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La demande française de solidarité : un semi flop

Passée l'émotion, bien visible, malgré la gesta politique, le 17 novembre, la solidarité s'est fait attendre (Crédit : CUE)
Passée l'émotion, bien visible, malgré la gesta politique, le 17 novembre, la solidarité s'est fait attendre (Crédit : CUE)

(B2) Lors de la réunion des ministres de la Défense, le Français Jean-Yves Le Drian, devrait encore demander à ses alliés européens un peu d'aide et d'assistance européenne. Il faut dire que deux mois et demi après l'invocation par la France de l'article 42.7 (la clause d'assistance mutuelle), les Européens ne se bousculent plus vraiment au portillon français. Notre premier sondage, au bout d'un mois, montrait un certain engagement, à confirmer. Six semaines plus tard, on ne peut pas dire qu'il y ait eu de grands mouvements de confirmation. Et notre jugement de 'plutôt positif' s'est affiné pour être à 'plutôt négatif' (si on était dans une agence de classement, on dirait B-). Car aucune promesse notable n'a été engrangé depuis. Bien sûr, on pourrait dire que les Européens sont frileux, timides, pusillanimes. Mais, semble-t-il, la responsabilité de ce flop est largement partagé.

Les besoins de la crise des frontières

Tout d'abord, les Européens ont des besoins ailleurs. D'une part, la crise des réfugiés et des frontières oblige à mobiliser des forces importants. Et elle ne semble pas prêt de cesser immédiatement. L'armée est appelée à la rescousse dans plusieurs pays (Allemagne, Autriche, Croatie, Hongrie, Grèce). Et les Etats sont plus que réticents à envoyer leurs troupes au large.

La concurrence de la demande américaine

D'autre part, il faut répondre aussi à la demande américaine. Washington a aussi fait passer leur catalogue de demande pour demander aux Européens de s'impliquer davantage en Irak et en Syrie, dans la lutte contre Daesh. Une demande circonstanciée, accompagnée d'un argument sonnant et trébuchant : Nous nous engageons davantage sur le continent européen, dans les pays proches de la Russie, vous vous engagez davantage. La demande américaine avait l'avantage d'être incisive et claire. Entre soutenir les Américains et les Français, plusieurs pays ont vite fait leur choix. De façon officielle, plusieurs de ces pays (Italie, Pays-Bas) ont affiché qu'ils répondaient ainsi à la demande française. Une politesse toute diplomatique qui ne doit pas cacher que c'est la pression américaine qui a surtout payé pour un engagement supplémentaire au "Levant" (Irak, Syrie).

Une demande française assez floue

La demande française reposait sur un argument de moyens : aidez-nous en Afrique ou au Moyen-orient, pour dégager des moyens nous permettant de les utiliser sur le terrorisme. Une très belle allégorie. Mais une argumentation très difficile à justifier par exemple pour la Centrafrique (d'ailleurs l'offre en nombre de personnel se monte à moins d'une dizaine tout confondus pour ce pays). La France n'a d'ailleurs demandé aucun moyen direct pour lutter contre le terrorisme en France; Ce qui aurait eu une valeur autrement plus symbolique et réelle de la solidarité. La complication que cela aurait entraînée, en termes de gestion au jour le jour, a pesé. Mais aussi un certain sentiment, très national, que la France peut répondre, toute seule, face au terrorisme. A cela, il faut ajouter un sentiment assez généralement répandu que gérer en multinational une opération offre un ratio coûts-avantages négatif. Le message français a ainsi été brouillé.

Le multilatéral (presque) toujours préféré au bilatéral

Enfin, la méthode choisie — le "bilatéralisme" — interroge aussi. Quand on s'appelle "les Etats-Unis," cela peut fonctionner. Et encore... Même Washington est passé par un canal "multilatéral" : l'OTAN. Quand on s'appelle "la France", qui reste un pays de taille moyenne, sans moyens financiers et matériels puissants, cela est plus délicat. Paris a préféré laisser l'institution européenne en dehors de tout canal de coordination et de concertation. A la grande satisfaction de certains responsables européens qui ont, ainsi, pu se laver les mains de tout flop. Or, c'était oublier un principe : hormis le Royaume-Uni (et quelques autres), la majorité des pays ne souhaite pas vraiment s'engager dans une "aventure" bilatérale, et préfère le multilatéralisme — que ce soit au sein de l'OTAN, de l'ONU ou de l'Union européenne — qui lui prodigue une ombrelle de sécurité et lui assure, au plan interne, un soutien politique. On pourra ainsi remarquer que, hormis l'assistance britannique, tous les engagements annoncés le sont soit dans une mission de l'Union européenne, soit de l'ONU. Un signe...

Une erreur tactique

L'utilisation de l'article 42.7 était une trouvaille intelligente. L'avoir cantonné à une négociation bilatérale a brouillé les cartes. Les institutions européennes s'en sont désintéressées. Plusieurs pays se sont méfiés ou ont profité pour négocier des contreparties (toujours en discussion pour la Pologne par exemple). Les responsables militaires nationaux n'ont pas vraiment eu envie de s'engager, préférant poursuivre leur planification. Aucune pression extérieure ne se manifestant vraiment, l'effort européen est resté au milieu du gué. De fait, Paris n'a obtenu que deux engagements majeurs : le Royaume-Uni et l'Allemagne qui s'inscrivent tous deux dans une stratégie tout autant nationale que bilatérale, ainsi que quelques miettes d'engagement dans diverses missions européennes. Même les Belges - qui avaient réservé un demi-bataillon à disposition des Français sur le Sahel - semblent revenir sur leur position. Aucun accord n'a été trouvé entre Bruxelles et Paris. Un flop tout autant français donc qu'européen.

Des signes encourageants

Bien sûr, à Paris, on récuse ce terme. Et on préfère voir le verre à moitié rempli que le verre à moitié vide. Dans l'entourage du ministre, que B2 a joint, on préfère déceler dans les différents annonces faites par les Etats membres : « des signes encourageants ». Et on salue « les décisions courageuses des pays partenaires ». La réalité que nous avons perçue semble cependant toute autre. Jusqu'à preuve du contraire, le tour des capitales effectué par B2 (lire : La clause d’assistance mutuelle (42.7) activée. Qui se mobilise ? Comment ? (maj5)) démontre qu'il y a ainsi eu peu d'évolution majeure depuis fin décembre. Une analyse qui se base sur des engagements chiffrés, preuves à l'appui, et non sur des impressions. Pour nombre de pays, la raison d'un engagement extérieur ne peut se résumer à la solidarité avec la France. Il peut le motiver, le justifier. C'est en fait un argument (1), parmi d'autres, mais pas le plus décisif.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Il permet notamment de justifier certains engagements extérieurs, permettant également de convaincre des parlementaires réticents (surtout s'ils appartiennent au parti social-démocratique).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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