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Des gardes-frontières européens, une excellente idée. Mais…

PatrouilleGardesFrontieresHongrie@Frontex13(B2) Un corps de garde-frontières européens et de garde-côtes, l'idée est ancienne. Mais elle n'a jamais pu être mise en oeuvre, comme nous l'avions écrit récemment. Tout simplement, car une majorité des Etats s'y étaient opposés assez vite. De cette idée est d'ailleurs née un succédané, « l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne », plus connue sous son acronyme Frontex (lire : En direct de la ‘situation room’ de Frontex).

Si le nom était long, il disait bien aussi ce que Frontex était : juste un organe de gestion opérationnelle. Ce qui, en soi, était ambitieux. Aujourd'hui cette agence ne dispose pas de tous les moyens nécessaires. Quand existe un besoin, constaté par tous, comme aux frontières de la Grèce, elle doit lancer un appel à du personnel et du financement. Et ces appels ne trouvent pas toujours vraiment réponse. Les Etats rechignent à envoyer du personnel et du matériel, parfois tout simplement car ils ont autre chose à faire (Lire : Au coeur de Frontex).

Parfois ce sont les mêmes d'ailleurs qui se plaignent de voir les frontières mal défendues ou de voir des migrants arriver par centaines. Témoin : le dernier appel à contribution pour quelque 700 personnels qui n'a été rempli que péniblement à moitié. Il était temps de passer à autre chose.

Une décision courageuse

La volonté de la Commission dirigée par Jean-Claude Juncker de proposer, d'emblée, la création d'un corps européen de garde-frontières, sans passer par une étape intermédiaire, est à saluer. C'est une nécessité aujourd'hui si on veut garder une certaine sérénité sur le continent  européen. Même si cette mesure peut paraître brutale, on a trop souvent parlé, dans le passé, de première étape sans passer à la seconde, pour ne pas avoir envie aujourd'hui d'être plus décisif. De fait, la plupart des Etats préfèrent un corps européen, même si ce n'est pas leur premier choix, à des frontières poreuses, mal gardées, où l'Etat concerné n'a que peu de moyens à opposer...

Les modalités de décision à revoir

On peut, en revanche, avoir un peu plus de doute sur les dispositions figurant dans le projet de règlement proposé aujourd'hui permettant de passer outre la volonté d'un Etat pour imposer la présence de gardes-frontières. Cette disposition peut paraître justifiée au regard de certaines périodes de latence, quand l'Etat où se déroule une crise met du temps à réagir. C'était le cas pour la Grèce récemment (lire : La Grèce appelle l’Europe au secours. Il était temps !). Mais il faut se méfier des mesures trop conjoncturelles. Cette mesure risque de heurter inutilement de nombreux pays à la souveraineté sensible, notamment à l'Est de l'Europe. Il ne faut pas les blâmer rapidement. Ils ont leurs raisons, voire raison tout court !

Discutable juridiquement...

D'un point de vue juridique, il parait difficile que la Commission impose une mesure de force, qui oblige un Etat à accepter des forces d'un autre pays, qui vont intervenir à sa place, assurant des fonctions régaliennes, comme intervenir en uniforme, armés, arrêter des personnes. En droit international, cela supposerait d'avoir une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies avec le recours au Chapitre VII.

... comme historiquement

En termes historiques, c'est oublier le rôle joué par les gardes-frontières dans le système communiste de l'URSS et encore aujourd'hui en Russie. Les « verts » étaient une composante intégrale du dispositif soviétique de renseignements (KGB puis FSB), destiné à assurer l'ordre, aux côtés des « bleus » — la police politique. De plus, la notion d'assistance forcée peut résonner de façon étrange en référence à l'histoire. L'URSS n'a pas hésité à utiliser cette notion pour imposer à ses voisins de venir lui prêter « main forte ».

ou politiquement

L'époque a certes totalement changé. Et l'esprit de la Commission est tout autre. Il s'agit en renforçant les frontières externes de préserver la libre circulation à l'intérieur des frontières européennes, de sauver Schengen. Mais l'histoire est encore vive. il faut faire attention aux symboles... Et imposer à un Etat contre son gré certaines mesures pourrait se révéler dangereux à terme.

Une disposition qui pourrait valser

Du côté de la Commission, on semble d'ailleurs conscient — pour ce que j'ai compris — d'être allé « un peu loin » et prêt à abandonner cette disposition. Il s'agit plutôt d'un élément comme de quelques autres, destinés à servir de contrepartie dans la négociation qui va s'engager maintenant au sein du corpus législatif européen (Conseil des Etats membres de l'UE et Parlement européen). Espérons que cette « provocation » ne servira de prétexte à quelques uns pour refuser tout le projet.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire notre dossier : N°30. Garder les frontières de l’Europe. Vers un corps européen de garde-côtes et garde-frontières

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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