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EUNAVFOR Med : Pourquoi le renseignement est important ? Pourquoi peu de problème de moyens?

A l'intérieur d'un avion de surveillance Atlantique 2 (crédit : MOD France)
A l'intérieur d'un avion de surveillance Atlantique 2 (crédit : DICOD France)

(BRUXELLES2) Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des 27 * donnent aujourd'hui leur "feu vert" à EUNAVFOR Med, la nouvelle opération maritime de l'UE destinée à "déjouer le trafic d'êtres humains en Méditerranée", notamment en provenance de Libye. Faute de résolution des Nations-Unies dans l'immédiat, cette opération devrait démarrer par une première phase : l'échange d'informations et du renseignement (lire : Une tactique politique remarquable. Le voile se lève sur EUNAVFOR Med). Ce n'est pas du tout négligeable, contrairement aux apparences. C'est même un point essentiel pour cette opération, qui ne rencontre que peu de problèmes de génération de forces. Un point assez étonnant qu'il mérite aussi d'expliquer.

L'échange de renseignements, est-ce si important ?

Cela peut paraître un détail... mais c'est un point fondamental. C'est même LE nerf de la guerre contre les trafiquants d'êtres humains. Sans un exact traçage des différents trajectoires des trafiquants, des différents moyens employés, une identification précise (photos à l'appui) des personnes, etc. la réduction de ce trafic sera une pure illusion d'optique.

Si l'objectif est bien de neutraliser ces réseaux, donc de traduire leurs auteurs devant la justice, il faut, en effet, avoir des preuves précises à l'encontre de leurs auteurs et pas seulement de quelques passeurs qui sont, généralement, des seconds couteaux... Sinon les suspects arrêtés auront alors beau jeu de dire qu'ils ne sont que "d'innocents organisateurs de croisières en Méditerranée" 😉 Un peu comme les pirates dans l'Océan indien indiquaient régulièrement être "d'inoffensifs pêcheurs"... juste après avoir jeté les armes dans l'eau. Il faut donc des moyens d'observation aériens (avions de surveillance maritime, drones, hélicoptères...) et d'imagerie (radars, satellites, etc.).

Si l'objectif est de traduire les trafiquants en justice, alors qu'ils sont en haute mer, il faudra aussi que le droit soit adapté au besoin. Poursuivre des étrangers, pris hors territoire national, à faire du convoyage d'êtres humains, n'est pas automatiquement tout à fait simple. Et les droits des différents Etats membres devront, au besoin, être ajustés.

Une question de moyens ?

La génération de force pour cette opération apparait moins difficile que pour d'autres opérations pour différentes raisons.

1° La mer n'est pas la terre. Une opération maritime est toujours plus facile à "mettre en place" qu'une opération terrestre. Il n'y a pas de zone de contact, autrement que dans les eaux territoriales (si on décide de mettre ces eaux dans les opérations), pas d'emprise terrestre dans un pays tiers (donc pas de nécessité de négocier un accord de protection des troupes), et les effectifs sont déjà formés en unités constituées (des navires).

2° Les eaux internationales face à la Libye sont toutes proches. Et on bénéficie déjà de points d'appui déjà éprouvés et connus - pour les marines ou les avions - sur le territoire italien (en Sicile) ou à Malte. Il n'y a pas donc de difficulté d'établir un QG en zone hostile ou des bases loin des territoires nationaux. Une bonne part des marines concernées (Grèce, Italie, France, Espagne...) sont déjà quasiment sur place.

3° La Méditerranée est vraiment une "mare nostrum". Toutes les marines européennes s'y croisent un jour ou l'autre ne serait-ce que pour participer à des manoeuvres interalliées (au sein de l'OTAN en général) ou pour se rendre dans l'Océan indien  — pour participer à l'opération de lutte anti-piraterie, à l'opération des alliés en Irak, etc. — ou pour aller plus loin. De fait, il sera tout à fait loisible durant le trajet de faire une "halte" dans l'opération EUNAVFOR Med. Le coût pour les marines est alors réduit.

4° Le Quartier général d'opérations (OHQ) choisi par les Européens, à Rome, est déjà opérationnel. Ce QG de Rome a servi de coordination pour l'opération Mare Nostrum et est actuellement utilisé pour l'opération Triton menée sous l'égide de Frontex (l'agence européenne de contrôle aux frontières).

Précisons enfin que les marines sont d'autant plus "allantes" qu'elles sont actuellement en "manque d'opérations". Cette opération est pour elles à la fois, un très bon exercice en terme d'opération interalliée mais aussi de démonstration de leur savoir-faire, au plan national. Démonstration nécessaire quand il s'agit de discuter la répartition des budgets. C'est particulièrement le cas au Royaume-Uni, où le gouvernement a été accusé de négliger sa marine, mais c'est le cas dans tous les pays européens où le partage de ressources budgétaires rares révèle souvent des arbitrages délicats.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi sur une possible présence à terre en Libye, l'utilisation des forces spéciales : Des « Boots on the ground » en Libye, le grand phantasme ?

(*) Le Danemark ne participe pas aux opérations militaires de l'UE ni au processus de décision, en vertu de l'opt-out négocié à la ratification du traité de Maastricht.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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