B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Analyse BlogDéfense UE (Doctrine)

“L’initiative européenne d’intervention” d’Emmanuel Macron ? Explications

Emmanuel Macron lors de son discours dans le grand amphi de la Sorbonne présente une nouvelle initiative pour la défense européenne (crédit : Elysée)

(B2) Chacun a pu être surpris de « l'initiative européenne d’intervention » mentionnée par Emmanuel Macron dans son discours à la Sorbonne sur le futur de l'Europe. Un projet ambitieux...

« Je propose dès à présent d’essayer de construire cette culture en commun, en proposant une initiative européenne d’intervention visant à développer cette culture stratégique partagée. [...] Au début de la prochaine décennie, l’Europe devra ainsi être dotée d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir. »

Cette initiative parait sortie de nulle part et plutôt symbolique. Ne nous y trompons pas, chaque mot a son sens... Et cela mérite quelques détails et explications, puisées aux meilleures sources.

Premièrement, on parle bien ici d'Europe, et non d'Union européenne. Ce n'est pas une clause de style mais une définition politique. Cela signifie que ce projet se préparera avec tous les partenaires européens « qui le veulent et le peuvent » comme précise à B2 un diplomate. Cela inclut nécessairement les Britanniques qui pourraient être ainsi partie prenante de cette initiative et qui partagent avec les Français une doctrine d'intervention assez semblable (même si elle s'exerce sur des terrains parfois différents).

Deuxièmement, il ne s'agit pas de faire du réchauffé avec des dispositifs déjà existants ou non existants. Ce ne sont donc ni les fameux battlegroups, les groupements tactiques de l'Union européenne, qui n'ont jamais décollé, et dont la France semble faire son deuil ; ni la fameuse "armée européenne", sorte d'arlésienne très commode, permettant de ne pas parler de projets plus concrets. C'est ... entre les deux.

Troisièmement, c'est un projet pour l'avenir, à l'horizon 2022-2024, et non pour aujourd'hui. Il n'est pas question de la coopération structurée permanente – qui devrait être lancée à la fin de l'année ou début 2018 – ou du fonds européen de défense (dont le premier élément doit voir le jour en 2018). C'est autre chose, d'autrement plus ambitieux en termes opérationnels.

Quatrièmement, la préparation devrait commencer rapidement. Selon nos informations, l'ouverture des armées françaises aux cadres d'autres armées européennes devrait commencer ainsi rapidement. Cette ouverture serait, sans commune mesure, avec ce qui est pratiqué actuellement. Il ne s'agit donc pas juste d'avoir des officiers de liaison placés au sein des armées ou d'accueillir quelques (sous) officiers dans les écoles ou dans les forces françaises. Cette initiative se situe sur « une autre échelle », avec une présence « plus intensive » de militaires à tous les échelons d'une intervention : de la planification (des opérations) et du soutien aux opérations en passant par l'anticipation et le renseignement. Cela signifie qu'on retrouverait des militaires européens à différents niveaux et dans tous les corps : à la DGSE (la direction générale de la sécurité extérieure) comme au CPCO (centre de planification et de conduite des opérations), dans les état-majors ou dans le service des essences des armées...

Cinquièmement, l'intention est bien de changer l'état d'esprit, de bâtir une nouvelle doctrine militaire d'intervention, plus européenne, où chacun tienne compte des autres modes d'intervention, de développer ce qu'appelle Emmanuel Macron « une culture stratégique partagée ». Cela pourrait conduire alors tout autant à changer les modes d'intervention des armées françaises que celles des autres. L'objectif est ainsi durant les six années à venir (2018-2024) d'aboutir à ce changement qui est autant "technique" que "psychologique". Il s'agit de doter les Européens « d'une capacité d’action autonome de l’Europe, en complément de l’OTAN », qui pourra être mise au service de l'Union européenne ou... d'autres organisations.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : L’Europe de 2024 selon Macron : souveraine, stratégique, autonome

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®