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Trump tâcle le projet Macron d’armée européenne. A-t-il raison ?

(B2) Le président américain Donald Trump n'a pas aimé la dernière proposition de Emmanuel Macron sur l'armée européenne. Et il l'a exprimé vertement, à son arrivée à Paris pour célébrer le centenaire de l'armistice du 11 novembre 1918. A-t-il tout à fait tort ?

Loin de la belle image de la célébration de l'anniversaire des US Marines, le président américain a renoncé à se déplacer dans l'Aisne pour rendre hommage aux soldats tombés à Bois Belleau en 1918 (crédit : Maison Blanche)

« Le président français (Emmanuel) Macron vient de suggérer que l'Europe construise sa propre armée afin de se protéger des États-Unis, de la Chine et de la Russie. C'est très insultant. Mais peut-être que l'Europe devrait tout d'abord payer sa part équitable à l'OTAN, que les USA subventionnent énormément » indique Donald Trump dans un tweet publié vendredi (9 novembre) au soir. (1)

Cette colère est-elle justifiée ou du moins explicable ?

On peut trouver le propos de Donald Trump relativement impoli à son arrivée à Paris. Mais il répond, brutalement, à une déclaration d'Emmanuel Macron faite quelques jours plus tôt au micro d'Europe 1, tout aussi abrupte (lire : Face aux menaces, Macron propose une armée européenne. Un vieux ou un jeune phantasme ?).

Même si l'Elysée s'en défend et cherche à déminer le terrain, quand on écoute attentivement l'intervention du président de la République qui déroule un fil tout seul, sans être interrompu par des questions, il y a réellement une certaine novation dans les relations USA-France qu'on n'avait pas vécue depuis Jacques Chirac et la crise irakienne en 2003.

Est-ce la mise sur le même pied que la Russie et la Chine qui irrite l'Américain...

En mettant au même plan « la Russie, la Chine, et même les États-Unis » comme les raisons de protéger l'Europe, puis en développant la nécessité « face à la Russie », d'avoir « une armée européenne », d'avoir « une Europe qui se défend davantage seule, et sans dépendre seulement des États-Unis et de manière plus souveraine », Emmanuel Macron a non seulement fait franchir un pas à une doctrine française réticente à cette idée d'armée européenne, mais il a également mis en cause le rôle d'allié fiable des Etats-Unis. C'est d'une certaine façon la réponse du berger à la bergère Trump qui rangeait l'Union européenne au rang d'adversaire. Mais un cran au-dessus (2).

... ou un petit désir d'émancipation des Européens

Le propos du président français révèle que l'Alliance atlantique (3) ne suffit pas à protéger les Européens. Amorcer une autonomie européenne plus grande, comporte en germe, une atteinte à ce qui, pour les États-Unis, est vital : sa suprématie. C'est aussi une petite entaille au principe de l'America First soutenu par le président américain. NB : Encore faut-il que ce projet d'armée européenne soit suffisamment sérieux et puisse être mené à terme, c'est une autre histoire (lire article à suivre).

Trump a-t-il raison quand il dit que les Européens ne paient pas assez à l'OTAN ?

Non. C'est faux. C'est une vieille rengaine de Trump qui confond, sciemment, la contribution au budget de l'OTAN et l'effort de défense de chaque État membre. Pour le budget (civil et militaire) de l'Alliance, la contribution 'directe' des USA est à peine supérieure à un cinquième (22%) du budget de l'Alliance, tandis que les Européens assument 2/3 du budget, le reste étant assumé par les pays hors UE. La seule contribution franco-allemande dépasse la contribution américaine, s'établissant à 25% du budget de l'alliance. Cette contribution est plutôt juste puisqu'elle fondée sur le produit intérieur brut de chaque pays.

Sur les budgets de défense, les USA sont en pointe cependant ?

Sur l'effort de défense, ce qu'on appelle la contribution 'indirecte' à l'Alliance atlantique, c'est une autre question. C'est un fait que le budget US de défense représente la nette majorité (2/3) de l'ensemble des dépenses des autres pays de l'Alliance (UE + Canada, Turquie, Norvège inclus). Sur ce point, Trump a raison, les Américains dépensent largement plus que les Européens.

Mais il faut pas oublier qu'une grande partie du budget américain de défense ne sert pas et n'est pas destinée à l'Europe. Il permet de remplir des tâches primordiales pour l'intérêt national US : d'une part, la place de premier plan, que les USA entendent assumer au plan mondial ; d'autre part, les fonctions classiques de sécurité intérieure (jusqu'au déploiement de militaires sur la frontière mexicaine par exemple). Enfin, il ne faut pas oublier le rôle moteur du budget militaire US en tant que facteur de croissance économique par ses commandes à l'industrie nationale, les USA achetant peu à l'étranger, contrairement aux Européens.

En fait, si on regarde cela d'un point de vue purement économique, la contribution américaine à l'OTAN (près de 500 millions d'euros par an) est un très bon investissement, puisqu'il est largement rentabilisé par les achats européens aux Américains.

Mais les Américains s'investissent en Europe ?

C'est un fait. Les Américains restent investis dans la sécurité européenne, d'une part car les Européens sont incapables de s'entendre entre eux pour avoir une force commune de défense ; d'autre part, car les Américains estiment que la sécurité du territoire européen est une partie de leur sécurité. D'où un effort supplémentaire, engagé sous le président Obama avec l'initiative de dissuasion européenne (European Deterrence Initiative) dépassant 4 milliards $ en 2017 pour renforcer la présence en Europe (Lire : Les Etats-Unis veulent quadrupler leur budget de présence en Europe. Faute d’Européens…). (3)

N'y-a-t-il pas un double langage américain ?

En effet. On est dans un double langage, assez classique outre Atlantique. D'un côté, les Américains ne cessent d'appeler, sur tous les tons, les Européens à être responsables, à dépenser davantage. Mais dès qu'il y a un quelconque projet de l'Europe dans ce sens, les mêmes s'efforcent de miner de l'intérieur le projet, de le rabrouer vertement de façon extérieur ou de hurler au protectionnisme. On avait vu les mêmes alarmes américaines se mettre en branle lorsque les Européens ont mis en place un Fonds pour la recherche et le développement industriel de défense (lire : Quand les Américains critiquent les Européens : Ignares ou roublards ?).

A part un bon mot, ce tweet a une vertu : noyer immédiatement toute velléité d'autonomie stratégique européenne, perçue à Washington comme un danger. Pour Donald Trump, un Européen est, en fait, juste bon à payer et acheter du matériel US, voire à contribuer à des opérations décidées par lui.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. "President Macron of France has just suggested that Europe build its own military in order to protect itself from the U.S., China and Russia. Very insulting, but perhaps Europe should first pay its fair share of NATO, which the U.S. subsidizes greatly!"
  2. Le propos de Macron est un cran au-dessus de la position de l'Américain, puisque celui-ci ne visait que le rôle commercial de l'Union européenne, là où le Français attaque la puissance protectrice (militaire) des USA.
  3. Il ne faut pas oublier l'effort notable des Européens dans l'intervention de l'OTAN en Afghanistan, voulue et décidée par les Américains, après les attentats du 11 septembre 2001, les Européens fournissant (tous pays confondus, Danemark et Royaume-Uni inclus) environ 1/3 des effectifs — ce qui n'est pas négligeable — et subissant 25% des pertes.

(mis à jour avec la note sur l'Afghanistan)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Trump tâcle le projet Macron d’armée européenne. A-t-il raison ?

  • Jean Paul PERRUCHE

    Evidemment, tout ce que les Américains ont fait pour pour la sécurité de lEurope depuis 1917, ne l’était pas par pure amitié pour les Européens mais d’abord et avant tout pour renforcer la puissance américaine et étendre l’influence des Etats Unis au niveau mondial. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, c’est la volonté de domination (l’impérialisme qui se dissimule derrière le vocable de leadership) qui anime la politique américaine. Il s’agit donc d’empêcher l’émergence de puissances concurrentes. C’est ainsi qu’après la deuxième guerre mondiale, les Américains ont aidé les Européens ruinés par la guerre à se relever (par le plan Marshall entre autre), mais seulement jusqu’à la position “à genoux”. N’oublions pas qu’après la chute de l’URSS, les Américains désignaient l’Europe comme le “peer competitor”. Trump n’est que le continuateur peu délicat d’une politique qui n’est pas nouvelle!!

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