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La guerre d’Ukraine, des enseignements intéressants

(B2) Le conflit dans l'Est en Ukraine est « intéressant » en termes de retour d'expérience. Ce conflit légèrement oublié a été dévastateur en termes de pertes humaines. Et la 'défaite' des Ukrainiens, dans la première année de guerre 2014-2015, face à des troupes théoriquement plus faibles en nombre, recèle plus d'un enseignement selon les militaires français

Troupes ukrainiennes lors de l'exercice Saber Junction 2018 (crédit : Ministère de la défense de l'Ukraine)

« C’est un conflit intéressant pour nous, aux caractéristiques dimensionnantes, tant dans le domaine capacitaire que dans celui de la préparation opérationnelle », a ainsi indiqué le général Pascal Facon, chef du CDEC (centre de doctrine et d’enseignement du commandement) de l'armée française devant les députés français fin septembre (1). « Nous devons être prêts à nous engager dans un conflit approchant la haute intensité et les caractéristiques observées dans l’est de l’Ukraine. »

Une bataille de blindés

« Ces combats ont opposé 30.000 Ukrainiens, déployant environ 2000 véhicules blindés d’infanterie et 600 chars, faisant face à 2000 combattants séparatistes équipés de véhicules blindés, souvent récupérés sur leurs adversaires. »

  • Enseignement : « c’est une bataille de blindés qui justifie la réflexion d’aujourd’hui sur l’après-char Leclerc, le programme Main Ground Combat System (MGCS) ».

Un grand nombre de blessés

En février 2015 « au moment où le front s’est stabilisé, on comptabilisait 5300 morts et 12 000 blessés ». En moins d'une année de combat. « Ce qui dépasse les taux de pertes de nos opérations actuelles. »

  • Enseignement : « nous devons, à l’aune de ce retour d’expérience, nous préparer à gérer un nombre important de blessés ».

Un faible entraînement + peu de volonté de combattre

Les forces ukrainiennes avaient un « entraînement limité ». « Des durées de formation trop courtes et des équipements individuels inadaptés – sac à dos, chaussures, protections individuelles, trousses de première urgence inexistantes, transmissions non sécurisées – ont affecté initialement leur volonté de combattre. »

  • Enseignement : « au premier stade de l’endurance, il y a donc l’équipement du soldat et l’entraînement dont il a bénéficié. Mais il y a aussi la force morale ».

Une image dégradée des forces armées

En Ukraine, « les forces ukrainiennes semblent avoir été surprises par les événements dans le champ de la mobilisation. 50 % des effectifs attendus ne se sont pas présentés. [...] L’image parfois dégradée des forces armées au sein de la population a eu une influence évidente sur son efficacité. Cet état de fait a poussé les jeunes à rejoindre des bataillons de volontaires dont le volume total a atteint 7000 hommes, plutôt que d’entrer un processus de mobilisation ».

  • Enseignement : « l’importance qu’il convient d’accorder aux facteurs de résilience d’une société, à sa capacité à cultiver l’esprit de défense, son « esprit guerrier ».

Des forces peu agiles

Les Ukrainiens « ont probablement éprouvé des difficultés à mesurer qu’une action qualifiée de lutte antiterroriste pouvait dériver vers un conflit localement de haute intensité ».

  • Enseignement : « au regard des conflits récents, l’agilité, envisagée sous l’angle de l’adaptation au changement et sous l’angle de la capacité à se reconfigurer, s’impose comme un facteur essentiel ».

Inutile d'avoir de gros moyens si on n'a pas de maintien en condition opérationnelle

Fait intéressant : « 'sur le papier', les Ukrainiens disposaient d’une supériorité matérielle indiscutable avec 2300 chars, 3800 blindés et 3100 pièces d’artillerie, mais, du fait des conditions de stockage de leurs matériels et de procédures de maintien en condition inappropriées, la disponibilité technique opérationnelle (DTO) n’excédait pas 60 % au début des combats ».

  • Conclusion : « la masse, sans le maintien en condition opérationnelle (MCO), ne sert à rien ».

La puissance de l'artillerie sol-sol et sol-air

« Durant les affrontements, deux régiments ont été détruits à 70 % en l’espace de six minutes par des lance-roquettes multiples. »

  • Enseignement : « nous avons redécouvert la puissance de l’artillerie sol-sol et sol-air, l’effet de masse que cette arme procure dans des affrontements de haute intensité et la permanence des feux qu’elle assure ».

Disposer de contre-feux

Dans l'Est de l'Ukraine, « l’artillerie sol-air séparatiste a littéralement interdit, en détruisant les aéronefs ukrainiens, la libre disposition de l’espace aérien, pourtant indispensable pour assurer l’appui des troupes au sol. »

  • Enseignement : « La guerre de haute intensité met en lumière l’importance du déni d’accès et la nécessité de disposer de moyens permettant de le contourner pour accéder à un espace de manœuvre. La puissance des feux indirects repose aussi sur des capacités dans le domaine des radars de contre-batterie et dans la lutte anti-drones, qui constitue le premier stade de la lutte permettant de se soustraire à la contre-batterie adverse ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Voir le compte-rendu de séance de la commission Défense de l'Assemblée nationale du 25 septembre

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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