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Qui en Europe exporte des armes vers l’Arabie saoudite ? Paris est-il un partenaire privilégié de Ryad ?

(B2) Selon les derniers chiffres compilés par l'Union européenne dans son 19e rapport sur les licences d'exportation d'armes, pour l'année 2016, c'est la France qui l'emporte toutes catégories confondues dans le commerce avec l'Arabie Saoudite

L'Arabie saoudite un partenaire important pour les Européens (crédit : Commission européenne)

Nous avons pris en compte non seulement le dernier rapport de l'Union européenne, mais afin de relativiser les chiffres, les deux précédents. Dans les trois cas, la France est outrageusement en première position, même si (de façon très bizarre), le chiffre des ventes réelles reste très en-deçà du chiffre autorisé.

L'Arabie saoudite, partenaire privilégié pour la France

215 licences ont été octroyées en 2016 pour un montant global de 13,8 milliards d'euros, et réalisé cette année-là 1,08 milliard d'exportations (*). Ce qui représente un tiers des licences autorisées dans l'UE et du montant réel exporté pour l'année, et près de neuf dixièmes (87%) des montants autorisés dans l'Union européenne. Les 28 États membres ont, en effet, autorisé les exportations pour un montant global de 15,8 milliards d'euros (607 licences) et exporté réellement 3,22 milliards d'euros.

Un champion toutes catégories d'exportations d'armes

L'hexagone a exporté en 2016 un peu dans toutes les catégories : des navires (2,62 milliards), des aéronefs (343 millions d'euros), des munitions, des torpilles, des armes d'un calibre supérieur à 20 mm (2,98 milliards), de la technologie militaire (1,31 milliard), du matériel électronique (507 millions), du matériel d'imagerie (265 millions), et même des agents chimiques ou biologiques toxiques (6,3 millions), etc.

Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Bulgarie et Espagne

Suivent (loin derrière) le Royaume-Uni pour un montant de 613,2 millions d'euros (134 licences), l'Allemagne avec 529,7 millions (164 licences), et l'Italie avec 427,4 millions (16 licences).

En cinquième position — contrairement à ce que l'on pourrait penser —, ce n'est pas l'Espagne avec 154,8 millions (10 licences), mais la Bulgarie avec 203,7 millions (32 licences). Sofia vend essentiellement des armes (moins 20 mm et plus de 20 mm) et des munitions à l'Arabie saoudite, qui auraient été rétrocédées, selon certaines sources, aux troupes soutenues par la monarchie.

Si on descend d'un cran, dans les pays qui ont un niveau moyen d'exportation, on trouve la Belgique avec 33,5 millions d'euros (13 licences), la Pologne avec 29,8 millions, la Roumanie avec 16,6 millions (5 licences), la Rép. Tchèque avec 12 millions.

Enfin, certains pays exportent peu ou à peine : les Pays-Bas avec 21.400 euros (1 licence), le Portugal avec 24745 euros (1 licence), le Danemark 2774 euros (1 licence), etc.

18 refus de licences

En 2016, 18 licences ont été refusées par les États membres pour trois motifs essentiellement : matériel pouvant servir à des violations des droits de l'Homme et du droit international humanitaire, risque pour la stabilité régionale, risque de détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays ache­teur ou de réexportation. Un seul refus évoque la proximité avec des groupes terroristes.

En 2014 et 2015, la France reste en tête

Trois quarts des licences d'exportations

En 2014, la France, domine déjà, étant à la première place des exportations d'armes vers l'Arabie Saoudite, en signant des licences d'exportations pour une valeur de 2,7 milliards d'euros (au travers de 188 licences d'exportation), sur une valeur totale de 3,9 milliards euros (soit 72% du total). La valeur déclarée des exportations cette année-là s'établit à 644 millions, dans quasiment toutes les catégories d'armes (sauf les matériaux énergétiques).

Elle est suivie par son voisin belge, qui signe pour 397 millions (50 licences), l'Allemagne pour presque 209 millions euros (187 licences) et l'Italie pour 163 millions (64 licences). Plus loin, on retrouve la Bulgarie pour 85 millions euros (9 licences) et le Royaume-Uni pour 83 millions (175 licences). Puis l'Espagne, qui signe avec Ryad 69 millions (11 licences) et la Slovaquie à hauteur de 60 millions d'euros (7 licences).

Un bond en avant en 2015

En 2015, la France était déjà en tête, en signant pour un total de 16,8 milliards d'euros (219 licences), sur un total européen de 22,2 milliards euros (835 licences). Elle assure ainsi 76% du montant des licences d'exportation autorisées dans l'Union européenne, même si elle ne déclare avoir cette année-là exporté que pour 900 millions d'euros.

Elle est suivie, de loin, par le Royaume-Uni avec 3,3 milliards (228 licences), ce qui constitue un réel bond en avant. L'Espagne, a elle, octroyé des licences pour 584 millions d'euros (18 licences) et la Belgique pour 576 millions (34 licences). Suivent également de près Berlin, pour 270 millions (138 licences) et Rome, pour 257 millions (110 licences). La Bulgarie reste aussi un partenaire régulier, ayant autorisé des exportations à hauteur de 101 millions (23 licences) et la Croatie à 100 millions (8 licences).

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Aurélie Pugnet, st.)


Des statistiques à utiliser avec précaution

Précisons que ces statistiques ont une valeur relative. Certains pays 'oublient' de remplir certaines cases. C'est le cas de l'Allemagne ou du Royaume-Uni qui ne déclarent aucun montant des exportations réellement faites (un oubli régulier du côté de Londres). De fait, reconnait elle-même l'Union européenne, ces statistiques ne sont pas tout à fait fiables. Elles sont établies « différemment selon les États membres. Aucune norme uniforme n'est utilisée ». Selon les procédures nationales en cours sur les exportations d’armes ou de « protection des données », tous les pays ne « soumettent les mêmes informations ». Ces statistiques ont cependant un mérite : permettre un minimum de comparaison au niveau européen et obtenir des informations (au moins globales) qui ne sont pas données par tous les pays.


(*) Ce chiffre peut recouper les exportations réellement faites dans l'année (correspondant à des licences précédentes) comme le montant réellement payé (en cas d'étalement des paiements). Certaines autorisations d'exportations ne donnent pas nécessairement lieu à contrats.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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