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Que veut dire l’ordre donné par le Conseil européen aux navires des ONG ?

(B2) Au détour d'une phrase placée dans les conclusions du sommet des 29 et 29 juin, les 28 chefs d'État et de gouvernement, donnent un ordre comminatoire : « Tous les navires qui opèrent dans la Méditerranée doivent respecter les lois applicables et ne pas faire obstacle aux opérations des garde-côtes libyens. » Que veut-elle dire ?

Nous avons posé la question avec quelques collègues journalistes aujourd'hui à la Commission européenne. Car cette phrase, plutôt sibylline, est aussi extraordinaire. Elle s'adresse directement à des entités privées, hors de la juridiction de l'Union européenne (haute mer ou pays tiers). Ce qui est plutôt rare pour des conclusions d'un sommet européen. En déroulant le fil des questions-réponses, on peut résumer la doctrine européenne.

Cet ordre s'adresse-t-il à « Tous les bateaux en Méditerranée » ?

Non. La Commission reconnait que cette formulation est un peu trop large. « Oui, on aurait pu être plus précis. Ce n'est que dans la zone de sauvetage et de recherche en mer de Libye que ces ordres auront force de loi. »

Quelle est la ligne européenne vis-à-vis des garde-côtes libyens ?

Les aider à faire leur 'boulot'. « Tout bateau en mer doit respecter les lois applicables et ne pas empêcher les garde-côtes libyens d'agir. C'est en ligne avec ce que nous voulons à la Commission, c'est-à-dire casser le business model de trafiquants cruels, qui exploitent la misère humaine. Nous travaillons donc de concert avec les Libyens et les aidons à faire leur boulot dans leurs eaux territoriales et de zones de sauvetage et recherche en mer » explique un porte-parole de la Commission.

Les navires doivent-ils obéir aux ordres des Libyens ?

Oui, s'ils sont dans la zone libyenne de secours (MRCC). « Selon le droit international, celui qui coordonne le sauvetage en mer est responsable pour toute l'opération y compris le point de débarquement, la Libye a notifié sa zone maintenant, donc quand c'est MRCC Libye qui coordonne, tout bateau doit respecter ses ordres » Et le porte-parole d'ajouter (histoire d'être bien clair « Si la Libye dit qu'elle se charge d'un incident, [les garde-côtes libyens] ont le droits de revenir en Libye pour  débarquer [les personnes recueillies]. Il ne faut pas intervenir. [...] C'est dans ce sens que vont les conclusions. »

Les bateaux européens qui ont (déjà) recueilli des personnes en mer sont-ils obligés de débarquer ces migrants ou réfugiés en Libye ?

Non. « Pour les bateaux européens, il peut pas y avoir de débarquement dans un pays tiers qui n'est pas sûr. » Ce qui est le cas de la Libye. Cette règle s'applique à tous les navires engagés dans les opérations maritimes européennes (Thémis de Frontex, EUNAVFOR Med de l'UE) ou qui portent un pavillon européen (ou autre).

L'Italie est-elle obligée d'accueillir les migrants ?

Sur la fermeture des ports italiens, le porte-parole ne veut pas se lancer dans des « appréciations de fait ». « Cela dépend à qui appartient le bateau et où ont été secourus les migrants. » Mais il renvoie la balle sur Rome : « Si l'Italie est responsable, c'est à eux de trouver un point de débarquement, si c'est un autre acteur c'est à cet acteur. »

L'Italie est-elle toujours le port de débarquement ?

Pas automatiquement. « Rien dans le droit international ne dit que le pays qui coordonne un évènement [de sauvetage] doit aussi être le lieu de débarquement. Ce que nous avons voulu au niveau européen, c'est avoir davantage de coopération, parce que chacun veut une solution pour savoir quoi faire. »

Les prochaines étapes : d'ici la fin de l'été

« Pour les plate-formes de débarquement et la coopération en matière de recherche et de sauvetage, nous allons continuer les contacts avec l'OIM (l'organisation internationale des migrations) et le UNCHR (Haut commissariat aux réfugiés des Nations-unies). Un conseil informel la semaine prochaine pour faire un tour avec les Etats membres. Et nous allons prendre les prochaines étapes avant [la fin de] l'été. »

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Aurélie Pugnet st.)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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