L’affaire Selmayr devient politique. Les socialistes agitent la menace d’une motion de censure
(B2) Les socialistes français au parlement européen ont décidé de faire de l'affaire Selmayr un 'dossier politique'. La cheffe de la délégation, Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, eurodéputée d'Ile-de-France a pris la tête de l'offensive.
Elle a fait partir ce jeudi (8 mars) une lettre adressée à Jean-Claude Juncker comme à la médiatrice européenne, Emily O’Reilly, plutôt salée. Ce n'est pas la première lettre envoyée par Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy. Elle avait envoyée fin février une demande d'information, qui a suscité une réponse plutôt longue et circonstanciée de Jean-Claude Juncker.
Une lettre qui confirme le malaise
Cette lettre longue et circonstanciée du chef de l'exécutif européen n'a pas rien fait pour rassurer les parlementaires. Au contraire ! Elle confirme de bien curieuses omissions, voire des mensonges éhontés. Un jeu troublant avec la vérité. Les socialistes voient rouge : « Nous ne pouvons pas nous départir de l’intime conviction qu’il y a là une violation claire des règles dont vous êtes le gardien ». Le débat qui avoir lieu en plénière la semaine prochaine « est important mais il ne suffira pas à établir la vérité ». Ils annoncent aussi « soutenir l’enquête de la commission du contrôle budgétaire du Parlement » comme saisir la médiatrice européenne.
Une motion de censure ?
La délégation des socialistes français, qui a toujours été la moins docile des délégations du groupe social et démocrate au parlement européen (avec les Belges), fait parler la poudre et agite une menace qui devrait, normalement, faire tilt dans la tête d'un ancien Premier ministre luxembourgeois (1) : la motion de censure.
« Après le glyphosate, après les affaires Barroso et Kroes, ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui l’affaire Selmayr met en danger l’avenir de la construction européenne et la crédibilité de l’institution gardienne des Traités. Nous mesurons la situation et sommes conscients que le résultat de ces enquêtes pourrait déboucher sur un scénario que nous ne pouvons pas exclure, celui d’une motion de censure d’une Commission que vous avez vous-même qualifiée « de la dernière chance ».
Une guerre picrocholine ?
Cette affaire de nomination, au regard des enjeux auxquels se mesure l'Europe aujourd'hui, peut apparaître une guerre picrocholine. Mais elle symptomatique d'un certain état d'esprit où les commissaires, enfermés dans une "bulle bruxelloise", affichent un certain mépris pour la gente environnante « qui ne peut pas comprendre ». L'affaire suit en effet une série de faux-pas, notamment les affaires Barroso bis et Kroes, où l'exécutif européen s'est souvent prêté des verges pour se faire battre, s'enfermant dans un pseudo-juridisme alors qu'il s'agit surtout d'éthique, de bonne foi et de franchise. La Commission Juncker pouvait, très facilement, se sortir de telles affaires — par exemple en ordonnant à ses fonctionnaires de ne pas avoir de contact avec JM Barroso. C'était facile, c'était éthique.
La Commission a allumé le feu
Dans l'affaire Selmayr, là encore, c'est la Commission qui s'est enferrée toute seule. En venant annoncer crânement, lui-même, la nomination de son protégé, Jean-Claude Juncker a rassemblé la paille et allumé le projecteur (2). En niant, puis en reculant, pas à pas, ses portes-paroles — qui agissent sur instruction étroite du chef de cabinet de Juncker et du secrétaire général — ont jeté de l'huile sur le feu. En assénant que toutes les règles avaient été respectées, « religieusement » (comme l'explique Margaritis Schinas), alors qu'en fait elles ont été contournées, les gardiens du temple européen, ont commis un pieux mensonge, voire un parjure.
Un parjure
L'entêtement de notre confrère Jean Quatremer qui, jour après jour — dans son blog 'les Coulisses de Bruxelles' et dans Libération —, a démonté chacune des affirmations officielles, a permis d'y voir plus clair (lire : Selmayrgate, la Commission reconnaît avoir menti). Au-delà de 'petites' entourloupes à la procédure administrative (3), on cerne comme une volonté de contrôler l'exécutif européen 'entre amis'. On ne se trouve pas placé face à une ambition importante et à un coup de maitre, mais à un coup d'état rampant, qui vise à contrôler l'exécutif européen par un certain nombre de personnes qui ont, pour la plupart, été dans l'équipe de l'ancien président, aujourd'hui honni, José-Manuel Barroso. Ce type de pratique n'est pas sain dans une administration qui doit non seulement être exemplaire, mais neutre politiquement.
Commentaire : Face aux menaces environnantes, l'Europe n'a pas besoin aujourd'hui de tels errements. La Commission Juncker doit se reprendre. Et vite.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) La Commission de Jacques Santer (ancien Premier ministre luxembourgeois) avait préféré en 1999 démissionner plutôt que d'affronter le risque d'un désaveu public du Parlement européen.
(2) Une déclaration d'autant plus exceptionnelle que le président Juncker descend très rarement dans la salle de presse de la Commission, alors qu'il n'a qu'un ascenseur à prendre pour se retrouver face à la presse.
(3) En voulant respecter la procédure, la Commission a voulu trop bien faire. On peut rappeler que l'appel à candidature interne pour la nomination d'un secrétaire général n'est pas la 'norme' dans les institutions européennes (comme dans la plupart des États membres). Ce poste, éminemment politique, est l'apanage du responsable de l'institution. Il est ainsi notamment au service diplomatique européen (SEAE) où c'est la Haute représentante qui nomme le secrétaire général. Une nomination qui est le fruit d'une négociation discrète. C'est souvent la contrepartie du soutien d'un grand État membre à la candidature du Haut représentant et d'un subtil équilibre politique. Au Conseil, la décision de nomination du secrétaire général appartient aux États membres ; une disposition expressément prévue par le Traité (article 240 TFUE).
En savoir plus
Télécharger
- la lettre envoyée à Jean-Claude Juncker, président de la Commission (8 mars)
- la lettre à Emily O’Reilly, médiatrice européenne (8 mars)
- la réponse de Jean-Claude Juncker (6 mars)
- la lettre envoyée au président de la Commission, Jean-Claude Juncker (28 février)
Le site de la délégation consacrée à l'affaire Selmayr
Lire aussi
Sur l'affaire Barroso bis :
- Goldman Sachs. Barroso viole ses engagements de ne pas faire de lobbying
- José-Manuel Barroso se paie une pantoufle en diamant aux dépens de l’Europe
Sur l'affaire Kroes :
Crédit photo : Commission européenne
Un manque de transparence dans le fonctionnement des institutions est nuisible et entraîne ipso facto une perte de crédibilité de celles-ci. Dés lors, il ne faut pas s’étonner d’un surcroît de méfiance des citoyens. Quel gâchis, c’est à vomir !
En France, le SG du Gouvernement est nommé par le Président – le Conseil de Ministres “entendu”.
Il est normal que la procédure de nomination des SG des Institutions européennes soit différente de celle des autres fonctionnaires et, de facto, laissée à la discrétion du Président.
Le seul point important et pertinent est celui de l’aptitude de la personne choisie à exercer ses fonctions, son engagement et son indépendance.
Il s’agit ici d’une “tempête dans un verre de bière” JGG