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Les Européens brisent six tabous sur la défense

La défense européenne se remet en marche... Objectif : contribuer à l'autonomie stratégique européenne (© NGV)

(B2) Les esprits ronchons qui disent "ça ne marchera jamais ce truc" vont être surpris : l'Europe de la défense s'est remise en marche. Certes, c'est lent, cela peut paraitre un peu confus. Mais il y a des pas, très concrets, qui sont en passe d'être franchis (1) Les conclusions adoptées, ce jeudi 22 juin, par les 28 Chefs d'Etat et de gouvernement, au-delà du langage convenu habituel, devront être lues avec attention. Car elles reflètent cet état d'esprit. Quelques tabous sont en passe d'être brisés. Et non des moindres ! Car ils visent tous un objectif très clair : une certaine autonomie stratégique européenne.

Premier tabou brisé : avancer plus vite à quelques uns. Les 28 vont donner leur feu vert politique à la Coopération structurée permanente (PESCO en abrégé). Ce 'machin' né dans le début des années 2000, inscrit successivement dans la Constitution et le Traité de Lisbonne n'avait jamais connu le moindre commencement de début de mise en œuvre. Ce n'est pas la révolution du siècle, certes. Et personne ne sait vraiment encore comment seront définis les critères d'appartenance au club ni ses projets. Tout le monde attend que Paris et Berlin résolvent leurs divergences de vues sur ce sujet. Mais une page est tournée. Une bonne douzaine d'États membres selon notre comptage ont déjà indiqué qu'ils voulaient y participer dès le début (2). Et même le Royaume-Uni « joue un rôle constructif ». Rien n'est prévu dans le détail. Mais le geste politique est là.

Lire aussi :  Un noyau dur devenu chamallow. Une coopération structurée permanente : pour quoi faire ? + La Coopération structurée permanente lancée… politiquement. Texte et commentaires

Deuxième tabou brisé : financer la défense sur des fonds communautaires. C'était la proposition faite par la Commission européenne il y a quelques jours, de créer un Fonds européen de défense. Les 28 vont adouber ce projet, comme une clé d'avenir, pour l'industrie européenne. Pour la première fois, le budget communautaire viendra donc abonder des projets de défense menés par les États membres. Autant dire que l'industrie et les États, et même l'OTAN, sont très intéressés. Certes, là encore, il reste beaucoup de détails à préciser. Mais les Chefs d'ÉTats vont le dire clairement : ils veulent avoir des résultats "rapides".

Lire : Défense. L’Europe doit prendre ses responsabilités (V2) + Un engagement affirmé des 28 sur la défense et la sécurité*

Troisième tabou brisé : financer davantage en commun les battlegroups. La force de réaction rapide européenne était jusqu'à présent clouée au sol, pour différentes raisons (politiques, financières, opérationnelles). Ces battlegroups ou groupements tactiques étaient tellement inutiles que cela en était gênant et ne contribuait pas peu à l'impression d'impuissance européenne. Les 28 vont débloquer un point-clé : le financement en commun. Les coûts de déploiement seront désormais pris en charge par une cassette commune. Les '28' l'ont décidé. Les détails seront fixés dans les mois à venir. Lire : Ces très chers battlegroups, vraiment inutilisables ? + Le financement en commun des battlegroups adoubé*

Quatrième tabou brisé : un QG européen permanent. C'était aussi une vieille idée, jamais mise en œuvre. La bande des 4 (Chirac, Schröder, Juncker, Verhofstadt) avait bien tenté un coup de force en proposant la mise en place d'un QG permanent militaire à Bruxelles. Ils s'étaient heurtés à un "No" britannique (et d'autres aussi sceptiques). D'autres tentatives avaient été faites ensuite, notamment en 2012, sans vraiment déboucher. Cette fois c'est fait. Un mini QG européen est en train de se mettre en place à Bruxelles. Il sera chargé de commander (conduire et contrôler en termes opérationnels) les missions militaires non exécutives (les EUTM). Ce n'est pas grand chose mais c'est un début. Ajouté à cela la création d'une petite école pour les pilotes des avions de transport tactique, à Saragosse. Nous avons ainsi les embryons de commandement et de formation nécessaires.

Lire : Le mini QG militaire européen voit le jour + Couvrez ce QG que je ne saurai voir… Le texte sur la MPCC finalisé. Détails*

Cinquième tabou brisé : des attachés de défense dans les ambassades européennes. Jusqu'à présent, l'Europe avait deux instruments : les missions de gestion de crises (civiles ou militaires, menées au nom de la PSDC) et l'instrument diplomatique (dans les délégations de l'UE). Entre les deux... rien ! Aujourd'hui, on étudie toute la panoplie d'action. Le principe d'attachés de sécurité ou de défense dans les délégations de l'Union est en passe d'être généralisé à d'autres ambassades. Déjà présents dans 13 délégations, ils seront une vingtaine à l'avenir.

Sixième tabou brisé :  des missions européennes d'un nouveau genre. Dans le même esprit, différentes structures légères vont voir le jour dans deux zones de crises principales. Une petite unité est en passe d'être mise en place pour coordonner l'action dans les cinq pays du G5 Sahel. Des experts défense et sécurité seront placés dans cinq pays : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger Tchad (lire : La cellule de régionalisation des missions PSDC au Sahel est créée). Deux autres (petites) actions européennes sont à l'étude : à Bagdad pour aider les forces de sécurité intérieure irakiennes à se reconstruire (Lire : L’UE étudie l’envoi d’une équipe de conseil et soutien à la sécurité en Irak); à Segou et Mopti pour coordonner l'aide européenne à la stabilisation (lire : Vers une action de stabilisation de l’UE dans la région centre du Mali).

Toutes ces briques posées, réalisées ou en cours de réalisation, peuvent paraître modestes. Elles n'en illustrent pas moins à la fois un changement d'état d'esprit et une volonté d'avancer tous ensemble. Comme le dit un proche de Daniel Tusk, fin érudit de la politique européenne, « Nous n'avons pas encore atteint Rome ... mais nous avons franchi le Rubicon ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

Pour aller plus loin, lire :

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(1) Notre langage est volontairement très précautionneux. Nous nous garderons bien de dire que la défense européenne est relancée. Elle l'a été tellement de fois, avec bien souvent un effet pschitt, qu'il vaut mieux rester prudent...

(2) La France et l'Allemagne, ainsi que l'Italie, l'Espagne et la Finlande, premiers défenseurs de la PESCO ont été rejoints par : la république Tchèque, la Slovaquie, la Belgique, l'Estonie, le Portugal, la Slovénie, qui veulent être du premier round selon le premier comptage de B2. Cela n'aura à nul échapper que cette liste contient des zones géographiques très diversifiées.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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