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Cologne. Un simple dérapage ou une nouvelle méthode d’intimidation ? (maj)

(crédit: NRW / baukunst-nrw.de)
(crédit: NRW / baukunst-nrw.de)

(B2) Les évènements survenus à la gare principale (HauptBahnhof) de Cologne dans la soirée du Nouvel an interpellent. S'agit-il juste d'un dérapage collectif de quelques individus, un peu éméchés, ou excités. Ou de quelque chose d'un peu plus organisé, orchestré, par des mouvements qui ont intérêt à la déstabilisation ? Certains indices incitent à pencher en ce sens ou du moins à se méfier de toute leçon trop rapidement tirée et à s'interroger...

Une violence sexuelle de masse

Les évènements à Cologne ne semblent pas avoir été totalement spontanés mais plutôt planifiés, ou au moins provoqués. Le nombre de personnes impliquées — de femmes victimes comme d'auteurs présumés — le lieu de rassemblement des auteurs, le mode opératoire en razzia (loin du mode habituel du prédateur sexuel), la présence de mots traduits vers l'allemand (plus ou moins intimidants 'je veux t'embrasser', 'je veux te baiser' ou ayant rapport à l'anatomie féminine)... sont autant de faits sur lequel il faudra se pencher avec attention. Car il pourrait s'agir d'une sorte de 'sex-mob' d'un nouveau genre (voir encadré).

Un usage à des fins d'intimidation

La méthode utilisée comme l'objectif visé correspondent en tout cas, assez exactement, aux méthodes et buts de certaines organisations, comme celle de l'Etat islamique. Ce mouvement ne vise pas, en effet, comme ses prédécesseurs dans l'utilisation de l'action terroriste (des Brigades rouges ou action directe à l'OLP ou GIA, Hamas) à conquérir une liberté, un territoire ou transformer le pouvoir. Il vise davantage à déstabiliser les sociétés ciblées — musulmanes et arabes, dans les pays du Moyen-Orient, et occidentales — en agissant sur des ressorts davantage psychologiques que politiques : la peur, la division, le racisme...

L'usage de la violence sexuelle pour asservir

Cette terreur, Daech, l'exerce également, sur les territoires qu'il contrôle, par l'usage des violences sexuelles, de masse de préférence, à l'égard notamment des minorités mais aussi à l'égard de ses propres populations (1). L'objectif est, à la fois, d'assouvir leur pouvoir mais aussi semer la terreur dans les territoires qu'elles contrôlent. L'exemple des Yezidis, désormais assez bien documenté le montre. Pour assurer la traite des femmes et des jeunes filles Yazidi, l'organisation a créé « une infrastructure systématique, avec un réseau d’entrepôts où les victimes sont retenues, des salles d’observation où elles sont inspectées et mises sur le marché et une flotte dédiée d’autobus pour les transporter » comme le montre l'enquête du New York Times, traduite dans cet article de la RTBF. Daech a, non seulement, « développé une bureaucratie détaillée d’esclavage sexuel » avec « contrats de vente notariés » par les cours de justice mais il a aussi développé une doctrine propre.

Une doctrine du viol et de la violence sexuelle

« De manière répétée, les dirigeants de l’EI mettent l’accent sur une interprétation restrictive et très sélective du Coran et d’autres règlementations religieuses afin de, non seulement justifier la violence, mais également d’élever et de célébrer chaque crime sexuel comme spirituellement bénéfique, même vertueux. » « A chaque fois qu'il me violait, il priait" raconte une jeune fille de 15 ans. (...) "Il ne cessait de me dire que c’était ibadah", dit-elle, utilisant un terme des écritures islamiques qui signifient le culte. »

L'objectif : provoquer une onde de choc

Une action terroriste (un attentat) à la différence d'un acte de guerre n'a, en effet, pas automatiquement pour but de détruire l'adversaire mais de provoquer une onde de choc qui sera, elle, largement supérieure à l'effet lui-même de l'attentat et, en retour, atteindre l'objectif recherché : miner et détruire de l'intérieur. Or, si les attentats de novembre et décembre (Bamako, Paris, Beyrouth, Egypte...) ont atteint la première cible (des morts), ils n'ont qu'imparfaitement encore provoqué des effets secondaires. On pourrait même dire : au contraire.

L'échec politique des attentats de novembre

À Paris, l'attentat du 13 novembre a provoqué une union nationale plus certaine que ne l'avaient été les attentats de janvier. En voulant frapper le football (le stade de France) en particulier, les concerts de rock ou les restaurants également (un peu comme le font les Shebab en Somalie), il place tout le monde dans une même cible. C'est un mode de vie qui est atteint et pas seulement des opinions ou des religions. De la même façon, les attentats provoqués au plan international — visant Russie, Liban, Mali, etc. — ont plutôt provoqué une prise de conscience partagée et une certaine unité d'action de la communauté internationale plus importante qu'elle ne l'était il y a quelques mois encore.

Cologne, une terreur discrète ?

Les évènements de Cologne pourraient ainsi être un nouveau type de terreur, exercée de façon beaucoup plus sournoise mais aussi plus 'efficace' pour l'objectif visé, donc d'autant plus dangereuse. L'organisation pourrait fort bien utiliser plusieurs cordes à son arc : des attentats séquencés type Paris 13 novembre, ou ciblés, type Charlie Hebdo, de la propagande via internet ou d'autres moyens (prédicateurs auto-proclamés) à destination de populations arabes (ou musulmanes) fragilisées (dont la culture religieuse est souvent faible), et des actions de déstabilisation.

Un coup porté au mode de vie européen

Les faits de Cologne sont donc tout, sauf anodins. Ils vont porter, au-delà de leur gravité même, un choc plus important au sein de la société, allemande tout d'abord mais aussi européenne. Une bonne partie de la société pourrait ne pas voir demain d'un très bon oeil les demandeurs d'asile. Ces évènements permettent également aux partis les plus racistes, les plus extrémistes de la société, voire néo-nazis comme en Allemagne, en Grèce ou dans le nord de l'Europe, une assise dont ils manquaient jusqu'ici.

(NGV)

(Mis à jour) il faut se méfier de toute leçon rapide et de désigner l'Etat islamique derrière ces évènements. D'autres groupes pourraient très bien avoir choisi ce modus operandi. Tout comme des organisations à visée plus criminelle. Il ne faut pas nier non plus que dans certains milieux islamistes, la place de la femme est totalement laissée de côté et méprisée (Lire notamment l'article de Laurence d'Hondt qui éclaire dans le Vif cet aspect, notamment en partant de l'exemple de la place Tahrir en Egypte). L'objet de cet article est d'alerter sur des tentatives de déstabilisation de nos sociétés, plus dangereuses à terme, que la dernière vague d'attentats.

(1) Un procédé utilisé en ex-Yougoslavie, mais aussi au Congo ou au Rwanda, et dans nombre de régions de conflit, par Boko Haram par exemple au Nigeria.


Une action massive, une vraie Sex-Mob

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Le papier publié par le quotidien Bild

Selon un dernier bilan, 379 au moins 500 plaintes ont été déposées, certaines pour vols (un classique dans ce type d'évènements), d'autres (au moins 150) pour des violences à connotation sexuelle, légères ou plus lourdes mais sans aucun doute sur l'intention : attouchements, pénétrations, tentative voire viol. Les plaignantes résident en Allemagne, mais aussi en Finlande ou en Belgique, comme le précise un témoignage recueilli par nos confrères de la Libre Belgique. « Les agressions ont eu lieu toute la soirée et toute la nuit. Cela a commencé de manière 'légère' dès notre arrivée à la gare et ça s'est aggravé en fin de soirée quand nous nous sommes décidées à rentrer dans l'appartement que nous avions loué, après que nous nous soyons réfugiées plusieurs heures dans un café-snack de la gare centrale pour éviter ces individus qui étaient partout dans la gare et aux alentours. »

Une trentaine d'auteurs auraient été identifiés. Certains résideraient dans des centres pour demandeurs d'asile. Les nationalités sont très variées : d'Afrique du Nord, selon la police, mais aussi d'autres régions, Turquie, Moyen-Orient, etc.


 

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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