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Arianespace. La première bourde de Vestager ? (maj2)

Site Airbus Safran Launchers(B2) La commissaire danoise chargée de la Concurrence, Margherete Vestager, a annoncé vendredi après-midi, par voie de communiqué (rédigé uniquement en anglais), l'ouverture d'une « enquête » sur le rachat d'Arianespace par Airbus Systems Launcher (ASL).

  • Une enquête qui ne serait pas totalement inopinée selon nos informations, mais serait fondée sur des plaintes, ne venant pas que de concurrents américains mais aussi d'un... partenaire de la Commission européenne dans le lancement de Galileo, le fabricant de satellites allemand basé à Brême, OHB, qui est le partenaire de la Commission européenne pour le lancement de Galileo.

Deux versions d'une analyse très classique

On peut estimer qu'il ne s'agit pour l'autorité européenne de la concurrence que de « verrouiller » le dispositif et de s'assurer en réponse aux inquiétudes de concurrents (américains mais aussi européens...) notamment que le dossier de fusion répond bien aux impératifs du marché et des règles de la concurrence. C'est la version optimiste. On ne peut s'empêcher cependant de remarquer que la communication de l'exécutif européen reflète une analyse très classique du point de vue de la concurrence (domination d'un opérateur sur un marché). Une vision un peu 'old school' et très 'boy-scout' de la politique de concurrence qui semble appliquer à la politique spatiale les mêmes critères et recettes que la distribution alimentaire ou l'industrie du logiciel. Une position qu'on ne doit pas négliger...

Une vision old school

A lire la position de la Commission, on a quelque peu en effet l'impression d'être revenu 25 ans en arrière quand la Commission européenne refusait (en octobre 1991) le rachat par le Français Aérospatiale et l'Italien Alenia du Canadien De Havilland. Au nom « de la politique de la concurrence ». Le commissaire (britannique) Leon Brittan expliquait alors qu'il s'agissait de « protéger les entreprises et les consommateurs contre les effets néfastes qu'aurait la création d'une telle position dominante sur le marché » (lire ici). Un raté monumental du point de vue de la politique européenne (1). Me Vestager a simplement modernisé le discours et prétend vouloir protéger « l'innovation ». Mais on a l'impression que le fond reste le même.

Et légèrement boy scout

Cette vision très 'boy scout' ne tient que très peu compte de la nature du marché hautement stratégique du spatial — qui touche de très près à des questions de sécurité et de défense — comme de l'échelle mondiale du marché. On trouve ainsi peu de mentions (du moins dans la partie publique de la communication de la Commission) sur la concurrence chinoise, russe ou japonaise potentielle. La Commission ne mentionne que des sociétés américaines dans son communiqué (en oubliant au passage l'actionnariat russe de la société ILS). Si ces sociétés ne sont pas encore tout à fait concurrentiels, ce n'est pas du fait d'Arianespace, et d'un éventuel monopole, mais bien de certains échecs répétés de ces concurrents, de certaines législations limitatives américaines (qui ont une vision un peu moins angélique), et de la longueur d'avance pris en termes technologiques et commerciaux par l'industriel européen (2).

Le succès d'Arianespace tient justement à avoir investi dans l'innovation et dans un certain monopole qui lui a été conféré de fait par ses géniteurs, certains Etats européens. L'argument 'innovation' — utilisé par la commissaire Vestager — semble plutôt faible dans un domaine hautement technologique, où même s'il disposerait d'une position dominante, l'opérateur européen devra continuer d'innover en permanence, ne serait-ce que pour attirer de nouveaux clients.

La taille critique nécessaire pour innover

L'intérêt de l'économie européenne, des Européens, n'est pas d'avoir une série d'acteurs clairsemés dans un domaine — l'aéronautique et le spatial —, où l'important est d'avoir la taille critique. Il faut avoir un maximum de concentration, un maximum de synergie des différents acteurs pour avoir une taille mondiale suffisante, pouvoir disposer de ressources suffisantes en matière de R&D et avoir maintenir une position dominante sur le marché. La concentration n'est pas l'ennemi de l'innovation contrairement à ce que pense la Commission. Elle est son précieux allié. Il y aura toujours une série de sous-traitants

Constituer un champion européen

C'est tout l'intérêt des Européens de dominer le marché. Nous ne sommes pas dans une bataille de petits pois ou de logiciels mais dans une bataille stratégique. Il faut arrêter l'angélisme. Maitriser le spatial confère aux Européens non seulement l'autonomie stratégique nécessaire mais aussi une position essentielle dans le monde. C'est une question de pouvoir. Les Européens n'ayant pas la plus puissante armée du monde (et ne la revendiquant pas), ils doivent avoir d'autres atouts. Et la maitrise de certains domaines économiques est un atout non négligeable sur la scène mondiale, même dans des négociations politiques.

Ne pas briser le haut niveau d'intégration

La grande chance du domaine aérospatial européen est d'avoir justement assuré ce haut niveau d'intégration et de concentration. Un haut niveau qui n'a pas été atteint dans les autres secteurs de la défense notamment (terrestre, maritime, aviation de chasse...). Ce qui fait la faiblesse européenne aujourd'hui. Une faiblesse qui n'est pas seulement un désavantage commercial — du point de vue du strict prix, il vaut mieux acheter un F-16 qu'un Gripen, un Eurofighter ou un Rafale — mais qui est une faiblesse stratégique et politique. L'attitude légèrement condescendante de plusieurs pays à l'égard de l'Europe n'est que la traduction de cette faiblesse.

Une erreur politique profonde

En remettant en cause cet atout, la commissaire Vestager a commis certainement ce qui constitue sa première erreur en terme politique. Elle reflète une certaine étroitesse d'esprit sur la conception même de l'Union européenne : être plus fort, ensemble. Il ne faut pas diviser, fragmenter, mais au contraire rassembler, fusionner.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : L’acquisition d’Arianespace par ASL contestée par la Commission


Anglais exclusivement

Langue : aucune !

De façon plutôt curieuse, le communiqué publié par la commissaire n'a été publié qu'en anglais. Et à l'heure du bouclage de ce papier, il n'était toujours disponible dans aucune langue parlée en Europe (voir ci-contre, autres langues disponibles = aucune !). Ce qui constitue une infraction aux règles en vigueur. Les trois langues de travail de la Commission sont l'anglais, le français, l'allemand. Et il est d'usage et même quasi-obligatoire de publier le communiqué dans la langue de la nationalité des sociétés concernées. Jusqu'à nouvel ordre, c'est le cas d'Arianespace. Ce qui est d'ailleurs en matière de concurrence une obligation quasi-nécessaire pour légitimer cet acte qui a une double fonction : informer la presse mais aussi le public plus généralement, de potentiels acteurs ou personnes intéressées sur le marché de la contestation et les inviter à donner leur avis. A mon sens, il y a donc une double infraction qui pourrait remettre en cause tout simplement la décision de la Commission !

(Maj) J'ai posé la question au briefing de midi lundi. Un « problème technique a empêché la mise en ligne » m'a-t-on assuré. Mais ceci « n'a aucune conséquence juridique sur la notification de l'enquête faite aux entreprises ». 10 minutes à peine après ma question, le communiqué était rendu disponible en français ainsi qu'en allemand et et en néerlandais (ce qui est obligatoire en fonction de la nationalité des entreprises, Airbus et ASL sont des sociétés de droit néerlandais). Miracle !


(1) Cette décision contribua à la naissance d'un puissant concurrent dans l'aviation de transport régional. Le canadien Bombardier rachetant son compatriote De Havilland. Un secteur sur lesquels les Européens ne sont pas aujourd'hui leaders. Le Brésilien Embraer étant, lui aussi, particulièrement dynamique. Merci Leon !

(2) Lire un article un peu ancien mais très bien fait de Usine nouvelle qui dresse un portrait des quatre concurrents d'Arianespace en matière de lanceurs

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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