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Élargissement aux Balkans: le pont trop loin ?

(B2) La capacité d'intégration, le quatrième des critères de Copenhague sur l'élargissement de l'Union européenne, est souvent oubliée, ou mise de côté. Une erreur ... La relance du processus d'élargissement notamment aux pays des Balkans oblige à se poser cette question fondamentale estime Jean-Guy Giraud *. Le risque de voir l'UE se disloquer existe.

La Commission veut accélérer la négociation des chapitres de l'élargissement. La réunion des leaders des Balkans à Bruxelles en décembre autour de la Haute représentante et vice-présidente de la Commission Federica Mogherini en a été le témoin (crédit: Conseil de l'UE)

Le quatrième critère de Copenhague

« La capacité d’intégration de l’Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan d’intégration européenne constitue également un élément important répondant à l’intérêt général aussi bien de l’UE que des pays candidats ». Cette phrase fait suite - dans le texte - à l’énoncé des trois critères fixés par le Conseil européen de Copenhague (1993) pour l’adhésion de nouveaux États membres (1).

Elargir en tenant compte de la capacité d'intégration

En résumé, ce “quatrième critère de Copenhague” implique que toute décision d’élargissement doit être appréciée non seulement en fonction du respect des critères imposés aux candidats - mais aussi au regard de la capacité propre d’intégration de l’UE. La Commission a d’ailleurs précisé en 2006 : « L’adhésion d’un nouvel État doit être compatible avec le fonctionnement efficace des Institutions et des procédures décisionnelles de l’Union et ne pas remettre en cause les politiques communes et leur financement. »

Le quatrième critère de Copenhague a été largement ignoré/contourné dans le passé - et il semble devoir continuer à l’être lors des prochaines vagues d’adhésion.

Le risque de grossir sans réformer n'est pas à négliger

On peut énumérer les principales composantes de ce critère sous l’angle des problèmes que soulèvent les élargissements successifs de l’UE :

1. les risques de dysfonctionnement du Conseil (2), de la Commission (3), de la Cour de Justice (4) voire du Parlement au-delà d’un certain nombre de membres ;

2. la capacité de financement par l’UE des politiques communes (notamment les politiques de “cohésion”) face aux besoins de nouveaux États peu développés ;

3. la capacité physique des nouveaux États à satisfaire aux exigences de certaines politiques communes (Euro, environnement, concurrence, énergie,…) sans en freiner le développement ;

4. l’accroissement de la diversité politique, économique, sociale, culturelle, linguistique, …  entre les États ;

5. la multiplication du nombre des “petits” États qui doivent être traités de manière égale avec les “grands” ;

6. la perte de repères géographiques et culturels de l’opinion (“Quelles sont les frontières de l’Europe”) et l’affaiblissement consécutif de l’ "affectio societatis” européen ;

7. l’accroissement du risque de dissensions inter-étatiques et de désordres intra-étatiques ;

8. le freinage de la réalisation progressive de l’Union politique, notamment sur les plans de la diplomatie et de la défense ;

9. le respect des “valeurs” fixées par l’article 2 du Traité ;

10. l’impact géo-politique des élargissements vis à vis des puissances limitrophes (Russie) ;

11. le risque de fragmentation interne de l’UE en blocs géographiques (O/E, N/S) ou en cercles (olympiques ou concentriques), etc.

À l’heure où la Commission et le Conseil viennent de sonner la fin de la “pause” du processus d’élargissement (5) et s’apprêtent à le reprendre en fanfare avec les six États des Balkans (voire, à plus long terme, avec trois ou quatre États du "partenariat oriental") - il serait peut-être temps temps de prendre plus sérieusement en compte le quatrième critère de Copenhague. Et surtout de “consulter” l’opinion sur l’opportunité de cette deuxième vague d’élargissement. L’exercice des consultations démocratiques voulues par le président français Emmanuel Macron devrait en être l’occasion.

Les dirigeants des Institutions et des États ne devraient pas oublier que tout nouvel élargissement devra être approuvé par référendum dans plusieurs des États membres.

L’histoire enseigne que l’éclatement des empires est souvent causé par leur extension démesurée qui provoque une perte d’unité et de contrôle de l’ensemble. Où se situe - pour l’Union en tant qu’ “empire" politico-économique - le point de rupture “le pont trop loin” ? La question mérite au moins d’être posée.

(Jean-Guy Giraud)

* Administrateur du Parlement européen puis conseiller du Président, secrétaire général de la Cour de Justice puis du Médiateur de l’UE, directeur du Bureau du Parlement européen en France, Jean-Guy Giraud a été président de l’Union des Fédéralistes européens-France.

(1) L’article 49 TUE prévoit que ces critères « sont pris en compte par le Conseil européen ».

(2) Notamment la difficulté de parvenir à l’unanimité imposée au sein du Conseil européen et, pour les décisions les plus importantes, au sein du Conseil.

(3) Le principe d’un Commissaire par État membre a été maintenu par le Conseil européen en dépit des stipulations du Traité de Lisbonne (article 17§5)

(4) Par décision du Conseil, le nombre des juges du Tribunal (au sein de la Cour de Justice) a déjà été porté à … 56

(5) Pause décrétée jusqu’en 2019 par le président Juncker au début de son mandat - mais qui n’a nullement freiné les négociations en cours au niveau des services.

Rédaction de B2

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