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La défense devient priorité n°1, la parole se libère, les projets sortent. Merci David!

On n'en est pas encore aux missions trop robustes. Mais il n'est plus question d'être timide (crédit : EMA / DICOD - archives B2) départ de pilotes de la force Chammal
On n'en est pas encore aux missions trop robustes. Mais il n'est plus question d'être timide (crédit : EMA / DICOD - archives B2) départ de pilotes de la force Chammal

(BRUXELLES2) Une "relance" de la défense européenne après le Brexit est dans toutes les têtes. Et les titres fleurissent bon comme le muguet en mai. Mais à vrai dire, cette relance est, pour l'instant, encore limitée. Ou du moins il ne faut pas voir dans ce qui est présenté ces jours-ci une conséquence du Brexit... c'est plutôt le contraire. En revanche, la parole se libère... Et, pour cela, tous ceux qui croient un peu que la défense européenne est utile peuvent dire : merci David !

Essayons d'y voir clair !

Il faut veiller, en effet, à ne pas confondre ce qui était déjà « dans les tuyaux » et devait, de toute façon, déboucher, et ce qui pourrait soit être réactivé, soit être mis en place. Entre l'enthousiasme du novice, qui découvre la lune, ou saute en l'air en se disant 'tiens l'Europe de la défense existe' et le commentaire à peine blasé du vieux de la vieille revenu de tout, qui se dit, mais çà en 1926 ou 1958 on l'avait déjà pensé ou de 'de toute façon ca ne marchera pas'... il y a un espace pour la mesure et la réalité.

Un peu de temps nécessaire à la préparation

Si peu de choses sont sorties récemment sur la défense, la faute en revient, en fait, en partie au référendum britannique mais aussi au délai nécessaire pour préparer toute une série d'initiatives, après la période 'gelée' de l'époque Ashton-Barroso et des élections européennes. Quand on regarde près, on voit que les prochains mois dans le domaine de la défense, de la sécurité intérieure et extérieure vont être riches en projets aboutis (régulièrement commentés dans nos colonnes). En voici quelques exemples ci-dessous...

La sécurité priorité numéro un

Ce qui semble sûr, en revanche, c'est que la sécurité et la défense ont désormais été hissées au rang de priorité numéro 1. La déclaration des trois dirigeants franco-allemand-italien en témoigne. Mais aussi certains signes imperceptibles. Une déclaration récente des patronats franco-allemand la mettaient également devant les autres priorités économiques. Car, plus que tout, le continent a besoin de sécurité. Ce n'est qu'avec une sécurité qu'il pourra y avoir un développement économique. La formule applicable aux pays africains ou asiatiques est aussi vraie pour les pays européens.

Ca sort ou çà pulse !

Ce qui est en préparation et va sortir coté 'défense' dans quelques jours

La stratégie globale, rédigée sous la houlette Federica Mogherini, qui est plutôt ambitieuse même si elle est peu confuse, est publiée aujourd'hui (sans grand changement depuis plusieurs semaines d'ailleurs). Elle devrait être complétée rapidement de 'sous-stratégies' dont une en matière de sécurité et de défense. La Commission prépare d'ailleurs un plan d'action en matière de défense d'ici la fin de l'année, sorte de complément "communautaire" à la Stratégie globale.

L'action préparatoire de recherche liée à la défense devrait sortir des limbes dans quelques jours, prélude à un futur programme cadre au-delà de 2020. Elle devrait être suivie d'une initiative visant à financer l'équipement des armées (africaines), un point fondamental réclamé à cor et à cri par la France et tous les chefs d'opération/mission.

L'opération maritime en Méditerranée franchit dans quelques jours (ou semaines) une étape, passant d'une phase 'gentillette' à une option plus 'robuste' avec contrôle de l'embargo des armes, en attendant que se déploie une autre mission européenne pour aider les Libyens à reconstruire leurs forces de sécurité (police, gendarmerie, justice, douanes, etc.).

Ce genre d'initiative ne se prépare pas en 48 heures. Et n'a d'ailleurs été qu'impacté très à la marge par le Brexit. La réforme des structures de gestion de crise, qui est actuellement sous le boisseau et se poursuit à l'ombre des réunions des ambassadeurs ou des groupes de travail, devrait cependant connaître un coup de fouet avec la sortie britannique. L'idée d'un QG civilo-militaire est désormais évoqué ouvertement (là où hier on parlait de "renforcement", "de synergie" ou de "réorganisation" dans un organigramme interne :-).

Ca bouge aussi 'coté sécurité intérieure'

Au niveau 'intérieur', ca bouge aussi. Mais le moteur est, là, davantage lié aux deux crises majeures que vit l'Europe : la crise migratoire et le terrorisme. Car Brexit ou pas, de toute façon, le Royaume-Uni ne participe pas à la plupart de ces initiatives ou législations.

La mise en place d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes constitue une innovation fondamentale, et un saut réel dans la gestion en commun des frontières (gestion en commun qui était pour l'instant assez théorique). Les législations européennes anti-terroristes sont en passe d'être renforcées (au plan pénal, financement, PNR, etc.)... Et le centre anti-terroriste d'Europol se met (lentement) en place (de façon plus administrative qu'opérationnelle pour l'instant).

Une parole libérée

Au final, si le Brexit a un effet au niveau de la défense, c'est — comme un bouchon de champagne qui saute — de libérer la parole. Tous les responsables politiques qui se taisaient ou baissaient le ton pour parler de défense — car cela 'allait gêner les Britanniques', 'cela ne passerait pas', c'était 'contre-productif' disait-on —. semblent tout à coup, retrouver leurs 'méninges', leurs 'convictions', leur parole. Les termes « d'autonomie stratégique » et de « capacités autonomes » (1) qui étaient tabous sont désormais ouvertement assumés, voire mis en avant.

Les idées ressortent

Il faudra encore du temps pour articuler et mettre en rapport, ce qui ressort de la 'belle intention' de ce qui est plus concret. Mais le simple fait qu'on ose aujourd'hui reparler de mettre en place la coopération structurée permanente (jamais mise en place et même jamais discutée très sérieusement), d'avoir un commandement opérationnel civilo-militaire au niveau européen (qui était en préparation mais très très discrètement), d'avoir des capacités autonomes à disposition de l'Europe — comme le fait très officiellement le papier franco-allemand — est une très bonne chose.

L'heure de vérité

C'est en fait l'heure de vérité maintenant. On va voir ceux qui se contentaient de parler mais préféraient s'abriter derrière ce bon vieux veto britannique et les autres. Deux dangers guettent cette 'relance'. Il faut veiller à ne pas venir repêcher de (vieilles, bonnes) idées, qui ne sont plus tout à fait adaptées aujourd'hui ou, tout simplement, ne tiennent pas compte des impératifs internes (budgétaires, politiques, opérationnels). Il faut aussi en profiter pour faire l'inventaire. Il y a aujourd'hui beaucoup de travaux à entreprendre. Il faut réserver la 'force humaine' à l'essentiel. Cela veut dire stopper l'inutile ou, du moins, le manque de résultats concrets, et visibles.

Un droit d'inventaire et de questionnement

Est-ce aujourd'hui nécessaire de continuer à travailler sur les 'headlines goals' ? Est-ce nécessaire de garder des battlegroups si on sait très bien qu'il ne pourront pas partir (faute de moyens financiers, opérationnels et de décisionnel politique) ? N'est-il pas temps de fermer certaines missions de la PSDC dont l'atout réel est discutable — et discuté même en interne ? Ne faut-il pas se poser la question du saupoudrage de divers projets de développement qui n'ont juste pour but que de dépenser l'enveloppe indiquée ou de pouvoir dire que l'Europe est le 'meilleur élève' de la classe ? Etc.

Réfléchir à ce qui est nécessaire et utile

Il ne s'agit pas de tout casser. Mais il ne faut plus avoir de tabous... Il s'agit de réfléchir aux bons instruments adaptés, à la bonne place. Je pense qu'il vaut mieux dépenser un peu moins un peu mieux (pour le développement) et avoir un peu moins de missions (mais plus efficaces) que la reproduction du modèle actuel.

Pour un aggiornamento dans l'Europe de la défense

Aujourd'hui, l'Europe et les Européens ne peuvent plus se permettre les approximations, ou les faux communiqués de victoire (plus dignes de la propagande nord-coréenne que de l'information européenne). On ne peut plus se permettre de faire la même chose qu'hier sous prétexte qu'hier on le faisait et ne plus faire serait dangereux. L'Europe de la défense mérite un réel aggiornamento, une review complète de ce qui doit être fait, de ce qui doit être abandonné, de ce qui doit être développé.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Ces termes avaient notamment suscité de vives discussions lors du sommet consacré à la Défense, en décembre 2013, et biffés des conclusions finales, sous la pression d'un certain ... David Cameron qui en avait fait sa ligne rouge, surinterprétant ce fait pour dénoncer le transfert de compétences à Bruxelles. Lire : David Cameron sonne la charge (héroïque) …

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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