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La police palestinienne se forme

© NGV / B2 à Tulkarem
© NGV / B2 à Tulkarem

(BRUXELLES2, à Tulkarem et Ramallah) La police civile doit être entraînée au quotidien, tant au point de vue des techniques d'intervention sur un incident que de police judiciaire ou d'arrestation "délicate".

Ce mercredi (*), nous avons rendez-vous avec les policiers de Tulkaren — une des villes palestiniennes à l'ouest de la Cisjordanie — pour participer à une session de "rafraichissement" pour une trentaine de policiers. Des entraînements d'autant plus importants que le taux de criminalité en Cisjordanie étant assez bas, les policiers n'ont pas toujours l'occasion de se confronter tous les jours à toutes les situations auxquelles fait face une police judiciaire d'ordinaire (voir ci-dessous). La remise à jour des connaissances passe par une session théorique de rappel des connaissances - qui a lieu au "commissariat central" de Tulkarem - et une série d'exercices pratiques tout près du logement des équipes de la Special Police Force (SPF).

Un impératif : sécuriser la scène de crime

L’instructeur rappelle les fondamentaux d’une équipe de première intervention – l’équivalent des équipes de police secours en France. Il faut donner les premiers secours à la victime, avertir pour obtenir des renforts, sécuriser (les spécialistes diront « geler ») la scène de crime, prendre les photos, empêcher avec un cordon que des gens, des curieux arrivent sur la scène de crime. « Le plus important est de vous protéger vous même, d’éviter que l’un de vous soit blessé. » Le dialogue s’engage avec l’instructeur. « Que faire si on n’a pas de cordon ? ». Réponse : on utilise ce qu’on a sous la main, des petites pierres si on est à l’extérieur ; fermer non seulement une pièce mais tout l’appartement si on est à l’intérieur. « Qui prend le commandement ? » C’est normalement l’officier le plus important en grade, présent sur la scène de crime qui doit prendre les mesures même si des officiers supérieurs arrivent ensuite. « Il est totalement interdit d’aller dans la scène. Et l’officier même subalterne doit noter s’il y a le moindre personne qui touche à quelqu'un. » La session se poursuit...

Des mentors pas des formateurs

Les Européens se sont mis, assez discrètement, à l’arrière de la salle. Ils écoutent et notent ce qui se dit, un interprète assurant la traduction de ce que dit l'instructeur palestinien (pour ceux qui ne comprennent pas l'arabe). Ils n'interviennent durant tout le temps de l'exposé. C’est après la formation et l’exercice, au débriefing, que se fait le retour d'expérience entre les formateurs européens et palestiniens. « Nous ne sommes pas là pour assurer la formation — m'explique à voix basse un des instructeurs —. Nous servons uniquement de mentors, pour vérifier que tout se passe bien. » Si, au début, la mission EUPOL Copps assurait des formations directement, elle est dorénavant passée à une seconde étape, moins visible mais tout aussi importante. « Nous n'avons pas vocation à rester in aeternam. Il faut assurer le relais avec les policiers palestiniens. »

Des exercices techniques

Trois scénarios pratiques sont organisés aujourd'hui : l'arrivée d'une équipe d'intervention sur une scène de crime et les premiers éléments de police judiciaire, l’arrestation d’un suspect par le SPF - les forces d'intervention - et un accident de la route, provoqué par un complice. « La criminalité, la délinquance de rue telle que nous la connaissons dans nos pays est à un taux relativement bas en Cisjordanie » explique un officier européen. D’où la nécessité d’exercices réguliers pour maintenir « une certaine technicité et capacité à intervenir sur des scènes de crime », finalement rares dans la réalité.

Un mode de vie assez traditionnel

Cette relative sécurité s’explique par le mode de vie encore traditionnel en Cisjordanie. La société palestinienne reste souvent à essence rurale, où la solidarité familiale n’est pas un vain mot et le contrôle social sur la vie publique assez fort. « Ici tout se sait rapidement ». Pour autant, la Cisjordanie n’échappe pas au lot commun des accidents de la route, très fréquents et souvent mortels, tout comme à la criminalité organisée. Une délinquance de haut vol, adeptes des trafics en tous genres (drogues, faux papiers, produits high tech…) et qui profite habilement de la situation politique, particulièrement complexe, pour échapper à toutes les lois.

1er exercice : une scène de crime

Sur la scène de crime, c'est Jérôme Buaillon, un commandant de la police française, détaché par la DDSP (Direction départementale de la sécurité publique) de Rennes (Ille-et-Vilaine), qui officie. Il a bâti un scénario assez simple : une personne s’est suicidée en apparence. Une lettre de suicide, en arabe, a été laissée intentionnellement. Il y a des chaises renversées. Un couteau traîne par terre, ainsi qu’un téléphone portable. L’objectif est de l’exercice est double : pour l’équipe de 1ère intervention sécuriser la scène de crimes — la « geler » en termes policiers —, recueillir les preuves, en attendant l’équipe de la PJ. Le 2e défi  sera de transmettre un premier rapport au procureur. Jerôme, le commandant français donne le top départ à l’exercice : « over ». Après la sécurisation de la scène, l’équipe spécialisée de la PJ prend le relais. Elle va disposer des numéros sur chacune des traces ou pièces à conviction : chaises renversées, tracs de sang, GSM, lettre.

Economisez le matériel !

A un moment, Jérôme interrompt l’exercice. Par le truchement de l’interprète, il explique : « N’utilisez pas tout le matériel, faites semblant. » Une recommandation qui peut sembler bizarre dans ce type d'exercice mais a un fondement bien réel, économique. « La police palestinienne a peu de matériel d’identification, de poudre. C’est inutile de le gaspiller. » L’équipement est d’ailleurs un des principaux défis auxquels doit faire face ce corps, assez jeune, qui a été créé après les accords d’Oslo, au milieu des années 1990. Pour la recherche ADN, ainsi, il n’y a qu’un seul laboratoire équipé, à l’université de Ramallah. Et son déplacement sur les liens de crime n’est pas facile. Israël bloque en général les importations de ce type de matériel. C’est un des rôles de la mission de la mission EUPOL Copps que de trouver des partenaires – des Etats, membres de l’Union européenne ou non (Canada, Etats-Unis,…), ou d’autres organisations (fondations, organisations internationales) – disposés à fournir ces équipements. « Nous ne cherchons pas à avoir le matériel dernier cri, qu’ils ne pourraient pas utiliser au final, mais du matériel déjà éprouvé dans nos pays et qu’ils pourront, sans souci, facilement entretenir et renouveler ».

Arrêtez le suspect en douceur !

Second élément de l’exercice : une intervention « musclée » en milieu urbain pour arrêter un suspect. Ce sont les éléments de la « Special force » (SPF) de la police palestinienne, qui sont requis. La SPF a un rôle double : le maintien de l’ordre sur la voie publique – l’équivalent de nos gendarmes mobiles ou CRS – et les interventions spéciales – qui requièrent un peu plus de technicité et d’équipement.

Premier élément : la sommation. Par le biais d’un haut-parleur, le suspect est sommé de se rendre. Cela peut apparaître un détail. Mais cela n’en est pas un. « Cela a été un des apports de la formation », explique un des policiers européens. Dans la région, « ce n’est pas vraiment dans les traditions d’obtenir la reddition d’un suspect en douceur sans usage de la force ». Et les Palestiniens ont dû s’y mettre. L’intervention se déroulant en milieu urbain, il faut aussi veiller à tout dommage collatéral, écarter les badauds ou curieux.

Ensuite, vient l’intervention, dans un classique déroulé qui n’a rien à envier aux pratiques européennes. L'équipe d'intervention arrivée dans plusieurs camionnettes se dispose en arc de cercle autour du bâtiment. Des hommes placés en couverture, abrités derrière leurs véhicules. Et d'autres qui progressent vers le bâtiment. Les policiers sont équipés d'armes factices. Au top départ, la porte d'entrée est enfoncée avec un bélier portatif. Puis, ils progressent à l'intérieur du bâtiment pour se saisir du suspect, qui est menotté et embarqué.

« Il faut se garder cependant de faire trop de comparaisons avec ce qui se passe chez nous – avertit le chef de la mission européenne « EUPOL Copps », Rodolphe Mauget. « Si on veut comparer la police palestinienne, c’est aux forces des autres pays de la région, à la police jordanienne ou à la police égyptienne. » Et, dans cette optique, la police palestinienne supporte la comparaison, selon lui. « Nous sommes sur la bonne voie, malgré les difficultés et les contraintes politiques. Cela prend du temps. Mais le professionnalisme des personnels est bien réel. Et le sens des réformes entreprises indique clairement une bonne direction. »

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) reportage effectué le 8/4/2015 - publié dans une version courte dans Ouest-France.fr

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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