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Crise des réfugiés. Arrêtez de taper sur la Grèce, aidez-nous ! (Mouzalas)

Ioannis Mouzalas et Nikos Toskas, ministres grecs délégués l'un à la Migration, l'autre à la protection civile, à Amsterdam (© NGV / B2)
Ioannis Mouzalas et Nikos Toskas, ministres grecs délégués l'un à la Migration, l'autre à la protection civile, à Amsterdam (© NGV / B2)

(B2) C'est une violente charge à laquelle s'est livrée à Amsterdam, le Ministre grec délégué à la politique migratoire, Ioannis Mouzalas, et son collègue chargé de la protection civile Nikos Toskas (un ancien général à la retraite). « Beaucoup de mensonges sont dits » dénonce Ioannis Mouzalas, mettant en cause de façon quasi-directe plusieurs Etats membres qui « blâment la Grèce ». Chacun en prend cependant pour son grade : les autres Etats membres notamment qui accusent la Grèce de ne rien faire mais ne sont pas vraiment solidaires, voire mettent des bâtons dans les roues de la relocalisation, l'agence Frontex qui ne joue pas son rôle... Mais « pas les institutions européennes. Elles font leur travail ».

Un retard... mea culpa

C'est vrai que la Grèce est « en retard » sur certaines questions. « Nous sommes en retard sur les hotspots ». Ils auraient dû être en place en février. Ce « ne sera pas le cas. Nous avons du retard pour construire les bâtiments de réception, de la police. C'est vrai ». Mais « il n’y a pas de problème d’identification – contrairement à ce qu’on dit —. La prise des empreintes digitales et l'inscription dans la base Eurodac fonctionnent dans les autres places en Grèce. »

Pour prendre les empreintes digitales, encore faut-il avoir des machines

« C'est vrai que l’on a eu des problèmes au début avec la prise des empreintes ». Mais c'est simple, cela est dû au manque de moyens plaide le ministre. « Dans les 7 premiers mois, nous n'avions que 12 machines seulement pour prendre les empreintes digitales alors que nous avions un flot continu de 6-1200 migrants par jour dans de petites iles. On a réussi à atteindre ensuite un chiffre de 50% de prises d’empreintes digitales. Avec les 68 machines acquises derniers mois, on atteint les 80%-90%. La semaine dernière, nous avons reçu de l'argent et pu acheter une centaine de machines, le problème est en passe d’être résolu. » C’est vraiment trop facile de blâmer la Grèce de ne pas prendre les empreintes digitales et de ne pas voir pourquoi nous ne les avons pas pris.

La relocalisation a du retard... Les Etats inventent d'autres critères

« Il y a du retard sur les camps de relocalisation. Nous assumons ce retard. Nous avons créé 20.000 places dans des appartements loués et 5000 dans d'autres structures (sur les 45.000 prévues) » Mais on ne peut rendre les Grecs responsables de l'échec de la relocalisation. « La relocalisation ne fonctionne pas parce que nous n’avons pas les 45.000 places. Mais parce que l’on a placé d’autres critères, accuse-t-il. Et d'énoncer les critères posés par certains pays : « certains ne veulent pas des Noirs, d'autres pas des familles nombreuses, d'autres veulent que tous soient safe ». Et « seuls 15 des 28 pays ont donné des places pour la relocalisation ».

La solidarité en mer : limitée !

Il est « faux de dire que la Grèce ne veut pas d'aide de Frontex. Au contraire. Nous avons demandé 1500 personnes, on a obtenu 800 personnes. » Certains Etats préfèrent envoyer leurs effectifs en ex république yougoslave de Macédoine (Fyrom). « Ils préfèrent aider un Etat non membre qu'un Etat membre » regrette-t-il. Athènes a également demandé des garde-côtes et des navires. « On a demandé 28 navires, ils en ont envoyé 6 ». « Si cela fonctionnait, on n’aurait pas eu ces noyades comme celle de la semaine dernière où 48 personnes sont mortes. » NB : vendredi dernier 22 janvier, suite à plusieurs naufrages en mer Egée.

Peu d'aide en matière de protection civile

« Nous avons fait des demandes au niveau européen en matière de protection civile » soulignent les ministres grecs. « Nous avons demandé 26 ambulance, on nous en a envoyé 0 ; 47 véhicules, on nous en a envoyé 0 ; 900 containers, on nous en a envoyé 0 ; nous avons demandé 4000 lits, on nous en a envoyé 500 lits ! Alors, avant de jouer au "blame game", vérifiez ... »

Le système de réadmission ne marche pas : le Pakistan en accusation

Et les débatteurs mettent un doigt sur un problème majeur : les retours ne fonctionnent pas. « Le Pakistan, le Maroc n'accepte pas les réadmissions. Nous avons envoyé un avion au Pakistan et ils nous l’ont renvoyé. Même chose pour (un avion de) Frontex. Est-ce la responsabilité de la Grèce ? — s'interroge-t-il — ou la responsabilité de l’Europe qui n'exerce pas de pressions sur le Pakistan d’œuvrer sur la réadmission ? »

La Turquie n'en fait pas assez non plus

Avec la Turquie, il y a « de très petits progrès. On a obtenu 130 réadmissions depuis début janvier. Durant ce temps (25 jours), 60.000 nouvelles personnes sont arrivées en Grèce. Vous croyez que c'est fair play. » Il faut « aider la Turquie à stopper le flot » ajoute-t-il. Mais il faut que celle-ci « joue le jeu ».

Que voulez-vous que l'on fasse : couler les bateaux ?

« Nous essayons de sécuriser nos frontières » argumente le ministre. Mais il faut bien comprendre notre situation. La côte turque n'est pas à des centaines de miles. « Nous sommes à peine à quelques miles (nautiques) » intervient Toskas. Et la Grèce se doit de respecter les normes : « Il  y a la loi internationale, la loi en mer, convention réfugiés, la loi européenne, la loi grecque » qui oblige à porter secours aux réfugiés en mer. Et d'ajouter « Si un Etat a des propositions à nous faire, qu’il l’exprime clairement. Car je ne peux pas m’imaginer qu’ils nous demandent de couler les navires ou de les repousser. »

L'Europe doit faire davantage

Et le ministre de conclure en dénonçant un certain irréalisme de la position européenne. A force de fermer les portes de voies légales, les migrants et réfugiés passeront pas d'autres voies illégales. Quant à la possible exclusion de la Grèce de Schengen, il dénonce toute tentative pour ce faire. « Plus que jamais nous sommes en Europe et les actes unilatéraux font moins d’Europe. Nous n'avons aucune possibilité et aucune capacité de prendre tous ces réfugiés en Grèce. Pensez-vous que c’est un problème uniquement grec ou un problème européen ? » Et d'appeler l'Europe à se ressaisir faire plus « pour la relocalisation » des réfugiés arrivés en Italie et Grèce, « pour la réinstallation » de ceux arrivés en « Turquie, Jordanie, Liban ».

(Nicolas Gros-Verheyde, à Amsterdam)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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