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Le destin d’Edgard

(crédit : Commission européenne)
(crédit : Commission européenne)

(B2) 97 ans c'est un bel âge pour mourir surtout après avoir vécu comme Edgard Pisani. Un homme à plusieurs facettes.

Présumé être le père de la Politique agricole commune, il n'est pas que çà. C'est aussi un apôtre de la dissuasion nucléaire à la française, et un spécialiste du budget de la défense. C'était d'ailleurs sa "spécialité" au début de sa carrière politique. En 1958, il s'est aussi opposé à l'état d'urgence du général de De Gaulle. Des Européens, il est connu pour avoir été le chantre d'une "vraie" politique de développement européenne (il en a été le commissaire européen de 1981 à 1984). En France, il est plus connu pour son rapport (avec L. Fabius) rédigé en 1985, prônant un statut d'indépendance - association pour la Nouvelle Calédonie. Rapport très critiqué mais qui finalement était assez visionnaire puisque le référendum d'auto-détermination est prévu... l'année prochaine (Pisani aurait eu 100 ans).

Né Britannique devenu Français

Né Britannique à Tunis un certain jour d'octobre 1918, un mois juste avant l'armistice, il connait une carrière interrompue par la guerre. Diplômé du Lycée Louis-le-Grand, de la Sorbonne et de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale (IHEDN), son destin parait tracé : la haute administration. La guerre l'interrompt. Démobilisé, il passe chez les "renégats"...  Autrement dit la Résistance.

Renégat devenu préfet de police et dir. cab ministériel

A la libération, il est nommé chef de cabinet du préfet de police, en 1944, puis deux ans plus tard directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur. Après un court passage en préfecture, de Haute Loire (le plus jeune préfet, à 28 ans), il occupe durant quasiment un an (janvier - décembre 1947) le poste de directeur du cabinet du ministre de la Défense, François Billoux. Il est alors nommé préfet de Haute-Marne, dont il fera son chef lieu comme sénateur.

Un spécialiste des enjeux de la défense nationale

Elu en 1954, réélu ensuite, il siège (notamment) à la commission de la défense nationale et se passionne pour la question du budget de la défense nationale. Il est rapporteur d'une proposition de loi sur la réforme du recrutement de l'armée. Il sera rapporteur de la commission de la défense nationale sur plusieurs projets (l'organisation générale de la défense nationale, les réservistes, etc.). Il défend un budget de défense qui puisse «  refléter la capacité d'anticipation » sur les grands enjeux futurs, estimant plus important de définir des hiérarchies et des responsabilités que d'accumuler du matériel militaire. NB : Edgard Pisani n'aura pas que ces sujets dans son escarcelle de sénateur, le logement social, les finances des collectivités locales et surtout l'agriculture et les revenus des agriculteurs, territoire rural obligent. Ce qui aura de l'importance pour la suite...

La dissuasion nucléaire facteur de puissance

En 1956, il corédige, avec son collègue de Maupeau, un rapport qui met en lumière les perspectives de l'énergie atomique pour la Défense nationale et plaide pour que la France se dote « d'une politique de dissuasion nucléaire afin de se maintenir au rang des grandes puissances ».  Européen convaincu, il vote en 1957 pour la création du marché commun et de l'Euratom. En mai 1958, Edgard Pisani vote contre l'état d'urgence estimant que le gouvernement a déjà de fait les pleins pouvoirs. Et argue pour une solution de confédération nord-africaine. Mais en juin 1958, il vote les pleins pouvoirs au général De Gaulle et la révision constitutionnelle.

Le père de la PAC et d'une "autre" politique de développement

Gaulliste, il a été ministre à plusieurs reprises de 1962 à 1967 dans les gouvernements de Michel Debré comme Ministre de l'Agriculture (c'est là qu'il conçoit ce qui deviendra la PAC, la politique agricole commune), et de Georges Pompidou, comme Ministre de l'Équipement. Il se détachera du gaullisme pour adhérer au parti socialiste en 1974. Revenu au sénat sous Giscard en 1974 il en démissionne après l'élection de François Mitterrand en mai 1981 pour partir à Bruxelles comme commissaire européen chargé du Développement, remplaçant Claude Cheysson appelé comme ministre.

Le père d'une politique plus moderne du développement

La Commission des Communautés européennes est alors dirigée par le Luxembourgeois Gaston Thorn. On y trouve quelques noms "mythiques" comme l'Italien Lorenzo Natali à la politique méditerranée et l'Elargissement, le Belge Etienne Davignon à l'Industrie, le Néerlandais Andriessen à la Concurrence. A Bruxelles, Pisani laissera une certaine trace. Il est l'auteur du rapport sur la politique de développement de 1982 (2) prélude au renouvellement des accords de Lomé III qui seront signés en 1984 et qui introduisent une innovation importante : passer du financement de projets épars au financement de politiques plus intégrées. Il avait participé auparavant à la commission dirigée par Willy Brandt qui avait abouti en 1980 à un rapport prônant la redéfinition des relations Nord - Sud.

(Nicolas Gros-Verheyde)

NB : Il est le père de l'économiste Jean Pisani-Ferry, directeur de Bruegel.

(*) Sur lequel tous les étudiants en affaires européennes ont planché... à l'époque

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Le destin d’Edgard

  • Jolyon Howorth

    Nicolas,

    Merci d’avoir salué Edgard Pisani: un grand commis d’état, un grand homme et un grand ami personnel.

    Jolyon

Commentaires fermés.

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