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Quelques observations sur l’affaire Benalla

(B2) Les mots 'affaire d’État' ne sont pas surestimés quand est évoquée l'affaire 'Alexandre Benalla', du nom de ce 'conseiller' de la présidence de la République pris sur le fait en train d'intervenir lors d'une manifestation du 1er mai pour arrêter de façon 'musclée' deux personnes. Plusieurs points interpellent

Ce n'est pas en soi un matraquage 'borderline' ou l'usurpation de signes de police qui sont en soi inquiétants, mais l'immixtion d'une personne privée dans le système public de sécurité, sur décision propre de l'Élysée, et son entêtement à nier tous les faits jusqu'à que l'affaire éclate. Dans cette affaire, s'il y a eu dérive, ce n'est pas d'un homme, mais d'un dispositif gouvernemental.

1. Qu'un conseiller du président assure la liaison avec les équipes de sécurité, c'est la logique même d'une équipe de pouvoir. Qu'il se mêle de sécurité sur le terrain, se rende sur place, casqué, équipé d'un brassard de police, pour aller voir de près une manifestation d'opposants, est pour le moins étrange, et y intervienne de sa propre initiative alors que des forces de police étaient bien présentes sur place et qu'il n'y avait pas de raison propre (légitime défense ou danger d'autrui) d'une intervention.

2. Confier à un inconnu qui n'a aucun passé ni expérience attestée ni légitimité officielle (1) la sécurité du président de la République plutôt qu'une équipe spécialisée, composée de personnes expérimentées, encadrées, soumise à un cadre disciplinaire, constitue le premier plan d'une faute politique. Soit on estime que le GSPR — le Groupe de sécurité de la présidence de la République — est incapable, incompétent... Il est alors dissous ou réformé. Soit c'est cette institution qui est chargée de la sécurité.

3. L'absence de sanction réelle lorsque les faits sont révélés est pour le moins symptomatique d'un sentiment d'impunité, qui révèle une totale déconnexion de la réalité. La défense pour le moins confuse de l'exécutif pose plus de questions qu'elle n'en résout.

4. Venir reprocher à des responsables de la police d'avoir obéi à un conseiller de l'Élysée est pour le moins troublant. Dans la verticalité de la République (qui n'est pas née avec l'arrivée de Emmanuel Macron), quand un conseiller de l’Élysée émet une demande, il est souvent difficile à un fonctionnaire, même un haut fonctionnaire, de le refuser de façon délibérée. Il n'y a pas dérive ou copinage, mais juste le respect de la règle hiérarchique de la Ve république.

5. On avait connu Emmanuel Macron beaucoup plus tranchant et sans pitié à l'égard du chef d'état-major des armées, qui n'avait fait que son devoir, même s'il avait exprimé certains désaccords politiques. Sa mansuétude, voire une défense mettant en cause l'opposition ou la presse est surprenante, voire inquiétante.

La suite de cette affaire est inconnue. Mais ce qui est sûr c'est qu'elle brise l'image de 'nouveau monde', de transparence, de modernité que voulait incarner et installer Emmanuel Macron. Tel un miroir qui se brise, l'affaire Benalla a ainsi un retentissement largement plus large que les faits qu'elle recèle qui, en l'état, sont assez bénins au regard d'autres 'affaires d'État' qu'a connu la Ve république.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) L'absence de nomination au journal officiel en est témoin

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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