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L’Europe de la défense, les poules et Juncker

La "poule" de Bihanga (dans le camp des formations des soldats somaliens par les Européens) © NGV / B2
La poule (ou le coq !) de Bihanga (dans le camp de formation des soldats somaliens par les Européens) © NGV / B2

(BRUXELLES2) Le commentaire de Jean-Claude Juncker sur la politique étrangère et de sécurité commune est un bon mot (lire : La PESC : une horde de poules vaut mieux (Juncker). Cela fait rire un bon coup (y compris à B2 ;-). Ce pourrait être un axe stratégique. Mais cela laisse, tout de même, un goût étrange dans la bouche.

Un certain manque d'élégance ?

D'abord, ce n'est pas très élégant pour les plus hauts responsables mais aussi pour toutes les équipes qui travaillent à Bruxelles ou sur le terrain, dans les confins orientaux de l'Europe, au Moyen-Orient, en Afrique... Et ces équipes valent mieux qu'une horde de poules, assurément. D'une certaine façon, pour la Haute représentante de l'UE, Federica Mogherini, c'est un camouflet cinglant, son premier depuis sa prise de fonctions qui a été, jusqu'ici, un parcours sans faute.

Une PESC qui marche mieux qu'on ne le croit

Ensuite, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) souffre de beaucoup d'imperfections et de lacunes. Mais elle n'est pas aussi inefficace que veut bien le laisser entendre Juncker. La politique de sanctions fonctionne (lire : Les sanctions européennes : est-ce utile ? est-ce efficace ?). La plupart des opérations et missions déployées au titre de la PSDC ont un certain effet, même s'il y a des couacs (article à venir). Les Européens, ensemble, sont arrivés à stabiliser un peu certaines zones critiques (Géorgie, Somalie, Océan indien - piraterie, Centrafrique et Mali avec l'engagement français notable).

Quitte à jouer les provocateurs, d'ailleurs, le président Juncker aurait pu pousser le bouchon un peu plus loin, mettre le doigt là où çà fait mal. C'est-à-dire les Etats membres, qui préfèrent avoir un ensemble d'armée d'opérette incapable d'agir ensemble, voire d'agir tout court (*).

Des actes courageux à prendre

Enfin, le président de la Commission est, en tant que tel, un acteur de premier plan de cette politique étrangère et de sécurité commune qu'il vilipende. Si elle ne marche pas comme il le souhaite, il doit prendre des mesures.

S'il avait été un peu plus conséquent, Jean-Claude Juncker aurait pu dire : je demande la mise en application de la coopération structurée permanente, je décide la mise en place d'un fonds de lancement des opérations (toutes décisions prévues par le traité de Lisbonne), je lance une série de procédures d'infractions sur les pays qui ne respectent ni le texte ni l'esprit des directives publiées en 2009 sur les marchés publics de défense et les transferts d'armements (sujet largement mis sous le boisseau depuis), je lance une réforme sur le calcul des déficits européens afin d'exclure du déficit les investissements capacitaires (question très délicate mais fondamentale), etc.

Un rapport publié en douce

C'est son rôle de président de Commission : assumer une politique, aller au charbon, déplaire aux Etats membres, prendre des coups s'il le faut, mais permettre au final à des solutions nouvelles de s'échafauder. Or, jusqu'à présent, c'est "Waterloo morne plaine".

Après ce feu d'artifice, on aurait dû avoir une suite. Aucune proposition notable ne figure cependant dans les deux rapports (diffusé par B2 hier à ses abonnés en avant-première) et que la Commission a finalement choisi de rendre publique aujourd'hui. La réalité est claire quand on lit attentivement ce rapport : 18 mois après le dernier sommet européen, le bilan est "faiblard" voire quasiment nul. Et face aux menaces et enjeux actuels, les ambitions actuelles sont réduites. Pour un dossier, qui constitue une des priorités du président, de sa Commission et un enjeu du futur sommet européen, cela aurait mérité assurément un peu plus de cohérence et de préparation...

(Nicolas Gros-Verheyde)


(*) Au crash test de l'efficacité, 23 armées d'opérette ?

Ne soyons pas dupes ni langue de bois. La plupart des Etats membres de l'UE ont aujourd'hui des armées d'opérette, tout juste bonnes à défiler lors de la fête nationale ou d'assurer un petit complément dans une opération multinationale.

Faites un test concret

Combien d'Etats sont aujourd'hui capables de se défendre "seuls" contre une agression limitée, par exemple, une brigade de plusieurs milliers d'hommes bien entrainés ? En étant très généreux, je dirai cinq : Royaume-Uni, France, Allemagne + Italie, Espagne !

Quel Etat est capable de projeter aujourd'hui 5000 hommes à l'extérieur rapidement pour des actions de combat, hors coalition, en solo ? 1 + 1/2 : France et éventuellement le Royaume-Uni (quand les Etats-Unis sont là = un Britannique seul au combat devient rare, la dernière fois c'était en 1982 aux Malouines ! ou en 2000 au Sierra Leone).

Les autres armées ont, effectivement, devant eux un défi clair : s'unir ou disparaitre.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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