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Contrôle des armes semi-automatiques. Mesdames, messieurs prenez vos responsabilités

(B2) La directive sur le contrôle sur les armes est dans sa dernière ligne droite. Elle ne sera pas aussi ambitieuse qu'espérée par la Commission européenne qui a vu sa proposition battue en brèche par plusieurs parlementaires, travaillés au corps par un lobby des armes qui a souvent tapé au-dessous de la ceinture qu'au-dessus (voir encadré). Plusieurs arguments ont ainsi été utilisés par ceux-ci, de façon parfois pas tout à fait exacte... voire avec une mauvaise foi manifeste. Revue de détail

J'ai le droit de posséder une arme ?

Non. Il n'y a pas de droit à posséder une arme (d'autant plus quand elle est létale), au niveau de l'Union européenne (comme en France). Le marché des armes a toujours été une exception au principe de libre circulation des biens et marchandises. La possession des armes est donc une exception, strictement encadrée. La directive de 1991 — révisée en 2008 — en témoigne. Cela tient au principe de sécurité — ne pas laisser trop d'armes en circulation — comme à un principe d'ordre public, tenant au rôle de l'État moderne en Europe : s'assurer du monopole de la contrainte et de la violence. Cette disposition est d'ailleurs ancrée précisément dans le traité européen (article 346) autorisant un État à prendre toute mesure nécessaire pour la protection de ses intérêts nationaux.

Tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. (article 346 TFUE §1b)

Cette proposition met en péril la sécurité nationale ?

C'est un faux argument. Un État a la possibilité, pour des raisons d'intérêt national, d'aménager les règles du marché intérieur. C'est l'article 346 du Traité (voir ci-dessus). Le Traité érige d'ailleurs au rang d'exception générale aux règles du Traité ce qui a trait à la sécurité nationale. « En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre » (article 4 TUE). On peut considérer que toutes les règles tenant à la conscription (service national obligatoire) rentrent dans cette disposition.

Il y a profusion d'armes illicites, pourquoi réglementer le marché légal ?

C'est vrai. Mais l'expérience a prouvé qu'il n'est pas si facile que cela à des personnes "surveillées" ou "ordinaires" (selon l'expression populaire "bien sous tout rapport"), en apparence qui s'en vont commettre un crime de se procurer des armes au marché noir. Elles utilisent ainsi le marché "blanc" (légal) ou le marché "gris" (ni légal ni illégal) pour se procurer les armes qui vont servir des actes de tuerie de masse, voire éventuellement de terrorisme. Il est si facile de déneutraliser une arme, pourquoi se fatiguer à aller chercher une arme illégale, avec de réels risques.

On n'a aucun exemple d'armes légales qui ont servi à commettre des actes terroristes ou des crimes ?

C'est faux. Il suffit de regarder la longue liste pour voir que les crimes de masse sont souvent commis avec des armes plus ou moins acquises légalement. Lire : Massacres à l’arme semi-automatique… Pour se rafraîchir la mémoire

 

On peut commettre un acte terroriste avec un couteau, un camion (Nice)... ?

C'est vrai. Ce sont des armes par destination qui peuvent s'avérer aujourd'hui tout aussi dangereuses que des armes semi-automatiques ou automatiques. On l'a vu à Nice, un camion dirigé contre une foule peut faire des dégâts considérables. Mais ce genre d'argument n'est pas vraiment acceptable. Le principe de base de l'État de droit n'est pas de favoriser le laissez-faire mais de limiter au maximum les moyens pour une personne de menacer la vie des autres, de semer la terreur ou l'insécurité. Or, a priori, les armes de type fusil d'assaut qui établissent un rapport de force équivalent, voire supérieur aux forces de l'ordre, sont un élément très net de menace. Hormis les actes individuels de terrorisme, la circulation d'armes de ce type, qui pourraient être utilisées dans les mains de personnes décidées constitue un risque certain de menace, non seulement au niveau du terrorisme mais aussi de risque certain de coup d'état (problématique qui ne peut être évacuée).

Il y a plus de morts par accident de la route que par les tueries de masse ?

C'est exact. De la même façon qu'il y a plus de morts de policiers par suicide que par un acte terroriste. Mais c'est toute la résonance d'un acte de tuerie de masse ou de terrorisme contre des symboles de l'État qui se trouvent en jeu dans un acte terrorisme. Ce n'est pas en soi le nombre de victimes qui a un impact. C'est l'acte lui-même qui vise à intimider la population, à déstabiliser la société, à menacer l'État, qui est dangereux. Ce genre d'arguments n'est pas vraiment acceptable : dans ce cas, il faudrait laisser tomber toute lutte contre la criminalité qui, en termes statistiques, font également peu de victimes. C'est un argument... imbécile.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Un lobby qui tape au-dessous de la ceinture

Le lobby pro-armes ne s'est pas contenté des outils habituels du lobbying — argumentaire, envoi en masse de mailing, tracts, conférences. Il a utilisé des méthodes pour le moins discutables. Des campagnes de mails agressives ont été systématiquement organisées à l'égard des fonctionnaires européens (Commission, Conseil) qui suivent ce sujet. Les mails contenaient parfois des menaces à peine voilées de mort (cercueil). Certains recevaient cela à leur adresse privée.

Un des fonctionnaires qui s'exprimait devant le Parlement européen lors d'une audition (organisée par la commission IMCO avec le... soutien du lobby pro-armes (original !) a été l'objet d'une campagne intensive de mails, avec un photomontage où on le voyait affublé d'insignes nazis.

B2 en a été le témoin direct de cette campagne. Chaque article que nous avons pu faire sur le sujet a soulevé des commentaires, relativement bien organisés, développant une grille d'argumentaire assez rituelle, d'une si rare agressivité que nous avons été obligés d'envoyer des réponses d'avertissement (avec menace de signalement d'IP aux autorités) et d'inclure un avertissement dans les articles.

Ces comportements sont largement intolérables, qui plus est par des possesseurs d'armes qui se revendiquent en hérauts de la démocratie "contre le totalitarisme" et la "dictature" de la Commission (citation). Si l'expression de chacun reste libre, elle connait cependant certaines limites. Au surplus, elles confortent l'idée que laisser des armes automatiques ou semi-automatiques dans les mains de personnes, qui n'arrivent déjà pas à contrôler leur langage, est plus que dangereux.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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