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La JEF pleinement opérationnelle, concurrente ou complémentaire à l’Initiative européenne d’intervention ?

(B2) Les neuf pays participants ont signé vendredi (28 juin) la déclaration de pleine opérationnalité de la force expéditionnaire commune (Joint Expeditionary Force - JEF), qui est ainsi pleinement opérationnelle.

Qui rassemble-t-elle ?

Cette force, créée sous impulsion britannique, regroupe essentiellement les pays du nord de l'Europe : outre le Royaume-Uni, y participent le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas et les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie). La lettre d'intention avait été signée lors du sommet du pays de Galles de l'OTAN en septembre 2014.

Qu'ont ces pays en commun ?

Même s'ils paraissent dissemblables, tous ces pays affichent un certain lien atlantique (même si deux d'entre eux ne font pas partie formellement de l'OTAN), y compris dans le cadre des équipements militaires. Ils affichent une réticence très nette vis-à-vis des velléités russes et ont une préoccupation affirmée sur la bordure nord de l'Alliance (arctique et baltique). Ils partagent aussi en commun d'avoir une vision de la stabilité à la fois en termes militaires que de développement, le sens de l'intervention pouvant ne pas se traduire uniquement par une intervention militaire ; mais ne répugnent pas (pour la plupart) à l'engagement armé. Enfin, ils ne sont pas exclusivement tournés exclusivement vers l'Est, ayant un tropisme affirmé pour la stabilité au Moyen-Orient ou en Afrique.

Pourquoi une nouvelle force ?

Le ministre danois de la Défense, Claus Hjort Frederiksen, l'a assez bien rappelé lors de la signature : il faut avoir la « capacité de prendre des décisions rapides et d'agir dans un monde imprévisible » entre des pays « qui défendent la liberté, la paix et la démocratie ». Ce qui justifie cette force est à la fois  « la situation au Moyen-Orient et l'action de la Russie sur la scène internationale qui ont rendu le monde et notre voisinage plus incertains ».

Quel est le champ d'action affiché de cette force ?

La force aura comme objectif de « répondre plus rapidement aux conflits émergents ou aux situations de crise, qu'il s'agisse d'efforts d'évacuation, d'aide humanitaire, de renforcement des capacités ou de déploiement dans des actions de combat réelles ».

Un air de ressemblance avec l'EI2 à la française ?

Sans conteste. Même si les deux projets ne sont pas comparables, le champ d'action de la JEF recoupe assez largement celui de l'initiative européenne d'intervention impulsée par les Français (EIE ou EI2). Elle regroupe d'ailleurs trois des pays de l'initiative française (Danemark, Pays-Bas et, surtout, Royaume-Uni). Et les moyens envisagés (formation, exercices conjoints ...) qui garantissent une capacité d'intervention pour réagir aux crises, semblent assez semblables. L'initiative française se distingue cependant par plusieurs aspects : une réflexion doctrinaire qui semble plus importante, un noyau dur qui est double (franco-allemand) au lieu d'être unique (britannique), une dominante européenne là où la JEF semble davantage tournée vers l'OTAN.

Quelques questions à se poser ?

Cette force va-t-elle doublonner avec d'autres ?

Entre nouvelles forces, nouveaux fora et nouveaux projets, le nombre de structures, projets, ou dispositifs européens visant plus ou moins à la même finalité : être en capacité de réagir rapidement. Outre la NRF de l'OTAN et les battlegroups de l'UE, dont c'est l'objectif primaire (mais qui n'ont jamais servi l'un comme l'autre), on retrouve, en effet, la brigade franco-allemande, et l'Eurocorps, l'initiative européenne d'intervention et la JEF, sans compter le projet de force expéditionnaire franco-britannique (Combined Joint Expeditionary Force ou CJEF), qui participent de la même approche.

Ce qui pose certaines questions, pratiques comme politiques. En cas d'urgence, qui part, quand, comment ? Dans quel 'panier' les pays qui participent à plusieurs initiatives vont-ils mettre leur poids ? Cela ne va-t-il pas se neutraliser ? N'y-a-t-il pas moyen de rationaliser, un peu, ces dispositifs, par exemple en faisant prendre le tour d'astreinte des deux dispositifs euro-atlantique et européen par ces groupes préconstitués ? Ces dispositifs sont-ils liés à une volonté d'imposer un calendrier national ou à une réelle volonté d'organiser une capacité de réaction ? Comment survivront-ils à la volonté politique d'un moment ou d'une personne ?

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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