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Au coeur de Frontex

BatimentFrontexDrapeaux 20150729_112516(BRUXELLES2) C'est à Varsovie dans une des tours du nouveau quartier en construction de la capitale polonaise que s'est établit l'agence Frontex chargée d'assister les États membres pour gérer leurs frontières. J'ai pu cet été, profitant d'une escapade dans la capitale polonaise, leur rendre visite. Voici quelques uns des éléments que j'en ai retirés... Tout ce que vous aimeriez savoir sur Frontex et que vous n'avez osé demander.  (Lire aussi : En direct de la ‘situation room’ de Frontex)

A quoi sert Frontex ?

Nous sommes là pour « assister les Etats membres à faire face aux pressions migratoires » m'explique Ewa Moncure, porte-parole de l'agence. Dans ceux « qui ne peuvent y faire face, on déploie des gardes frontières d'autres pays ». Mais « on n’opère qu’à l’intérieur des frontières de l’UE. Pas à l’extérieur. »

Quelles opérations entretient l'agence ?

L'agence a deux grosses opérations déployées :  Triton qui fournit une capacité supplémentaire de secours et sauvetage en mer en Italie, et Poséidon en Grèce (terrestre et maritime). Ce ne sont pas uniquement des bateaux qui sont déployés mais surtout des officiers des douanes.

Comment se prépare, se déroule une opération ?

Le plan d’opération est « préparé avec les États membres concernés et ceux qui participent ». Une fois l'opération décidée et les moyens déployés, ils passent « sous l’autorité de l’Etat membre (demandeur). Toutes les ressources sont intégrées aux forces intérieures, dans le système de contrôle des frontières du pays concerné. » Ils peuvent ainsi mener des interrogatoires sous l'égide du pays d'accueil. Ce sont les règles de ce pays qui sont appliquées, normalement. Il peut bien sûr y avoir des exceptions, des réserves d'emploi (caveats) comme dans les opérations militaires extérieures.

Qui décide d'une opération ?

L'instance clé de Frontex est le "Conseil d'administration" (Management board en anglais). Composé d'un représentant par État participant à Schengen (en général le directeur des frontières) et de deux représentants de la Commission. Il se réunit 5 fois par an (au moins). C'est un lieu de discussion permanente. Les pays de première ligne (Malte, Bulgarie...) viennent exposer leurs problèmes mais aussi leurs contraintes. Au final, c’est toujours au pays concerné d’adresser à l'Agence une requête formelle pour obtenir son assistance. L'Agence ne peut rien décider par elle-même. Chaque opération est ainsi évaluée, et transmise au 'Management board', en lien étroit avec la Commission européenne. Mais c'est le directeur qui prend la décision au plan opérationnel. Le Conseil d'administration a « plutôt LE rôle de définir des orientations stratégiques, d'évaluer la situation ». Le directeur de Frontex rapporte aussi à la commission Libertés publiques du Parlement européen. Il participe aux réunions du Conseil des ministres de la Justice ou de l'Intérieur.

Comment Frontex sélectionne son personnel à déployer ?

« Nous avons défini une douzaine de profils dans notre base de données. Des experts de surveillance de la première ligne aux débriefeurs, En fonction des besoins, on déploie les profils demandés. La définition des besoins est faite par Frontex en étroite liaison avec les pays concernés. On a des analystes de risques qui ont une bonne connaissance de la situation. On ne peut pas faire d’opération sans une claire définition des besoins et de la connaissance du terrain. »

C’est difficile d’être très rapide et réactif en cas de crise

Frontex a-t-il des moyens propres ?

Non. Et c'est ce qui est difficile. « Nous n’avons pas de moyens directs. Si on a des financements, on doit avoir ensuite des engagements des États membres en bateaux, voitures, et personnels. Aujourd’hui, par exemple, l'agence a 18 bateaux sur zones. Mais ceux-ci dépendent de la responsabilité et de la volonté des États membres. Le problème est souvent la rapidité de réponse. Aujourd'hui, « nous avons de gros engagements des États membres en Grèce. Mais c’est difficile d’être très rapide et réactif en cas de crise. Les États membres ont leurs propres planification et ne peuvent pas dégager immédiatement des moyens quand on leur demande...». C'est assez logique. Le navire ou l'avion utilisé reste un moyen national. Si l'agence finance les frais de fonctionnement (fuel, alimentation...), elle ne finance pas tout l'amortissement du matériel. Et elle doit faire attention à ne pas utiliser des moyens surdimensionnés ou trop couteux. « On regarde de près les moyens offerts. On fait la balance entre ce que çà coute et quelle utilité cela peut avoir. On regarde aussi la possibilité d’acheter nous-mêmes des moyens de surveillance aérienne » en passant par le privé.

Quel budget pour l'agence ?

L'agence dispose d'un budget total cette année de plus de 140 millions d'euros (133 millions d'euros financés par le budget communautaire + 8,8 millions d'euros des autres pays Schengen + 820.000 euros du Royaume-Uni et Irlande). Vu les circonstances exceptionnelles, la Commission a décidé une rallonge budgétaire de 26,5 millions d'euros, au budget initial de 106,1 millions d'euros.

Combien d'effectifs dispose Frontex ?

Environ 310 personnes sont employées par l'agence : la plupart sont au siège et ne sont pas à proprement parler du personnel déployable. Il y a un petit centre de liaison à Bruxelles et au port du Pirée, en Grèce (4 personnes). Un projet pilote pour la Méditerranée. L'agence dispose également, depuis peu, d'un officier de liaison en Turquie qui assure un lien étroit avec la garde frontière turque.

La gestion des migrations : beaucoup plus complexe que simplement fermer les frontières

Fermer les frontières, une solution ?

Non. En général, la Commission européenne ne finance pas, avec enthousiasme le renforcement physique des frontières  « Car si on renforce dans un point, le flot de migrations prend une autre route, dans le pays, et cela crée un problème ailleurs, ou dans un autre pays. » La Commission l'a cependant fait en Bulgarie. Car, au final, c’est au pays concerné de décider s'il veut contrôler, fermer ou renforcer la frontière.

Comment gérer la migration ?

C'est « un problème très complexe qui obéit à un certain nombre de paramètres », difficiles à maitriser pour les Européens, à commencer par les conflits et les guerres. Et il n'y a donc pas de solution miracle. « Nous avons plusieurs conflits, en Syrie, en Irak, Daech, le Yemen, le Sud Soudan .... Mais il y a aussi toute une série d'évolutions dans des pays qui accueillent de nombreux migrants et réfugiés ».

Iran, Golfe, Afrique du Sud, Libye... les pays d'accueil se raréfient

L'heure n'est pas vraiment à l'accueil dans plusieurs pays du monde. « Il y a des millions d’Afghans en Iran et de nombreux sont en passe d'être expulsés. » Téhéran a demandé à chacun de s’enregistrer jusqu’à décembre, délai prolongé jusqu’à juin. Et les Afghans craignent que ce soit à double tranchant (à juste titre). « Les gens recherchent alors d’autres options. Et cela augmente la pression sur les frontières des pays. » Que la législation change dans les pays du Golfe, et qu’ils ne trouvent plus de travail, et aussitôt les migrants « regardent aussi les autres options ». Idem dans d'autres pays. « L’Afrique du Sud était aussi un gros employeur, ils ont maintenant un gros problème d’immigration. La Libye était aussi un gros employeur ». Son instabilité a fait fuir beaucoup de migrants. Et cela pose problème. « Vous additionnez les pays de guerre, instables et ceux qui ferment leurs portes... cela fait du monde. (...) On doit donc réfléchir à des voies plus importantes de l'immigration légale. Et il faut en même temps faire la chasse aux trafiquants qui gagnent des millions d’euros sur le dos des migrants. »

Vous additionnez les pays de guerre, instables et ceux qui ferment leurs portes... cela fait du monde sur la route.

Les routes sont-elles interchangeables ?

Pas vraiment. Il existe « une indépendance entre les deux routes, qui ne se compensent pas systématiquement et voient transiter des populations différentes ». Il y a ainsi plus de 100.000 personnes qui sont arrivées en Grèce par la Turquie (plus de 1000 personnes par jour arrivent par la mer Egée). « Une route empruntée surtout par des Syriens, des Afghans et des gens venus d'Asie. » Il y a eu 70-80.000 arrivées en Serbie et Hongrie (la plupart venues de Grèce mais pas toutes). En Méditerranée centrale, on a 80.000 qui sont arrivées en Italie de Libye. « Essentiellement des migrants de toute l’Afrique. Les Syriens, qui ont souvent de l'argent, n'empruntent pas trop cette voie. La Libye est très dangereuse. Et l’Egypte a introduit des visas. »

Par rapport à l'année dernière ?

Il y a eu 280.000 arrivées en 2014. « Au bout des 6 premiers mois de 2015, on en est déjà à 225.000. La situation reste donc très tendue ». Et la situation en Libye la rend particulièrement « difficile ».

Un mouvement en provenance de l'Est (Biélorussie, Moldavie, Ukraine, etc.)?

Pour l’instant, « on ne voit pas de risque migratoire à l’Est. Il y a des mouvements réguliers avec la Pologne (et la Roumanie). Mais on est plus en relation de business. Des gens vont et viennent, pour travailler, avec leurs familles ou non. » Il y a des visas mais, il sont faciles à obtenir.

Le prix d'un passage ?

Cela dépend du type de passage, et du type de bateau (pneumatique ou bateau plus solide) : quelques milliers d'euros au minimum. Un vrai marché...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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