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Von der Leyen tâcle l’Italie pour avoir saboté l’opération Sophia. Un schisme politique ? (V2)

(B2) Le non remplacement de la frégate Augsburg par un autre navire n'est pas une simple question de timing. En marge du forum de Davos, la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen a tenu à expliquer sa position

L'Allemagne reproche à l'Italie d'avoir saboté l'opération Sophia (alias EUNAVFOR Med) et à l'opération elle-même d'être inefficace. « Le commandement opérationnel italien a envoyé nos navires dans les coins les plus reculés de la Méditerranée. Comme il n'y avait pas d'itinéraires de contrebande, aucune tâche significative n'a plus été accomplie depuis des mois ». Et de lâcher, selon les médias allemands qui rapportent l'information : « Il est important pour nous que la tâche de la mission soit maintenant clarifiée politiquement à Bruxelles ». Au passage, elle rappelle (point important pour les Allemands) « la Bundeswehr à elle seule a déjà sauvé plus de 22 000 personnes de la détresse en mer ».

  • Pour écouter l'interview recueillie par Die Welt

Commentaire : L'opération Sophia à cheval sur une fracture volcanique

Le divorce semble être consommé entre Berlin et Rome sur l'opération européenne maritime en Méditerranée Sophia (alias EUNAVFOR Med). Mais on n'est pas sur une question de rivalité de capitale, on est sur un vrai schisme politique.

De vraies questions sont posées

On est sur de vraies questions que d'aucuns se posent dans les couloirs européens (au sein du Comité politique et de sécurité, des organes militaires, etc.) : à quoi sert Sophia ? Quel est son/ses objectifs ? Ont-ils été vraiment atteints ? Sinon comment les atteindre ? Mais derrière ces questions, assez pratiques, finalement, ce sont des questions, très politiques qui sont posées : quel rôle doit jouer l'Europe face aux demandeurs d'asile ou les migrants ? Comment juguler le flux ou accueillir les demandeurs d'asile ? Comment répartir la charge entre les pays européens ?... Le consensus est loin d'être atteint en Europe, où les points de vue sont, de plus en plus, divergents. L'opération Sophia en est une victime collatérale.

Une mission intrinsèque de sauvetage des vies en mer

Berlin n'a pas, en effet, envoyé ses navires en Méditerranée pour surveiller l'embargo sur les armes ou sur le pétrole, c'est la crise migratoire et des réfugiés qui était l'objectif premier de l'opération avec deux aspects conjoints :  1° « la lutte contre les trafiquants d'êtres humains » qui figure dans le mandat officiel et 2° « le sauvetage de vies humaines en mer », qui n'y figure, mais y est intrinsèquement lié (et est primordial pour certains pays) (1). L'abandon de ces deux tâches, dans la réalité — les navires ont reçu consigne d'éviter les 'couloirs' où passent les bateaux convoyant des migrants ou demandeurs d'asile — est la cause de cette décision.

Une chaîne de commandement européenne et non une décision d'un Italien

Petite précision : ce n'est pas le commandant (italien) tout seul de l'opération qui a pris cette décision. Le contre-amiral Enrico Credendino est un officier de marine expérimenté qui dirige depuis le début l'opération. Il a, de ce fait, une bonne connaissance à la fois du dispositif politique, de son évolution, et un sens très marqué de la discipline et du rapport à la hiérarchie. Il est venu rendre compte à plusieurs reprises aux décideurs. Cette évolution, intrinsèque, du mandat, est une décision européenne. La chaîne de commandement (au plan politique) est claire : elle remonte au Haut représentant et aux Etats membres, via les ambassadeurs du Comité politique et de sécurité (COPS). En citant le commandement italien, la ministre allemande de la Défense (qui connait parfaitement ces procédures) vise aussi (et surtout) le gouvernement italien.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Un point dénié par certains officiels, le doigt sur le texte donnant le cadre de la mission, mais dont je peux attester qu'il a été le moteur et le point essentiel de l'opération à son démarrage et ... jusqu'à l'avènement du nouveau gouvernement de coalition en Italie.

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(Mis à jour le 25.1 - commentaires pour éclairer le contexte de l'opération + lien avec la vidéo de l'interview)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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