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Tapa : réassurer l’Estonie… et un excellent lieu d’entraînement

© NGV / B2

(B2 à Tapa) Plusieurs centaines de soldats britanniques, français et danois sont présents en Estonie. Pour quoi faire ? Quel est l'intérêt de ce déploiement non seulement au niveau politique mais aussi militaire ?

Une mesure de réassurance face à la Russie

La raison du déploiement des "battlegroups" venus de tous les pays de l'Alliance atlantique dans les trois pays baltes et en Pologne est connue. Il s'agit de "réassurer" les pays concernés de la détermination de l'Alliance à assurer la défense de leur territoire face à la Russie. Une mesure prise après l'intervention russe en Ukraine en 2014. « Toute attaque contre l'un d'entre nous est une attaque contre nous tous » a rappelé à Tapa le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg.

Un avertissement politique...

Un déploiement défensif « pour prévenir un conflit » et en aucun cas pour « provoquer » a-t-il ajouté, soulignant que tout se passe « en transparence » avec les Russes. De fait, avec quelques 4000 hommes et femmes répartis dans les quatre pays de la bordure nord-est de la frontière de l'OTAN, ce déploiement a davantage une valeur d'avertissement politique que de rassemblement de forces. De l'autre côté de la frontière, en Russie, les forces se comptent avec un "0" de plus. « Ce qui compte c'est le signal qu’on envoie de solidarité, de dissuasion, si vraiment les Russes avaient une envie de franchir la frontière » nous confirme le colonel Olivier Waché qui vient de l'état-major de l'Eurocorps de Strasbourg et commande le détachement français. Cette éventualité russe reste d'ailleurs (pour l'instant) de l'ordre de la théorie de l'avis de tous les responsables, militaires ou diplomates sur place. « On n'imagine vraiment pas les Russes s'amuser à ce genre d'aventure sur un pays membre de l'Alliance » nous a confié l'un d'eux. « Notre posture est non agressive et dissuasive » indique le colonel Waché s'inscrivant dans les pas du sec.gén de l'OTAN (A suivre : Zapad : un exercice russe qui ne fait pas peur aux Estoniens).

Un moment inespéré de formation

Cette présence est aussi un formidable moment pour la troupe de se former, de s'entraîner. « Quatre mois en formation, c'est inespéré. Au rythme des opérations, intérieure (= Sentinelle) ou extérieure, on ne peut pas avoir une telle longueur et une telle capacité d'entraînement si on était en France » complète son adjoint, le lieutenant-colonel Frédéric *. Ainsi pour la 5e compagnie du 2e REI de la Légion (basée à Nîmes), composée essentiellement de nouvelles recrues, c'est un terrain de choix à la fois pour la formation technique, mais aussi pour l'osmose de groupe, le tout dans un « environnement nouveau et en multinational ». Au programme : d'abord l'acclimatation au terrain, l'entraînement au tir, l'apprentissage de la topo, du combat en milieu urbain (dans quelques maisons reconstituées)... et du sport (le Quinze britannique qui s'entraîne tous les jours ne semble pas mauvais, à voir les gars s'entraîner).

Des exercices multinationaux

Le tout accompagné de différents exercices, plus importants, au niveau interarmées et multinational. Plusieurs exercices majeurs sont ainsi organisés durant la période. Cette semaine se déroule ainsi l'exercice Northern Frog (d'un monstre dévorant les forces armées adverses, dans la mythologie estonienne). Puis ce sera l'exercice Onion (1) organisé par les Estoniens, auxquels participeront les troupes de l'OTAN. Et, fin octobre, ce sera au tour de l'exercice Steel Shield, en Lettonie. « Nous cherchons à tirer un maximum de notre présence ici pour nous entraîner avec nos alliés » résume le colonel Waché.

Un formidable champ de tir

Ancienne base soviétique (abritant des unités de la 6e armée), la base de Tapa, assez étendue, offre en effet des possibilités que ne permettent pas toutes les installations françaises. Elle permet aux unités des tirs sur une longue portée, de gros calibre, au 120 mm ou 155 mm. En France, seuls certains camps (Canjuers dans le Var, Suippes dans la Marne) offrent des possibilités équivalentes. Et encore sous réserve de certaines conditions.

Un terrain original

L'Estonie offre aussi aux militaires un terrain spécifique, aux conditions peu habituelles. Ce qui est intéressant en soi. De vastes étendues, très boisées, gorgées d'eau, marécageuses. Ce terrain est pour les soldats, comme les matériels, une vraie gageure. Les forêts sont si denses et étendues « qu'il y a vraiment moyen de s'y perdre » jure notre interlocuteur. La reconnaissance topo prend donc, ici, tout son sens. Et les terrains spongieux sont pour les véhicules un vrai test. Réussi apparemment pour les VBCI qui, avec leurs huit roues motrices, s'en sortent presque mieux que les engins chenillés. Le char Leclerc s'en sort surtout grâce à sa forte motorisation qui lui permet de s'arracher de la boue. « Il est mobile même dans un mètre ou un mètre 50 de boue » précise le ltt col Frédéric.

Un pays plat... mais fongieux

Le pays semble ne pas recéler de grandes difficultés de parcours. Mais il ne faut pas s'y fier. « Le caractère plat du pays est trompeur » confirme le colonel Waché (qui commande le détachement). Le pays ne serait peut-être pas si facile à prendre si les Russes s'avisaient de foncer sur l'Estonie... sauf en hiver où la terre est gelée. L'histoire récente le confirme. L'état-major s'est d'ailleurs livré à un staff ride (NB : un exercice qui permet à travers les champs de bataille du passé d'étudier le terrain et de comprendre la stratégie militaire). Et ce qu'il apprend est intéressant : « durant la Seconde guerre mondiale, les Allemands ont réussi à arrêter les Russes durant six mois ».

Éviter toute incompréhension

Pour éviter toute méprise, toute incompréhension par le grand voisin, les Français (comme les Britanniques, semble-t-il) se sont imposés une règle, très claire à leurs hommes, y compris lors des périodes de détente : pas d'uniforme dans un rayon de 5 km de la frontière russe. Que ce soit en mission officielle ou lors des permissions.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Français et Britanniques ensemble

En Estonie, ce sont les Britanniques qui assurent le rôle de nation-cadre. Fort logiquement ce sont eux qui fournissent le plus grand nombre d'hommes (environ 800), assurent le commandement et structurent ce bataillon avec une compagnie de génie, une compagnie de blindés, une compagnie d'infanterie, et une unité de commandement et soutien. Les Français forment la deuxième composante, avec 300 hommes : 200 hommes formant un sous GTIA avec une compagnie du 2e REI + 100 personnes en soutien logistiques. A cela il faut ajouter 113 véhicules, dont 4 chars Leclerc imposants (du 501e régiment de chars de combat de Mourmelon), et les nouveaux VBCI. La relève française présente depuis août, restera en Estonie, jusqu'à la mi-décembre, et les premiers frimas de l'hiver (qui devrait arriver rapidement, dès octobre). Les Français basculeront ensuite, en 2018, sous commandement allemand en Lituanie, « selon un dispositif semblable, en hommes, en matériels, comme en mission, pour une période de deux fois quatre mois » a précisé le colonel Waché.


* Pour préserver une certaine sécurité, sans tomber dans l'anonymat, les soldats et officiers en opération, même à des postes élevés sont désormais désignés uniquement par leur grade et un prénom.

(1) Un code ironique, c'est le surnom donné aux Russes par les Estoniens.

Reportage effectué le 6 septembre dans le cadre de la visite organisée par la présidence estonienne de l'UE à l'occasion de la réunion informelle des ministres de la défense

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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