B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Actu BlogMéditerranée

Cinq morts au large de la Libye. Les garde-côtes libyens mis en accusation (V2)

Les sauveteurs du Sea-Watch 3 en action, en arrière plan le navire des garde-côtes libyens (crédit : sea-watch)

(B2) Le « comportement violent et imprudent des gardes-côtes libyens a causé au moins cinq morts en Méditerranée centrale » lundi (6 novembre) au matin, dénonce l'ONG allemande Sea-Watch.

Un incident survenu dans les eaux internationales

À environ 7 heures, l'équipage à bord de Sea-Watch 3 (qui venait d'arriver dans la zone) a reçu un appel du Centre italien de coordination des opérations de sauvetage maritime (MRCC) de Rome. Un canot pneumatique venait de lancer un appel de détresse. L'incident s'est produit à 30 miles nautiques, au large des côtes, au nord de Tripoli, « dans les eaux internationales, loin des eaux territoriales libyennes » raconte l'ONG. L'équipage de Sea-Watch 3 est « arrivé sur place à peu près en même temps qu'un patrouilleur de la Garde côtière libyenne et a commencé à embarquer des personnes en détresse ».

Un navire français non loin

Un navire « de la marine française » était « présent » dans la zone (sans doute Le Premier Maitre L'Her qui vient d'arriver dans l'opération européenne EUNAVFOR Med). Conformément aux règles relatives de secours, les marins français ont proposé, au premier navire sur place (celui de Sea-Watch), leur « aide si nécessaire ». L'ONG a décliné l'aide s'estimant en capacité de pouvoir mener les secours : « Compris. Nous allons continuer vers la cible et nous appellerons si nous avons besoin d'aide. » Mais tout ne s'est pas déroulé selon ce qui était prévu ni les normes habituelles...

Un manque de coordination des Libyens

Les Libyens n'ont « pas cherché à se coordonner » avec le navire de l'ONG ni avec aucun autre navire semble-t-il présents dans la zone. Au contraire, ils « ont tenté de ramener le plus de personnes possible en Libye, acceptant de perdre plusieurs vies » dénonce le chef de mission Johannes Bayer.

Une attitude des garde-côtes libyens contraire à toutes les règles de sauvetage

Le patrouilleur (siglé 648) de la Garde côtière libyenne a « commencé à approcher le bateau » directement sur les lieux du drame. Ce qui est contraire aux règles habituelles qui veut que les navires plus importants ne s'approchent pas trop des canots pneumatiques fragiles, du fait de la houle provoquée, pour ne pas les faire chavirer ou noyer les personnes déjà à l'eau. On emploie traditionnellement des petits hors bords pour cela. Une règle qui ressort du BaBa du sauvetage en mer, connu de tous les marins.

Des réfugiés battus, menacés

Ensuite, ils ont pris en charge des personnes à bord du bateau. Une prise en charge minimale. Ce sont plutôt les réfugiés qui ont tenté de monter à bord comme ils pouvaient. Certains d'entre eux ont été « frappés » par les garde-côtes. « La panique à bord a commencé et plusieurs réfugiés sont tombés par-dessus bord ». Plusieurs des garde-côtes libyens semblaient n'en avoir cure, restant passifs à regarder le spectacle.

Une manœuvre mortifère

Tout d'un coup, le bateau libyen a viré de bord et quitté les lieux, à grande vitesse au lieu de tout faire pour sauver ceux qui étaient dans l'eau. « Une vitesse inappropriée alors que les gens étaient toujours accrochés sur le côté, étant traînés par leur navire ». Un hélicoptère de la marine italienne est alors intervenu, « arrêtant brièvement le navire libyen ».

L'intervention d'un hélicoptère italien

Mais il a fallu plusieurs appels sur la radio VHS. On entend ainsi sur la bande son, les militaires italiens, à bord de leur hélicoptère, suppliant, ordonnant à plusieurs reprises aux gardes côtes libyens d'arrêter leur manœuvre.

« Garde-côtes libyens, c'est un hélicoptère de la marine italienne, les gens sautent dans l'eau. Arrêtez votre moteur et s'il vous plaît coopérer avec Sea-Watch. S'il vous plaît, coopérez avec Sea-Watch"

« Ceci est un hélicoptère de la marine italienne, canal 16, nous voulons que vous arrêtez maintenant, MAINTENANT, MAINTENANT ! Garde-côtes libyens, Garde-côtes libyens, vous avez une personne sur le côté droit, s'il vous plaît, arrêtez votre moteur ! Arrêtez votre moteur ».

Un bilan dramatique

58 personnes ont cependant pu être récupérés et « mis en sécurité à bord du Sea-Watch 3 ». Mais au moins cinq personnes sont mortes noyées dans le naufrage du bateau, dont un enfant que l'équipe médicale à bord de Sea-Watch 3 n'a pas pu réanimer. Le bilan réel est plus important car un certain nombre de corps n'ont pu être récupérés. On parle d'environ 40 à 50 disparus (ce qui correspond au nombre de personnes habituellement à bord de ces navires).

Une violation manifeste des règles de sauvetage en mer

Pour l'ONG, les gardes-côtes libyens ont « violé de façon manifeste le droit international en embarquant un nombre inconnu de personnes à bord de leur navire, probablement dans le but de les ramener en Libye ». « Nous étions en haute mer, en dehors des eaux territoriales libyennes, à environ 30 miles nautiques au nord de Tripoli. Là-bas, les Libyens n'ont aucun droit souverain », s'alarme Pia Klemp, capitaine du Sea-Watch 3. Sans leur action, tout le monde aurait pu être sauvé. « Personne n'aurait été obligé de mourir aujourd'hui si seulement nous avions la possibilité d'opérer raisonnablement dans un environnement calme » confirme Johannes Bayer.

Un appel à la responsabilité européenne

Ces morts n'ont qu'une cause, poursuit le responsable de Sea-Watch : « les gardes-côtes libyens qui ont entravé un sauvetage en toute sécurité par leur comportement brutal ». Mais la responsabilité « est aussi du côté de l'Union européenne qui forme et finance ces milices », souligne l'ONG. « Les gouvernements européens « doivent tirer des conclusions de cet incident et arrêter la collaboration avec les garde-côtes libyens ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

Mis à jour le 11.11 avec les éléments supplémentaires fournis par l'ONG Sea-Watch, notamment une vidéo témoignant de l'action nocive des Libyens et l'enregistrement de la bande son de la VHS de bord.

NB : l'ONG allemande Sea-Watch a mis en cause régulièrement l'action des garde-côtes libyens

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®