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Une coopération structurée permanente plus politique que militaire ?

Concevoir un drone européen au lieu d'acheter des drones américains, un des projets phares qui pourrait être confié à la PESCO (crédit : DICOD / EMA)

(B2) Avoir une coopération plus étroite en matière de défense entre des pays européens est un vieux projet qui pourrait finalement voir le jour, mais au prix d'un certain dévoiement de l'esprit d'origine. Dénommé tantôt par son objectif politique — « Union européenne de sécurité et de défense » – ou par sa terminologie plus juridique – « Coopération structurée permanente » – c'est un réel enjeu aujourd'hui pour les Européens que les Français sous-estiment.

La magie salvatrice est illusoire

Croire cependant qu'un tel regroupement pourrait faire naître, par une magie salvatrice, une volonté commune là où il n'y a que des volontés éparpillées, risque d'être une illusion dangereuse. Il ne faut pas envisager cette proposition comme une finalité en soi mais plutôt comme un processus, à plusieurs niveaux.

Une coopération structurée, politique

Premièrement, on aurait un premier noyau regroupant les pays les plus engagés, sur le moyen et long terme. Cette « Coopération structurée permanente » ne serait pas un noyau dur, au sens historique où les Français l'entendent, mais une Union politique, décisionnelle, une sorte d'Eurozone de la défense.

Des coopérations renforcées ad hoc

Au deuxième niveau, on aura des regroupements de certains pays par projet capacitaire (cyber, maritime, renseignement, satellites, etc.) ou par projet opérationnel (réaction de crises). Il ne s'agit pas simplement de modules optionnels, mais d'une vraie gestion des projets, de façon organisée, politique et financière. Une sorte de "coopération renforcée" ad hoc (un dispositif non prévu par le traité) (1).

Un noyau dur informel

Certains de ses projets auront un coté "mou". D'autres seront plus durs, comme le projet mené par la France d'une capacité de réaction en cas de crise (CROC). De fait, le "noyau dur" de la défense sera créé à l'intérieur de cette Coopération renforcée, autour de certains projets : le futur système aérien (avion ou drone) de combat et cette CROC (menée par le couple franco-allemand, italien et espagnol) . Ces deux projets, comme les membres qui le composent, vont devenir, de fait, le noyau dur de la coopération de défense. A l'intérieur de la Coopération il y aurait ainsi comme une PESCO à plusieurs vitesses. Un procédé qui peut ne pas être séduisant d'un point de vue intellectuel mais été le seul moyen trouvé par les concepteurs et négociateurs de la PESCO pour concilier l'ambition et l'inclusivité nécessaires (1).

Ce qui manque

A ce dispositif, qui est en passe d'être mis en place (d'ici la fin de l'année), on pourrait imaginer d'ajouter certains éléments qui pourraient être utiles pour l'Europe de la défense.

Organiser l'avant garde

Premièrement, il faut d'emblée permettre l'action des « plus audacieux », de pouvoir mener des missions/opérations et d'agir au nom de tous ; ce qu'on appelle en jargon européen, l'article 44, du nom de l'article du Traité, doit être théorisé, planifié, pour que la notion d'avant-garde opérationnelle devienne, là, réalité.

Inventer des systèmes financiers

Deuxièmement, il faut des financements. Le fonds européen de la défense proposé par la Commission couvre le volet de recherche et industriel. Il ne suffit pas pour le volet opérationnel ou d'acquisitions. Il faut mettre en place le Fonds de lancement, dispositif prévu par le Traité jamais mis en œuvre (pour les opérations), voire un système de prêts-assistance pour les acquisitions, une sorte de FMS européen ? ou un trust fund permettant de rassembler des fonds nationaux et européens.

Un dispositif politique de réaction de crise

Troisièmement, il faut réorganiser les structures européennes et avoir un dispositif politique de réaction à la crise. Car ce qui fait défaut à l'Europe, ce ne sont pas les moyens vraiment, c'est le niveau politique d'anticipation et de gestion de crise. Il s'agit d'éviter de répéter l'erreur de la signature du traité d'association avec l'Ukraine où, naïvement, les Européens ont sous-estimé la réaction russe possible. Cela suppose d'avoir une sorte de conseil européen de sécurité, un "cobra" européen, rassemblant selon les crises (terrorisme, menace extérieure, catastrophe humaine, etc.) les responsables européens les plus adéquats (lire : Face au terrorisme, la réponse européenne trop lente). Il faudra aussi doter la Commission d'une task force défense apte à assurer le dialogue sur toutes les questions de défense comme le cabinet de la Vice présidente/Haute représentante d'un mini cabinet militaire (un attaché de défense et son assistant). La question de mettre en place des assistants sur la politique de défense et de sécurité, de haut niveau politique, aptes par exemple à présider les conseils de défense ou l'agence européenne de défense au nom de la Haute représentante doit désormais être examinée sérieusement.

Rompre la quadrature du cercle

C'est cet ensemble – coopération structurée et noyau dur de la PESCO, fonds défense et fonds de lancement, conseil de sécurité européen et DG Défense – qui feront la force de l'Europe de défense demain. C'est cette organisation qui permettra de rompre la quadrature du cercle d'une Europe de la défense trop souvent déclarative et pas assez agissante. 

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) La "coopération renforcée" selon le Traité nécessite de trouver neuf pays, ce qui peut être beaucoup pour mener une "vraie" intégration dans un projet ambitieux.

(2) On peut rappeler que si le critère d'inclusivité n'est pas expressément inscrit dans les critères du Traité, la mise en place de la Coopération structurée permanente nécessite une majorité qualifiée, donc d'un large nombre de pays (au moins 15).

Lire notre fiche : La Coopération structurée permanente (CSP), expliquée

et l'excellente étude réalisée pour le Parlement européen par F. Mauro et F. Santopinto (Grip) qui fait un tour d'horizon très intéressant.

Lire aussi :

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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