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Les Européens dépensent-ils plus pour leur défense. Et mieux ? Six observations

(B2) Nous avons effectué une lecture attentive des dernières statistiques produites par l'Agence européenne de défense. Même si elles ne concernent que les années 2015 et 2016, elles sont intéressantes. Voici quelques leçons qu'on peut en tirer, qui diffèrent sensiblement de l'ambiance officielle, toujours propice à l'optimisme.

Première leçon : Un déficit de presque 20 milliards par rapport à 2005

Malgré une remontée nette des dépenses de défense, les pays européens n'ont pas encore vraiment rattrapé les six années de restriction (2008-2013). Et ces chiffres doivent être pris avec beaucoup précaution, car ils se basent souvent sur les chiffres courants (hors inflation) et ne prennent pas en compte les élargissements. Si on tient compte des chiffres réels, la montée est moins rapide. Le déficit est encore de 18,4 milliards en 2016 par rapport aux chiffres de 2005.

Deuxième leçon : Une chute notable du poids de la défense dans le PIB en dix ans

Alors qu'en 2006, les Européens dépensaient 1,8% de leur PIB pour la défense, ce chiffre n'atteint en 2016 que 1,43%. Malgré toutes les augmentations de budget, et au coup de clairon entamé par les autorités otaniennes, il reste quasi stable durant les trois dernières années. Cela tient à deux éléments : certains grands pays n'augmentent que faiblement leur budget de défense, mais surtout l'augmentation de la croissance a annulé les gains de l'augmentation. Cela signifie que les Européens ont stabilisé la baisse mais qu'ils ne parviennent pas encore à récupérer les coupes franches réalisées dans les dernières années.

Troisième leçon : La défense variable d'ajustement des dépenses publiques

Représentant presque 4% des dépenses publiques en 2005 (3,88%), les dépenses de défense sont passées à presque 3% en 2014 (2,97%) pour remonter légèrement en 2016 au-dessus de la barre des 3% (à 3,08%).  Cette baisse confirme une impression ressentie dans nombre d'armées : dans l'effort des restrictions budgétaires, la défense a assuré davantage que sa part de l'effort.

Quatrième leçon : Une atonie de l'engagement extérieur

Le nombre de soldats déployés est en diminution constante. Il est aujourd'hui de 32.000, le chiffre le plus faible depuis dix ans (et de loin) ! Idem pour le coût en opérations qui a diminué de façon considérable, en quelques années : 5,3 milliards en 2016. C'est moitié moins que le pic de 2011 mais aussi au-dessous du montant de 6,7 milliards d'euros en 2006, avant le surge en Irak puis en Afghanistan et les grosses opérations de la PSDC en 2008-2009, et la crise financière.

Cinquième leçon : La faiblesse des investissements en recherche

Les dépenses de recherche et technologie (R&T) ont diminué régulièrement de 2006 à 2016, passant de 2,7 milliards d'euros à 2,1 ou 2,2 milliards d'euros, selon les années. Elle atteignent ainsi péniblement des taux de 1,06% (2015) et 1,0% (2016) des dépenses de défense contre 1,32% en 2006. Soit la moitié de l'objectif fixé. C'est insuffisant pour faire la différence.

Sixième leçon : Face à la crise financière le repli

Les différents 'benchmarks' (objectifs) fixés par l'Union européenne ne sont pas atteints, particulièrement en matière de travail en commun. Les marchés publics passés en commun atteignent péniblement 16% en 2015 contre près de 21% en 2006, soit environ la moitié de l'objectif fixé (35%). La recherche et technologie (R&T) assurée en mode collaboratif a baissé également, passant de 16,6% en 2008 (le pic le plus haut) à 7,2% des dépenses de R&T en 2015, loin de l'objectif des 20%.

Le travail en commun n'est donc non seulement pas développé, mais il régresse. Cela confirme que face à la crise financière, les États ont préféré assurer leurs appels d'offres en solo – leur permettant à la fois d'avoir une maitrise du calendrier, des spécifications... et du bénéficiaire final – que de recourir à des appels en commun, plus lourds à mettre en œuvre et plus risqués en termes de retour.

(Nicolas Gros-Verheyde)

En savoir plus, lire notre analyse complète sur B2 pro : Défense, Opex, Recherche… Combien l’Europe investit ? Les chiffres 2015 et 2016 analysés

Crédit photo : ministère de la Défense de Bulgarie - mai 2013

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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