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Quand un Britannique défend mordicus la PSDC… on rêve !

Avec Michel Barnier et Yann Antony Nogues (photo : Pauline Armandet / BFM)
Avec Michel Barnier et Yann Antony Noghès (photo : Pauline Armandet / BFM)

(BRUXELLES2) J'étais sur les ondes de BFM Business ce samedi pour parler avec Michel Barnier, Michèle Alliot-Marie d'armée européenne dans l'émission 500 millions d'Européens de Yann-Antony Noghès. (émission rediffusée dimanche) Celui-ci avait eu la bonne idée d'inviter deux eurodéputés roumain Christian Preda (PPE) et le britannique Charles Tannock (ECR / Tory) à s'exprimer. Ce qui a donné à un échange assez singulier avec ce dernier.

Pas besoin d'armée européenne, la PSDC suffit défend un eurodéputé tory

En bon conservateur britannique, Charles Tannock a naturellement fort bien joué son rôle de bad boy, tâclant l'armée européenne comme une très mauvaise idée, une "menace" pour l'OTAN (tiens ! je croyais que c'était face à la Russie), mais surtout estimant qu'on n'avait pas besoin d'armée européenne car l'Europe a déjà une politique de sécurité et de défense commune (PSDC) qui fonctionne bien avec des opérations performantes et efficaces. Il a cité notamment l'opération européenne contre la piraterie (EUNAVFOR Atalanta), dont Londres avait tout fait au départ pour la torpiller l'estimant inefficace, contreproductive, etc.) ainsi que l'opération de formation des soldats somaliens (EUTM Somalia). En gros, face au risque (très éventuel il faut le reconnaitre) de voir mettre en place une "armée UE", les Britanniques se lèvent comme un seul homme (et femme) pour défendre la PSDC, et ses opérations. Pincez-moi... Je rêve ! Si le résultat était avéré, et dépassait le temps d'une conversation téléphonique à la radio, la proposition Juncker serait, déjà, en soi une réussite !

Quelques leurres sur la défense européenne et le Royaume-Uni

Cet échange a permis aussi de démontrer, de façon claire, quelques leurres, qui gravitent autour du Royaume-Uni et de la défense européenne.

1er leurre : Il faut associer le Royaume-Uni aux projets européens de défense

Londres est, de toute façon, opposé de près ou de loin à tout ce qui peut présenter le moindre soupçon d'intégration européenne, efficace, que ce soit sur le terrain industriel, opérationnel ou politique. Ceux qui croient, encore, qu'on pourra associer les Britanniques à un quelconque projet européen de Défense se trompent lourdement. S'il y a un projet de défense européen, il se fera sans les Britanniques ou alors il ne se fera pas. Car tout l'objectif d'une présence des Britanniques à l'intérieur sera de le ralentir, le torpiller et le neutraliser. Moins ils participeront aux projets européens, mieux l'Europe s'en portera... Négocier un "opt-out" avec les Britanniques sur la politique étrangère et de sécurité commune ne serait pas une perte d'influence pour l'Europe mais, au contraire, l'allègement d'un poids mort et la meilleure garantie d'une relance de l'idée de défense européenne.

2e leurre : Le poids des Britanniques dans les opérations est vital

Certains responsables européens prétendent que sans les Britanniques on ne peut rien faire en matière de défense. C'était vrai dans les années 1950 ou 1960, voire 1990. C'est totalement faux aujourd'hui. La nostalgie du raid franco-britannique sur Suez en 1956. Depuis les débuts de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD et PSDC), le Royaume-Uni n'a que très peu contribué aux opérations européennes. Ce qui n'a pas empêché leur réalisation. L'opération militaire de stabilisation au Tchad (EUFOR Tchad RCA) en 2008 a été réalisée pour l'essentiel avec des contingents français, polonais et irlandais et quelques autres, les Britanniques devaient être 2... si mes souvenirs sont bons. Idem pour la mission d'observation en Géorgie en 2008 (EUMM Georgia) sur les lignes de contact avec l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie. Dans l'opération anti-piraterie européenne EUNAVFOR Atalanta, tant vantée par Charles Tannock, depuis 2008, la marine anglaise n'a réussi à fournir qu'un navire pour quelques mois. Et la mise à disposition du quartier général d'opérations de Northwood a été, à la fois une opération politique et financière. Politique, car il s'agissait de rallier les Britanniques à un projet auquel il s'opposait. Financier, car les frais du QG sont, en partie, pris en charge par le budget commun des opérations au niveau européen (le budget Athena). Les Britanniques, souvent hostiles à toute mise en commun des financements aux opérations militaires, n'ont pas été critiques là. Au contraire... Dans les opérations récentes, la participation britannique a été symbolique : 2 militaires pour EUFOR RCA 2014 (1) et 0 pour EUMAM RCA ! Même l'opération EUFOR Althea en Bosnie-Herzégovine - qui est soutenue par le Royaume-Uni - ne suscite qu'une faible participation...

3e leurre : une armée britannique en pleine forme

Dans la réalité, les Européens se passent très bien de l'appui britannique opérationnel depuis 15 ans. Et cela ne risque pas de changer. L'armée britannique est aux prises avec une des plus importantes crises de son histoire. Son budget est en diminution constante. Au point de pouvoir passer sous la barre des 2% du PiB, recommandée par l'OTAN et encore rappelée au sommet du Pays de Galles en septembre 2014. Elle "digère" l'engagement intensif de plus de 10 ans en Irak et en Afghanistan. Et si elle restera une des grandes armées européennes, Londres réserve, et réservera, ses engagements militaires à ceux pris aux côtés des Américains, que ce soit en bilatéral ou au sein de l'Alliance atlantique.

4e leurre : dans 20 ans le Royaume-Uni pourra se passer d'une défense européenne

J'ai posé la question à Charles Tannock de savoir s'il était sûr que, dans un futur finalement proche, 20 ans (celui d'une armée européenne), le Royaume-Uni n'aurait pas besoin de la solidarité européenne. Assez étonnamment, l'eurodéputé, pourtant d'ordinaire sûr de lui, et aux expressions tranchées, est devenu tout d'un coup très flou, répondant par une pirouette que son mandat n'était valable que pour 5 ans ! Même sous le coup des interpellations de mon confrère YA Noghès, il n'a pas voulu aller plus loin. Comme si, pour lui, l'avenir britannique lui-même dans l'Europe s'arrêtait en 2019... Ce qui pose, en fait, la vraie question : peut-on compter sur les Britanniques pour bâtir l'avenir européen ? Poser la question est déjà y répondre. C'est pourquoi, le continent européen ne doit rien attendre du Royaume-Uni, ni de façon positive, ni de façon négative. Il doit avancer en matière de défense européenne, en contournant d'emblée ce qui ne pourra être qu'une opposition, à un projet (européen) qui ne concerne plus le Royaume-Uni...

5e leurre : la défense restera pour toujours une chose nationale

C'est une conception, très en vogue en France, dans quelques milieux, qui repose sur une certitude : la défense française, sa pugnacité, sa témérité, n'ont pas d'égale en Europe. Et elle n'est pas partageable. C'est vrai. Car le modèle français - avec un président qui décide tout seul en accord avec un Etat-Major - est effectivement une exception en Europe. Aucun autre pays en Europe n'a ce modèle... impérial (mis à part la Russie ;-). Croire cependant que le budget militaire français pourra être préservé des années durant, alors que le reste du budget public sera à la diète, et qu'il n'y aura jamais de défense européenne, est cependant un leurre. Le statu quo est aussi irréaliste que celui d'une armée européenne, en bonne et due forme. La France aurait donc, tout intérêt, à contribuer au débat et réfléchir à ce que pourrait une structure européenne, un corps européen, un état-major européen, qui permette à l'Europe, d'ici 20 ans, de se doter d'une envergure de projection internationale tout en gardant les structures nationales (dans les pays qui le souhaitent).

(Nicolas Gros-Verheyde)


Vers un opt-out britannique  ?

Cet échange m'a amené à compléter ma réflexion sur les raisons de la "sortie" de Jean-Claude Juncker sur l'armée européenne. On le sait, cette interview donnée au quotidien Die Welt, le dernier week-end, est très explicite et n'est pas une simple petite phrase. Elle s'explique, certainement, par ses convictions (réelles), son désir de provoquer le débat (sans doute) et sa volonté de contribuer à un débat germano-allemand (également), comme on l'a déjà expliqué. Mais il ne faut pas oublier aussi le terrain, très politique, de l'Europe que le président de la Commission européenne connait comme sa poche. On sait chacun que l'armée européenne est le grand épouvantail, le phantasme derrière lequel s'abrite les Britanniques dès qu'on parle d'une quelconque avancée en matière de défense européenne, même au point de vue technique. David Cameron l'avait prouvé lors du dernier sommet consacré à la défense européenne en décembre 2013. En mettant sur la place publique ce qui n'est qu'une vague idée comme un projet européen, JC Juncker a, quelque sorte, réduit en cendres cet argument bien commode. Il déblaie, en quelque sorte, le terrain pour un futur débat sur la défense au sommet de juin (après les élections britanniques de mai) en donnant un "os à ronger" aux Britanniques.

Lire aussi :

(1) Placer un ou deux militaires dans une opération multinationale remplit, outre la fonction demandée au sein de la mission, deux autres objectifs, proprement nationaux : symboliser la participation de l'Etat concerné (qui peut ainsi inclure dans ses statistiques à la fin de l'année X participations à des opérations nationale) et assurer la prise d'informations et le retour d'expériences en direct (par des rapports envoyés régulièrement à la capitale).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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