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Des renforts français au Nord de la Syrie. L’Élysée dément du bout des lèvres mais offre sa médiation

Crédit : FDS - 2016

(B2) Les Français vont-ils s'impliquer davantage diplomatiquement et militairement dans le nord de la Syrie ?

Sur le premier volet, diplomatique, c'est clair. En recevant, jeudi (29 mars), à l’Élysée, une délégation des FDS, les forces arabo-kurdes (ou forces démocratiques syriennes), composée de huit personnes, le président français, Emmanuel Macron, a été particulièrement limpide. Sur le second volet, c'est plus mystérieux. Les Kurdes affirment que 'oui', les Français sont plus elliptiques.

Un soutien aux FDS

Emmanuel Macron a, en effet, assuré les « FDS du soutien de la France » afin de « stabilis[er] la zone de sécurité au nord-est de la Syrie ». Un soutien qui a un objectif « prévenir toute résurgence de Daech », et s'inscrit dans deux cadres, celui « d’une gouvernance inclusive et équilibrée »,  et « dans l’attente d’une solution politique au conflit syrien ». Une phrase qu'on pourrait croire juste destinée à faire beau mais qui prend une autre signification quand on examine ce qu'en disent les Kurdes.

Des soldats français à Minbej

A l'issue de la rencontre, une des représentantes kurdes, Asiya Abdellah, a été plus précise. Elle a ainsi annoncé que la France allait envoyer des soldats à Minbej, prochaine ville que le président Erdogan menace d'attaquer au nord de la Syrie et où des forces américaines sont aussi présentes. « Il y aura l'envoi de nouvelles troupes françaises à Minbej. La coopération va être renforcée », a-t-elle dit lors d'une conférence de presse, selon l'AFP. Un propos confirmé par le représentant du Kurdistan syrien (Rojava) en France. « Dans le cadre de la sécurisation de la reconstruction du nord de la Syrie, il y aura un renforcement du dispositif militaire français et d'autres pays à Minbej, pour la défense de Minbej », a précisé Khaled Issa qui faisait partie de la délégation reçue à l’Élysée.

L’Élysée dément ...

« La France ne prévoit pas de nouvelle opération militaire sur le terrain dans le nord de la Syrie en dehors de la coalition internationale anti-Daech (acronyme de l'EI en arabe) », a affirmé l'Elysée, selon l'AFP. Car la lutte n'est pas terminée. « Il faut poursuivre ce combat ensemble ». Car il y a toujours « des risques de résurgence de Daech ».

... un peu

(Commentaire) On peut noter que ce démenti n'est pas complet. Certes n'y a pas de nouvelle « opération militaire », sauf celles menées dans le cadre de la coalition. Ce qui est logique. La France ne va pas s'engager dans une opération 'solitaire' en faveur des FDS, c'est-à-dire contre les forces turques. Mais il n'y pas de démenti d'une présence sur place ni d'acheminer de possibles renforts.

Des forces spéciales déjà présentes en Syrie

Des forces spéciales françaises sont, en effet, déjà stationnées en Syrie. Elles participent discrètement, comme d'autres forces spéciales (britanniques, américaines...), dans le cadre de la coalition internationale dirigée par les États-Unis, notamment afin de guider les opérations aériennes contre les positions des forces de l’État islamique ou Al Qaida, de former les FDS ou de servir d'officiers de liaison. Mais la France reste ultra discrète sur cette présence et sur le volume déployé. « Il n'y a jamais de communication sur les mouvements de forces spéciales » répète régulièrement le porte-parole de l'état-major des armées, quand on l'interroge sur un fait précis. Ni démenti ni confirmation... sauf exception.

La France offre sa médiation entre Kurdes syriens et Turcs

La France insiste ainsi pour qu'un « dialogue puisse s’établir entre les FDS et la Turquie avec l’assistance de la France et de la communauté internationale », selon le communiqué officiel publié après la réunion. La France « continuera à tout mettre en œuvre, avec les pays principalement intéressés, pour progresser vers une transition politique inclusive en Syrie, seule à même de ramener la paix en Syrie et d’assurer la sécurité de la région » insiste-t-il.

Le combat contre le terrorisme n'est pas terminé en Syrie

Le dirigeant français a voulu aussi rendre un « hommage aux sacrifices et au rôle déterminant des FDS dans la lutte contre Daech ». Un hommage appuyé puisque couché noir sur blanc dans la communication élyséenne. Il a voulu aussi « réaffirm[er] la priorité de ce combat alors que la menace terroriste perdure ». NB : une pique sans le dire à la fois aux Turcs qui pilonnent les FDS mais aussi aux Américains qui se retirent de Syrie.

Une évolution du langage diplomatique

(Commentaire) On peut remarquer que le langage français a, légèrement, évolué depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à la présidence. Il n'est ainsi pas fait mention une seule fois du régime de Bachar el Assad, ni de son exclusion de la négociation. Le mot « avec les pays intéressés » permet d'éviter tout le jeu du blâme, courant avec François Hollande (notamment par son ministre Laurent Fabius). La France revient ainsi à une position réaliste si elle veut rester au centre du jeu.

Une Europe, brillant par son absence

On peut saluer la nette volonté française de s'impliquer comme médiateur dans le conflit, sans avoir d'a priori. Cette volonté de rentrer dans le jeu est louable. Mais on aurait pu souhaiter, ou espérer, une initiative européenne. Soutenir Staffan di Mistura, l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, est bien. Mais cela relève plutôt du service minimum (Lire : Syrie. Pour apaiser l’enfer sur terre, le cessez-le-feu doit être « réalisable » (De Mistura). Tout comme la décision d'envoyer de l'aide humanitaire ou d'imposer des sanctions (lire : Les sanctions de l’UE contre la Syrie : à peine un cautère sur un conflit sanglant). En appeler aux signataires d'Astana est assez révélateur de cette impuissance (lire : Sept ans de guerre en Syrie? Les Européens lancent un appel aux garants d’Astana pour mettre fin au conflit).

L'Europe peut rentrer dans le jeu mais le veut-elle ?

Les Européens auraient cependant les moyens de rentrer dans le jeu, autrement qu'en admonestant le régime de Bachar. Ne pas le faire revient à signer dans notre voisinage une abdication de notre politique diplomatique. Et laisser à la fois Moscou, Ankara et Téhéran, d'un côté ; Ryad et Washington, de l'autre, faire le jeu de la future Syrie. Les Européens étant appelés uniquement à la rescousse pour payer les pots cassés : accueillir les réfugiés ou soutenir leur maintien à distance (Turquie, Liban, Jordanie) ou financer l'aide humanitaire et la reconstruction.

 

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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