sommaires évoquées.

Quelques éléments de contexte

Premièrement, les refus de fusion de sociétés (ou de certaines activités) par la Commission sont exceptionnels (6 cas sur 3000 dossiers en dix ans). En cas (rare) de difficultés, les entreprises concernées acceptent le plus souvent de modifier leur projet ou y renoncent d’elles mêmes au cours de l'instruction.

Deuxièmement, l’expertise et la qualité de l’instruction des dossiers par la Commission sont généralement reconnues comme indépendantes et bien supérieures à celles de toute autre organisme public ou privé.

Troisièmement le mandat de la Commission n’est effectivement pas de promouvoir l’émergence de 'champions européens' - mais de préserver l’ ”intérêt général”, en l’occurrence le maintien de conditions de concurrence protectrices des autres entreprises et de l’intérêt des consommateurs.

Quatrièmement, dans l’exercice de cette mission, la Commission est tenue au respect du droit (traité et règlements) sous le contrôle éventuel de la Cour de Justice européenne.

Cinquièmement, au-delà d’opérations de fusion, la compétitivité des entreprises européennes dépend surtout de leur capacité propre à s’adapter à l’évolution technologique et à tirer parti de l’ouverture du marché européen - ouverture parfois restreinte par les autorités nationales.

Un projet contestable

De même, on peut s’interroger sur l’attitude des deux sociétés concernées ainsi que sur la nature réelle de leur projet. Leurs réponses aux objections de la Commission ont été à la fois tardives, insuffisantes, réticentes et lacunaires, si bien qu’un réel dialogue avec la Commission s’est avéré difficile.

L’objectif affiché de création d’un 'champion européen' face au 'champion chinois' est apparue plus comme un affichage que comme un véritable projet industriel. Des considérations sous-jacentes de nature purement financière semblent avoir aussi (surtout ?) motivé ce projet.

Les sociétés Alstom et Siemens se caractérisent par des historiques respectifs extraordinairement mouvementés de fusions-ventes-acquisitions successives et croisées jusque dans un passé récent - ainsi que d’interventions étatiques récurrentes (pour Alstom) et d’épisodes judiciaires (pour Siemens).

Le renoncement brusque et total des deux sociétés à leur projet de fusion (ainsi que, semble-t-il, à tout recours juridictionnel contre la décision de la Commission) semble traduire un certain manque de conviction sur le réalisme de ce montage, sur son bien-fondé industriel et sur son importance réelle pour le développement de chacune d’elles.

Une analyse a posteriori plus approfondie de cet épisode permettra sans doute de mettre en lumière certains éléments jusqu’ici occultés par la polémique superficielle du moment.

Une remise en cause de la politique de concurrence

Il est regrettable que cette affaire soit l’occasion d’une remise en cause générale de la politique de concurrence par certains gouvernements - notamment français mais aussi (plus modérément) allemand.

Le ministre français de l’Économie (Bruno Le Maire) a accompagné sa critique frontale de la Commission d’une proposition drastique de modification des règles en vigueur. Estimant que "le rôle de la Commission et des Institutions européennes est de défendre les intérêts économiques et industriels  de l’UE”, il a plaidé en faveur de “la possibilité pour un État de passer outre à un refus de la Commission en invoquant des intérêts industriels généraux au-delà des considérations relatives à la protection de la concurrence et des consommateurs”.

L’Allemagne semble s’être ralliée, plus modérément, à de futures propositions visant au “développement de la politique de concurrence de l’UE”.

Il n’est pas certain que le cas concerné constitue une base opportune pour une telle remise en cause - ni que son timing soit optimal à la veille des élections européennes.

Une adaptation, malgré tout, nécessaire des règles de concurrence

Mais il faut toutefois reconnaitre que l’évolution brutale et désordonnée de la compétition économique, financière et commerciale au niveau international nécessite une adaptation des moyens de défense européens ainsi que - parmi ceux-ci, de la politique de concurrence. Ce débat n’est pas nouveau : c’est celui de l’équilibre à trouver entre une politique industrielle volontariste et une politique de concurrence protectrice (2).

La Commission en est bien consciente: c’est à elle qu’il appartient, en toute sérénité, de présenter les propositions législatives nécessaires, lesquelles ne sauraient modifier l’équilibre général - et notamment institutionnel - d’un système qui, de l’avis général, est un des plus performants parmi les pays industrialisés.

Une remarque in fine : il est louable que, face à deux géants industriels soutenus par les deux principaux États membres, le bras de Margrethe Vestager [la commissaire à la Concurrence] — même doté de l’arme du droit — n’ait pas tremblé. Lorsque seront connus tous les “détails” de cette affaire, il lui sera sans doute rendu raison - peut-être même en temps utile avant la nomination de la nouvelle Commission …

(Jean-Guy Giraud)

  1. à noter que la nouvelle société issue de la fusion “aurait été exclusivement contrôlée par Siemens" (cf. communiqué de la Commission)
  2. voir https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post-unique/2019/01/19/FUSION-ALSTOMSIEMENS-UN-CAS-D’ÉCOLE-

Rédaction de B2

© B2 - Bruxelles2 est un média en ligne français qui porte son centre d'intérêt sur l'Europe politique (pouvoirs, défense, politique étrangère, sécurité intérieure). Il suit et analyse les évolutions de la politique européenne, sans fard et sans concessions. Agréé par la CPPAP. Membre du SPIIL. Merci de citer "B2" ou "Bruxelles2" en cas de reprise

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