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Zuckerberg préfère un semi huis clos au débat démocratique

(B2) Le patron de Facebook Mark Zuckerberg est finalement venu ce mardi (22 mai) pour un échange avec les représentants des principaux partis politiques. Un simulacre d'audition assez inhabituel devant l'assemblée européenne, qui met régulièrement sur le grill les puissants comme les moins puissants

Une réception en petit comité, au sein de la conférence des présidents (crédit : Parlement européen)

Cette prestation laisse un goût amer, un semi-échec, à la fois pour tous ceux qui entendaient en voir rejaillir une certaine gloire. Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a marqué une faiblesse notable par rapport à l'industriel. M. Zuckerberg n'a pas vraiment brillé restant évasif dans toutes ses questions et semblant plus pressé de quitter la salle. De façon plus générale, on sent comme une certaine timidité européenne pour bousculer les géants de l'Internet, et mettre en place des solutions alternatives européennes. La commissaire  européenne Mariya Gabriel l'avouait elle-même : Ne perdons pas de temps à faire un google européen (Mariya Gabriel)

Une audition en cercles fermés

Les conditions même de cette audition laissent interrogatifs. Jusqu'à samedi, les échanges entre le patron de Facebook et les députés, déjà limités au cercle restreint de la conférence des Présidents et au rapporteur de la commission des Libertés publiques, devaient se tenir à huis clos. Des conditions (im)posées par l'équipe de Mark Zuckerberg et acceptées sans rechigner par le président du Parlement européen, Antonio Tajani.

« Le fondateur et PDG de Facebook a accepté notre invitation et sera à Bruxelles dès que possible, nous l'espérons déjà la semaine prochaine, pour rencontrer les dirigeants des groupes politiques et le président et le rapporteur de la commission des libertés publiques », Antonio Tajani.

Une réticence à venir s'expliquer

L'homme fort du plus gros réseau social avait déjà répondu avec beaucoup de réticences à l'invitation des députés européens à s'expliquer après le scandale Cambridge Analytica démontrant les lacunes dans la protection des données de ses utilisateurs. Il n'entendait pas que cet échange puisse se faire dans une audition publique. Un point accepté formellement par le président du Parlement européen (PPE) et une majorité des groupes (PPE et conservateurs) lors de la réunion de la conférence des Présidents le 16 mai.

Un format inacceptable

Le coté pour le moins anti-démocratique du procédé a choqué. Le leader des libéraux et démocrates Guy Verhofstadt a été un des premiers à réagir : « Je n'assisterai pas à la réunion avec M. Zuckerberg si elle se tient à huis clos. Ce doit être une audience publique » déclare-t-il sur twitter. « Et pourquoi pas un Facebook Live ? Je regrette vivement que le groupe @EPPGroup ait été complice de l'extrême droite pour tout garder à huis clos. »

« Il est pathétique que Zuckerberg promette plus de transparence, mais refuse de faire des déclarations publiques au Parlement européen » s'est alarmé également le vert allemand Sven Giegold, rapporteur du Parlement européen pour la transparence. « Facebook exploite une plate-forme publique et doit donc prendre la responsabilité publique de ses actions. »

Le leader du groupe social et démocrate, Udo Bullmann, a embrayé demandant que la réunion soit diffusée sur le web : « Les gens méritent de savoir comment Facebook utilise leurs données et comment ils ont été affectés par le scandale Cambridge Analytica ».

Même la commissaire européenne chargée de la Justice, Vera Jurova y est allée de sa critique, trouvant regrettable que l'audition ne soit pas publique.

La pression a joué à la marge

In extremis, lundi (21 mai), le président du Parlement européen, Antonio Tajani, annonce sur son compte twitter les nouvelles modalités de l'audition. La rencontre organisée ce mardi (22 mai), aurait lieu dans le format prévu au départ, en conférence des présidents, dans une petite salle, dans un petit cercle. Seule concession : elle serait retransmise en vidéo sur internet. Les députés membres ou suppléants de la commission des libertés publiques ont été ainsi contraints de regarder cette audition, comme tout le monde, via la vidéo en direct (webstreaming) ou... Facebook.

Un procédé dangereux pour la démocratie

Cette manière de faire pour recevoir un 'simple' dirigeant d'entreprise est pour le moins extraordinaire. On peut le comprendre quand une personnalité est 'menacée' ou qu'il y a un secret important à préserver (cf. encadré). Mais c'est un précédent dangereux pour l'institution européenne qui a pourtant fait de la défense des libertés publiques l'un de ses vecteurs d'action. Elle montre aussi que les conditions qui entourent une audition sont tout aussi importantes que la personnalité qui les délivre. Le simple fait d'être exposé à une salle publique oblige à un comportement plus respectueux que celui qu'a livré le PDG de Facebook qui a préféré quitter les lieux plutôt que répondre aux questions auxquelles il ne voulait pas répondre (lire : Zuckerberg au Parlement européen : déception et frustration. Le mea culpa ne suffit plus). C'est le fait démocratique.

 

(Nicolas Gros-Verheyde et Emmanuelle Stroesser)


Un double standard difficile à comprendre

Cette propension au secret est en effet difficile à comprendre pour une société cotée en bourse et présente largement en Europe. Mark Zuckerberg est plutôt un habitué des grands shows médiatiques. Et son passage sur le 'vieux' continent ne devrait pas être exempt de ces prestations publiques. Le PDG de Facebook sera ainsi sur scène le 24 mai à Paris, pour l'ouverture de la troisième édition du salon Viva Technology, organisé par Publicis et Les Échos, pour un 'live chat' durant 1h30. Et, là, pas question de faire du huis clos.

L'audition du Premier ministre somalien, autrement plus exposé que M. Zuckerberg à un risque physique, ou des auditions sur le système Echelon d'écoutes téléphoniques, autrement plus stratégiques en matière de secret défense, n'étaient pas entourées d'un tel luxe de précaution.


article mis à jour le 29 mai avec la référence à l'interview de Mariya Gabriel

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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