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L’Europe perd son grand frère. L’objectif de Trump : semer la zizanie ?

Nancy et Donald Reagan saluant un certain Donald Trump... Une image sans doute obsolète 😉 (crédit : Donald Trump)

(B2) Depuis des années, le grand frère américain a toujours été là aux côtés des Européens, les soutenant souvent, les morigénant parfois, prenant le 'lead' souvent ou laissant les Européens le prendre de temps en temps. Bien souvent, avant de prendre position ou de se décider au plan international, de part et d'autre de l'Atlantique, on se consultait. Comme dans une famille, il y avait bien sûr parfois des divergences de vues, des disputes, et même des portes claquées, mais jamais de drames très profonds ni trop majeurs. La politique étrangère américaine et européenne était en grande partie alignée : sur les sanctions vis-à-vis de l'Iran — puis l'accord sur le nucléaire iranien — sur les sanctions avec la Russie, sur le Proche-Orient, sur l'Afrique, etc.

Une solidarité transatlantique

Bien sûr cela n'avait pas empêché chacun de jouer sa carte quand il le pouvait ni à certaines jalousies de naître. Les Américains ont cherché à entraîner les Européens sur leurs priorités — en Irak, sur le bouclier anti-missiles — quitte à diviser les Européens. Mais ce n'était pas l'objectif. Les alliés restaient alliés. Les États-Unis avaient besoin d'une construction européenne qui fonctionne bien. Les uns et les autres comptaient l'un sur l'autre. Quand les États-Unis avaient subi l'attaque de septembre 2001, tous les Européens s'étaient sentis concernés. Et vice-versa. Quand les Européens étaient empêtrés dans la crise économique, le président américain et son administration n'avaient pas rechigné à passer des coups de fils et faire pression pour que les Européens trouvent un compromis...

Le grand frère abandonne son rôle

Demain avec Donald Trump, cela risque de ne plus être le cas. Il ne faut pas s'y tromper. L'interview donnée par le milliardaire au Times (l'ancien journal de Boris Johnsson) et au Bild (le quotidien populaire allemand qui n'est pas connu pour sa grande europhilie) en témoigne. Sauf à expliquer que tout ce que dit Donald Trump est un tissu de bêtises — ce que personne n'ose dire — elles sèment au minimum le trouble, l'incertitude, l'inquiétude. Ce résultat est déjà notable, en lui-même. D'ordinaire quand ils étaient dans le doute, ou même dans certaines certitudes, les Européens attendaient de connaître la position américaine pour s'aligner ou de se positionner. Demain ils ne pourront plus compter sur le "grand frère" pour indiquer la route.

Objectif : foutre le bazar

Mais il y a pire... Tout au long de l'entretien, Donald Trump ne semble avoir qu'un seul but : casser au maximum tout esprit d'unité européen. Pour Trump, l'Europe est « trop allemande » et les Britanniques ont raison de s'en aller. Pour lui, l'Europe a tort de bout en bout : de la politique d'accueil des réfugiés à la régulation sur l'environnement. Et il appelle, sans fard, d'autres pays à quitter le bateau. Son objectif semble très clair : s'appuyer au maximum sur les forces centrifuges — les Britanniques du Brexit mais aussi les Polonais du PiS, les Hongrois de Orban, les anti-européens de l'EFD allemande... — pour faire éclater l'Europe. Bref tout ce qui pourrait contribuer à désunir l'Europe est aujourd'hui vu avec jouissance et bonheur, outre-atlantique. C'est une profonde nouveauté.

La fin d'une amitié ?

Non content de semer la zizanie, Donald Trump entend semer le trouble. Il tire ainsi le trait sur deux politiques notables, négociées en commun avec les Européens — le deal avec l'Iran et les sanctions sur la Russie —, estimant qu'elles doivent être revues. Au passage, il fusille l'OTAN d'un qualificatif mortel — « obsolète » — mettant à bas tout ce qui a fait jusqu'ici la réputation de l'Alliance Atlantique, son réel pouvoir de dissuasion. Bref, en quelques phrases, il met en place aux yeux des Européens comme un doute sur la fiabilité de l'allié américain. C'est un changement profond. Est-ce la fin d'une longue amitié ? Il faudra attendre pour le vérifier. Mais, pour les Européens, c'est une certaine période d'incertitude.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : L’OTAN obsolète, l’UE trop allemande, le Brexit une bonne chose… Le festival Trump continue

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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