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La coopération UE-OTAN : un vrai chewing gum !

Vue aérienne du nouveau QG de l'OTAN (Crédit: OTAN)

(B2) C'est devenu le leitmotiv des dirigeants européens comme de l'Alliance atlantique : la coopération Union européenne - OTAN est devenu le "must". « C'est devenu la norme et non l'exception » jure les officiels. Une sorte de chewing gum mâché à longueur de journée qui a le même effet du chewing gum. Vos mâchoires sont en mouvement, vous donnez l'impression d'agir, vous croyez dégager une certaine énergie, une certaine force, vous avez l'impression d'avoir une certaine fraîcheur dans la bouche.  Mais quand le chewing gum est terminé, il est aussi inodore qu'une goutte d'eau et quand il sèche, il est indétachable mais inutilisable. Et l'apport énergétique est plus que limité.

Des promesses encore à exécuter

Les promesses de la coopération UE-OTAN, déclenchées au sommet de Varsovie, ne sont en effet pas totalement réalisées (approche diplomatique), voire proches du zéro (approche réaliste). Chacun cherche bien à remplir le verre vide. Mais, pour l'instant, hormis quelques gouttelettes, le verre ne se remplit pas vite. Le bilan semble si pauvre que les ministres de la Défense de l'UE, lors de leur dernière ont été obligés de demander « une nouvelle fois » de poursuivre les travaux (lire : La coopération OTAN-UE, une meilleure ambiance mais peu d'avancées concrètes ?).

Des relations fluides mais la difficulté à faire du travail concret

Les relations sont plus fluides. Et les rencontres nombreuses, du plus niveau des experts au niveau politique. Mais cela s'arrête là. Sur la coopération en Méditerranée, on attend le renouvellement du mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, histoire de ne pas froisser les Russes. Sur le Moyen Orient, les deux organisations sont hors circuit, les Américains ayant la main (dans un dialogue avec les Russes sur la Syrie). En Irak, l'OTAN cherche à s'introduire de manière à avoir un strapontin dans la coalition militaire. Tandis que l'UE travaille plutôt sur le côté humanitaire, sans avoir vraiment de place dans la coalition. Les chemins sont donc sinueux pour la coopération.

La Turquie, point de blocage ?

Entre le bd Leopold (OTAN) et le rond point Schuman (UE), il reste un (sacré) problème : Ankara. La question turque empoisonne aujourd'hui non seulement les relations entre l'UE et la Turquie mais pourrait bien à terme troubler le fonctionnement de l'Alliance. Avoir un allié qui est proche de la dictature pouvait être tolérable dans les années 1960 (avec la Grèce) quand la guerre froide faisait rage. Aujourd'hui, cela fait mauvais genre. Avoir un allié qui contrecarre régulièrement les démocraties occidentales voire la stratégie militaire en Syrie menée par les principaux pays de l'Alliance, est un vrai défi.

Une dichotomie organisationnelle

Derrière la question turque se cachent des différences de nature et de composition. Si la plupart des pays membres de l'Union européenne sont membres de l'OTAN (à quelques petites exceptions près), ce n'est pas le cas de l'Alliance atlantique dont des "poids lourds" à commencer par les États-Unis, mais aussi la Turquie, le Canada, et le Royaume-Uni demain ne sont pas membres (sans oublier Islande, Norvège, Albanie et Montenegro). La difficulté d'avoir une coopération UE-OTAN parfaite suppose d'avoir donc des relations apaisées ou sans arrière pensée entre l'UE et les États-Unis, d'une part, l'UE et la Turquie ainsi que le Royaume-Uni d'autre part, et de partager (peu ou prou) les mêmes intérêts. On voit bien que c'est loin d'être le cas... A cela s'ajoute un système d'organisation politique divergent : l'Union européenne a une direction multipolaire où aucun pays membre ne peut être dominant, avec un contrôle parlementaire et judiciaire, tandis que l'OTAN a un régime gouvernemental et une domination très nette des USA. C'est non seulement la règle, mais une règle souhaitée par la plupart des autres membres. Même si les certains pays ne sont pas d'accord, quand Washington veut quelque chose, il l'obtient, les autres alliés en étant réduits à négocier leur ralliement.

Une concurrence discrète mais bien réelle

En matière capacitaire, sous prétexte de coopération, c'est plutôt à une concurrence à laquelle on assiste, chacun essayant de tirer ses préférences dans une logique de concurrence industrielle, assez logique. Sous l'argument du partage du fardeau (argument légitime) au sein de l'OTAN, les États-Unis (principal "actionnaire" de l'Alliance) ont un autre argument : soyez solidaires, achetez américain. Ce qui mine les relations. Washington n'a pas vraiment (et encore moins sous Donald Trump), l'intention de voir émerger une autonomie européenne, contrairement aux discours. Et certains pays (comme la Pologne ou la Lituanie) sont très tentés par ce parapluie rassurant. C'est plutôt une dépendance européenne qu'ils visent, avec juste un bémol : le montant du chèque que doivent acquitter les Européens doit être revu à la hausse.

Sur la Russie, une réelle entente

En fait, c'est sur le dossier russe où une certaine complicité règne : à l'UE, les sanctions économiques, à l'OTAN les muscles du renforcement à l'Est. Pour aller plus loin, il reste un hiatus, toujours le même, la Turquie et surtout le conflit chypriote. Tant qu'il n'est pas réglé, les conversations seront courtoises, l'atmosphère amicale entre les deux organisations, comme le montrent les relations Stoltenberg-Mogherini. Mais c'est tout...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : Entre Européens et Américains, il n’y a pas de malentendu mais des divergences

 

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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