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Défense : quand l’Europe a décroché des États-Unis. Le coût de la Non-Europe…

Un Super Hercules américain survolant les plages du débarquement à l'occasion du 73e anniversaire du débarquement (crédit : US Air Force/ Devin Boyer)

(B2) Les dépenses des États membres dans le domaine de la défense ne sont pas seulement faibles, elles sont dispersées et atomisées. Le manque de coopération, « la non-Europe coûte annuellement entre 25 et 100 milliards d’euros à l’ensemble des États membres »1, du fait des duplications, du défaut d’économies d’échelle pour les équipements lourds comme les fournitures plus légères, de l’avion de chasse à la lampe de poche. « Nous dépensons, nous les Européens, 200 milliards d’euros pour la défense, mais nous n’avons que 12-15% de l’efficacité des Américains car nous avons trop de doublons et pas assez d’interopérabilité » insiste Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne2. Il a tout à fait raison...

Le découplage des budgets US et Europe

Cette baisse européenne des dépenses est d’autant plus dommageable que, dans le même temps, les dépenses mondiales sont plutôt en hausse constante3. Vis-à-vis des États-Unis, le découplage est aussi très net. Même si le budget américain a diminué nettement depuis les années 2000, passant ainsi de 4,91% du PIB en 2009 à 3,62% en 20154, il reste conséquent, en termes relatifs comme absolus. Dans le début des années 2000, le budget américain de la défense représentait un peu plus de deux fois le budget des Européens réunis (390 milliards de $ contre 160 milliards d’euros5).

Le budget outre-atlantique : trois fois et bientôt quatre fois le budget européen ?

Quinze ans plus tard, ce différentiel a augmenté : le budget américain en 2016 (664 milliards de $) représente trois fois le budget de tous les Européens réunis. Et il semble repartir à la hausse. En 2016, les Américains ont augmenté leur budget de 23 milliards $ en termes nominaux (soit +3,5 %) et cette tendance pourrait se poursuivre sous l’administration Trump6. Le différentiel Europe – USA pourrait ainsi augmenter rapidement, le budget américain représentant quatre fois que les budgets européens réunis.

Un découplage très net dans la recherche

En matière de recherche, le différentiel est encore plus important. Cinq fois plus d’argent étaient consacrés à la recherche et développement (R&D) aux États-Unis au début des années 2000 : 50 milliards de $ contre 10 milliards d’euros pour l’UE-15. Ce ratio monte à « six fois plus », dix ans plus tard : 55 milliards de $ sont dépensés, en moyenne annuelle durant la période 2006-2011, aux États-Unis contre 9 milliards d’euros en Europe (UE-27). Les budgets européens de R&D ont baissé de 14% entre 2005 et 2010.

Et, là encore, ce différentiel est appelé à s’aggraver. Les États-Unis ont, en effet, prévu d’intensifier leurs efforts de recherche dans le cadre de leur troisième plan de développement des technologies militaires (Offset strategy). Pour la recherche et technologie (R&T), vitale pour l’avance technologique, les dépenses des Européens (UE-27 *) atteignent péniblement 2 milliards d’euros contre 9 milliards d’euros aux États-Unis. Le taux de R&T dans les dépenses de défense est au-dessous de la norme fixée à 2%, et il tend à diminuer de manière continue : 1,32% en 2006, 1,15% en 2009, 1,02 % en 20147.

Quant à la part de recherche effectuée en commun, elle est, aussi, en baisse. Les États membres de l’UE s’étaient fixés un objectif de recherche en commun à hauteur de 20% de leur budget de R&T, ils n’en sont qu’à 8,6% en 2014 (contre 11,8% en 2009).

(Nicolas Gros-Verheyde)

© extrait du manuel sur la Politique européenne de sécurité et de défense commune, Gros-Verheyde / Dumoulin (éditions du Villard, avril 2017, 52 euros, 592 pages).


1 Un chiffre tiré de l’étude menée en 2013 par le Parlement européen – «The Cost of Non-Europe in Common Security and Defence Policy » – qui estime que le coût de la non-Europe en matière de défense est situé dans une fourchette comprise entre 26 milliards d’euros (hypothèse minimaliste) et 130 milliards d’euros (hypothèse maximaliste).

2  Discours de Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen, Commission européenne, 14 décembre 2016, Document SPEECH 16/4390.

3 Entre 2000 et 2015, les dépenses de défense ont augmenté dans la plupart des pays d’Asie (+400% en Chine, +256% en Indonésie, environ +80% en Inde et au Vietnam), en Russie (+200%) et au Moyen-Orient (+183% en Arabie Saoudite), en Afrique du Nord (+313% en Algérie). Dans le même temps, elles diminuaient en Europe (-0,2% en France, -6,7% en Allemagne, -18,8% en Espagne, -33% en Italie et en Grèce), sauf dans quelques pays (+13% au Royaume-Uni, +25% en Finlande, +37% en Roumanie, + 100% en Pologne). Source : compendium SIPRI 2015, évolution des dépenses militaires dans le monde entre 2000 et 2015 (en dollars constants 2014).

4 Une sorte de retour à la normale, après les inflations des années Bush, d’hyper-engagement en Irak puis en Afghanistan.

5 Communication de la Commission européenne, « Vers une politique de l’Union européenne en matière d’équipements de défense », 11 mars 2003, Bruxelles, Document COM(2003) 113 final.

6 Le président américain Donald Trump annonce devant le Congrès, le 28 février 2017, vouloir annuler la limitation du budget de la défense (Defense sequester) et réaugmenter les dépenses militaires pour 2018 de 54 milliards $.

7 La R&T est concentrée sur trois pays : France (764 millions €), Allemagne (483 millions €) et Royaume-Uni (439 millions €), quelques autres pays ont un budget plus réduit : Suède (61 millions €), Pays-Bas (59 millions €), Espagne (42 millions), Finlande (25 millions €), Pologne (10 millions €), les autres ont un budget nul ou presque. Source : MAURO Frédéric, « Le futur programme européen de recherche de défense », IRIS, juillet 2016, Paris.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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