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Comment a-t-on décidé sur EUNAVFOR Med ? Qui finance ? Qui contrôle ? etc.

Avions de patrouille Atlantic en vols de reconnaissance (crédit : Marina Italienne)
Avions de patrouille Atlantic en vols de reconnaissance (crédit : Marina Italienne)

(BRUXELLES2) L'opération EUNAVFOR Med comme toute les opérations de l'Union européenne mises en place au titre de la politique de maintien de la paix de l'UE (la PSDC ou politique de sécurité et de défense commune) obéit à des règles précises qu'il est intéressant de rappeler à la veille du lancement de l'opération de lutte contre les trafics de clandestins au large de la Méditerranée (EUNAVFOR Med).

Qui décide d'une opération ?

La prise de décision au niveau européen est toujours assurée au niveau politique par les ministres ou par les ambassadeurs qui ont reçu instruction des capitales. En général, vu la sensibilité du sujet, ces instructions sont "en prise directe" avec l'instance décisionnelle pour les opérations militaires dans leur pays (Défense, Affaires Etrangères, Premier ministre ou chef de gouvernement).

Comment décide-t-on ?

La décision sur une opération militaire est prise à l'unanimité au niveau européen. En général, il n'y a pas de vote. C'est par consensus que la décision est prise. Mais si un Etat membre émet une réserve formelle ou s'il s'y oppose, la discussion continue jusqu'à obtenir un accord. Il est (très) rare de voter sur ce genre de décisions qui impliquent la souveraineté des Etats.

Décide-t-on à 28 ?

Non. Le Danemark a un opt-out en matière militaire. Il ne participe pas à la prise de décision, n'est pas tenu de participer au mécanisme de financement solidaire et ne peut même y être associé de quelque façon que ce soit. Ce qui assez paradoxal. Car son voisin nordique, la Norvège, qui n'est pas membre de l'Union européenne pourra être .

Qui participe à l'opération ?

Une fois la décision prise, les Etats membres sont libres de participer concrètement à l'opération, ou non. Ils décident, souverainement, d'envoyer les moyens disponibles - ou de les retirer - le cas échéant, sur simple décision d'opportunité. D'où des conférences de générations de force pour fournir les moyens nécessaires. La difficulté dans ce type d'opérations est de trouver parmi ce que proposent tous les Etats membres, tous les éléments nécessaires et complémentaires à la mise en place de l'opération. Cela ressemble un peu à un rubiscube quand il s'agit de mettre en face des moyens nécessaires, ceux proposés par les Etats membres, et surtout de maintenir ces capacités dans le temps. Ainsi inutile d'avoir 7 bateaux quand il en faut simplement 3. Et inutile d'avoir 10 avions tout de suite, là où il vaut mieux en avoir 3 ou 4 en permanence dans les airs durant les 6 mois à venir.

Qui paie ? A combien revient l'opération ?

Chaque État participant supporte le coût des forces et personnels envoyés sur place. C'est le principe dans toutes les opérations militaires de l'UE (comme de l'OTAN). C'est pour cela qu'il est très difficile d'obtenir le coût global d'une opération militaire, hormis les coûts communs, chaque Etat ayant au surplus un mode de calcul différent. Seule une petite partie des coûts de l'opération est assurée en commun. Ce mécanisme dit Athena, prend en général les coûts du dispositif de commandement, certaines dépenses du QG d'opération et de force (logistique, communications ...), dans le cadre d'une enveloppe définie par avance. Pour EUNAVFOR Med, c'est 11,82 millions d'euros la première année. Tous les États membres (sauf le Danemark) contribuent à ces coûts communs, selon une clé de répartition fixée en fonction du produit intérieur brut (PiB).

Pourquoi un QG d'opération à Rome et pas à Bruxelles ?

L'Union européenne ne dispose pas, en propre, d'un quartier général pour conduire les opérations militaires. Les Etats membres ont toujours refusé de l'activer (pour cause de veto britannique essentiellement). Les opérations de l'Union européenne sont donc menées à partir d'un quartier général d'opérations, dédié à cela, et activé spécialement pour l'occasion. L'Europe dispose de six quartiers généraux répertoriés : en France (Paris-Mont Valérien), au Royaume-Uni (Londres-Northwood), en Allemagne (Potsdam), en Italie (Rome), en Grèce (Larissa) ainsi que le Shape de l'OTAN (à Mons Belgique). Deux sont actifs aujourd'hui : outre Rome (EUNAVFOR Med), Northwood suit l'opération l'opération anti-piraterie EUNAVFOR Atalanta. Un vient d'être clos : Larissa qui suivait l'opération EUFOR en RCA (Centrafrique).

Est-ce la première opération navale de l'UE ?

Non. L'Union européenne avait lancé en 2008 une opération de lutte anti-piraterie (EUNAVFOR Atalanta) dans le Golfe d'Aden et au large de la Somalie qui a pris de l'ampleur au fil des années (couvrant quasiment tout l'Océan indien) et a permis (avec toute une série d'autres dispositifs) de réduire quasiment à néant la piraterie. Les Européens avaient également mis en place - sous couvert de l'UEO - une opération navale, pour veiller à l'application de l'embargo sur les armes décidés contre la Yougoslavie.

Est-ce une opération importante ?

Oui effectivement, si on excepte des missions de moindre envergure (de formation EUTM Mali et EUTM Somalia, et l'opération en RCA limitée à Bangui, EUFOR RCA), il y avait, en effet, presque 7 ans que l'Union européenne n'avait pas déclenché une opération militaire de grande envergure (depuis 2008 et la mise en place de l'opération EUFOR au Tchad et RCA avec près de 4000 hommes et la mise en place de l'opération anti-piraterie de l'UE dans l'Océan indien).

Est-ce une opération à risque ? Le succès est-il assuré ?

Cette opération comporte de sérieux risques politiques voire de finir en impasse. Et le succès est loin d'être assuré. Chacun le sait. Il reste des inconnues sur la résolution des Nations-Unies ou l'accord des autorités libyennes. Et, malgré une apparente unanimité, les Etats membres ne partagent pas tout à fait le même point de vue sur la suite de l'opération après la phase 1. On ne peut pas parler de division mais de divergence d'appréciation. Car aller saisir des navires de trafiquants près des côtes de Libye (phase 2b) et les neutraliser (phase 3), même avec l'assentiment des autorités libyennes, présente un vrai risque militaire et politique.

Les critiques sont-elles fondées ?

Certaines critiques sont fondées, reposent sur de solides arguments, ou signifient un vrai positionnement politique. Les nombreuses inconnues qui marquent l'avenir de cette mission sont effectivement inquiétantes. Mais c'est le souvent propre d'une opération de gestion de crises que de ne pas se dérouler comme un "long fleuve tranquille". Mais d'autres trahissent une certaine mauvaise foi. On peut les regrouper en deux catégories. Les uns (ONG) critiquent le côté militaire de l'opération car ils souhaitent n'avoir qu'une fonction de recherche et de secours aux bateaux de migrants. A travers la critique d'EUNAVFOR Med, c'est en fait la politique d'asile et d'immigration de l'UE qu'ils critiquent. D'autres moquent le côté péremptoire de l'opération, son risque d'inefficacité. Dans certains milieux, politiques ou militaires, il est souvent de bon ton de prendre l'Europe dans son champ de tir. Juste pour le plaisir...

En 2008, on a ainsi prédit l'échec de l'opération déployée à l'est du Tchad près du Soudan. Un an après ceux même qui avaient critiqué s'étaient tues. Et tout le monde reconnait que cette opération a été utile pour stabiliser le pays (même si elle a favorisé le pouvoir en place). En 2008, même procédé, l'opération maritime anti-piraterie (EUNAVFOR Atalanta) est critiquée comme infaisable, limitée ou faisant doublon avec d'autres opérations. Aujourd'hui celle-ci est vantée comme une success story, même par les Tories Britanniques (qu'on ne peut pas soupçonner d'être euroenthousiastes ;-). La mission de formation de l'armée somalienne (EUTM Somalia), qui comportait peu de risques militaires mais beaucoup de risques politiques, n'échappe pas au même phénomène. Tous les opérations n'ont pas été des succès. Il y a eu des "vrais" échecs d'opération (EUAVSEC au Sud Soudan, EUFOR Libya morte-née, EUBAM en Libye, ...). Lire : Une certaine remise en ordre des missions et opérations de la PSDC … comme de l’OTAN ?

(Nicolas Gros-Verheyde)

Pour en savoir plus

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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