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‘Ite missa est’ pour l’opération Sophia ?

(B2) La messe est-elle dite pour l'avenir de l'opération Sophia ? A écouter Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen chargé des Migrations, on n'est pas loin de la fin... même si celui-ci en défend encore l'utilité. Et ce pessimisme n'est pas contredit par les faits dont B2 a connaissance

(crédit : Armada espagnole)

Le commissaire chargé des Migrations (de nationalité grecque) était devant la presse ce mercredi (23 janvier) midi pour rendre compte de la réunion du collège (Commission européenne). Il a été, en 2015, un des premiers (avec Federica Mogherini) à défendre l'utilité de l'opération maritime de l'Union européenne afin de lutter contre les trafics en Méditerranée (alias EUNAVFOR Med ou Sophia). Aujourd'hui, l'avenir semble sombre.

Ayons foi dans l'opération

« La foi » dans l'opération est intacte a assuré le commissaire. « L'opération Sophia est une réussite. Grâce à cette opération, on a vu le nombre de passeurs diminuer. On a pu décourager ainsi les gens d'effectuer le voyages de manière dangereuse dans la Méditerranée. » Et « selon moi, cette opération devra continuer ». NB : un point de vue, officiellement partagé par les ministres de la Défense de l'Union.

Un coup dur allemand

Le retrait allemand de l'opération (lire : L’Allemagne se retire de l’opération Sophia) est un coup dur. Mais le commissaire n'en laisse rien paraitre. « Le retrait du navire allemand [la frégate Augsburg] était prévu en février. L'Allemagne continue de participer à l'opération. Rien ne dit qu'un navire ne sera pas rendu disponible dans le futur. »

Si l'Italie veut arrêter, à elle de le décider

Sur le futur de l'opération, Dimitris Avramopoulos est plus furtif. Cela « dépend des États membres. C'est à eux de prendre la décision au final ». Et d'avouer : « Si l’Italie qui est aux commandes de l'opération décide d’arrêter l’opération, c’est sa décision » (1). C'est clair, c'est franc, et c'est la réalité.

La fin de l'opération est-elle inéluctable ?

Un problème hautement politique

En pratique, tout le monde le sait, « il y a un problème, bien connu, qui n'a rien à voir avec l'opération » comme l'a rappelé à B2 un diplomate européen. Il s'agit d'avoir un accord global sur le paquet migratoire (le mécanisme de Dublin), la répartition des demandeurs d'asile dans les pays, et éventuellement d'avoir un mécanisme de répartition temporaire des réfugiés et migrants débarqués des bateaux. « Les contacts sont en cours entre États membres » nous a-t-on assuré.

Pas de solution possible avant mars ?

En fait, le temps presse. L'opération a été prolongée jusqu'au 31 mars. Et, pour l'instant, le point n'est ni à l'ordre du jour de l'informelle des ministres de la Défense ou des affaires étrangères (fin janvier à Bucarest) ni des ambassadeurs du Comité politique et de sécurité. La question est hautement politique. Il faut attendre ... « le sommet européen de mars » me confie un bon connaisseur du dossier. « On verra alors si les chefs d'État et de gouvernement » sont capables de « trouver une solution ».

Un défi dans le maelstrom électoral

Le paris sont ouverts. Mais dans les couloirs, difficile de trouver un optimiste. « Durant les derniers mois, malgré tous les efforts, il a été impossible de trouver une solution » poursuit notre source. La reconduction en décembre de l'opération juste pour trois mois s'est faite aux forceps (lire : Le cadeau de Noël des 28. L’opération Sophia prolongée de trois mois). Et « à moins d'un changement majeur, je ne vois pas ce qui pourrait changer la donne ». Au contraire, plus on tarde, « plus on se rapproche de l'échéance électorale. Plus cela risque d'être difficile ».

Adieu Sophia ?

Dans quelques semaines, et encore plus en mars, nous serons en plein maelström électoral. Dans ce contexte, pour Matteo Salvini et d'autres responsables italiens, donner un coup d'arrêt à l'opération Sophia ressemble à du pain béni. On peut à la fois critiquer l'opération comme un facilitateur d'entrée de migrants (NB : ce qui est faux), se flatter d'avoir contraint les Européens à abaisser leur pavillon et crier un petit cocorico national (2). Tellement facile que ce serait bête de s'en priver.

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Leonor Hubaut)

  1. Enzo Moavero Milanesi, le ministre italien des Affaires étrangères, a cru bon de réagir : « l'Italie n'a jamais demandé la fermeture de Sophia. [Nous avons] appelé à une modification des règles relatives au débarquement des personnes secourues en mer, en cohérence stricte et appropriée avec les conclusions du Conseil européen de juin 2018. Les accords d'avril 2015 prévoient qu'ils sont toujours débarqués en Italie, tandis que le Conseil européen de juin dernier a exhorté les pays de l'UE à partager pleinement toutes les charges liées aux migrants. »
  2. Quitte à ce que soient des bateaux italiens qui reprennent le boulot sous la bannière verte, blanche, rouge

Lire aussi : Rome veut-il tuer l’opération Sophia ? Paris acquiesce secrètement

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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