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L’impunité judiciaire, une tradition en Ukraine…

(BRUXELLES2) « La culture de l’impunité, l’absence d’expertise et parfois l’obstruction délibérée privent de justice des centaines de victimes de violences commises par les forces de sécurité durant les manifestations de l’EuroMaïdan en Ukraine » a dénoncé aujourd'hui Amnesty International dans une conférence de presse tenue à Kiev. L'ONG, qui publie une nouvelle synthèse (Ukraine: A Year After Maydan, Justice Delayed, Justice Denied), pour l'anniversaire des manifestations de Maidan pointe du doigt « l’incapacité des autorités à enquêter sur le recours illégal à la force » durant les manifestations de l’EuroMaïdan à Kiev et à rendre justice aux victimes.

Morts, blessés et cas de tortures

Le bilan officiel (ministère de la Santé) recense 105 morts lors des manifestations de janvier-février, dont au moins 13 policiers. Mais il y a aussi de nombreux blessés, de nombreux cas de recours illégal à la force et des actes de torture. Amnesty a soumis « à plusieurs reprises » aux autorités ukrainiennes les détails concernant des cas de recours arbitraire et excessif à la force, sans constater jusqu’à présent de progrès tangibles dans les affaires qu’elle suit.

La justice en défaillance

« La justice pour les victimes – homicides, blessures, actes de torture – ne progresse guère, ce qui expose une nouvelle fois les graves défaillances du système pénal ukrainien », souligne John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale. Cela « risque d’enraciner une culture durable de l’impunité à l’égard des policiers. »

Quelques lampistes paient

À ce jour, seuls deux policiers de rang subalterne ont été déclarés coupables après avoir été filmés en train de forcer un homme à se tenir debout, nu, en public, par une température inférieure à zéro. Ils ont été condamnés à des peines de trois et deux ans de prison avec sursis pour « abus d'autorité ou de pouvoir officiel ». Mais c'est tout. « Plusieurs autres policiers impliqués dans des mauvais traitements n’ont pas été inculpés » remarque l'organisation. « On ignore toujours l’identité de l'assassin » du premier manifestant à perdre la vie, Sergueï Nigoyan, 21 ans, touché à quatre reprises, notamment à la tête et à la nuque, le 22 janvier 2014.

Des déclarations, peu d'actes

Après la chute du président Viktor Ianoukovitch en février 2014, les nouvelles autorités ukrainiennes ont « promis à maintes reprises de mener des enquêtes efficaces sur toutes les atteintes aux droits humains » et de traduire en justice les responsables présumés. Mais « les déclarations faisant état d’une progression sont plus nombreuses que les véritables indices de cette progression ». Pour la plupart des personnes blessées et ayant subi des mauvais traitements, les « enquêtes ont à peine démarré », souligne John Dalhuisen.

Des enquêtes en déshérance

La grande majorité des victimes avec lesquelles s’est entretenue Amnesty International ont déclaré qu’elles n’avaient pas été interrogées en tant que victimes alors que beaucoup avaient, au départ, été interrogées en tant que responsables présumés de crimes. Aucune n’a été informée de la progression de l’enquête plusieurs mois après avoir déposé plainte.

Destruction des preuves et impuissance

Amnesty International, qui s'est entretenu avec plusieurs procureurs, les principaux obstacles sont « la destruction de preuves par des membres des forces de sécurité tout de suite après les manifestations et leur réticence à coopérer ». Viennent ensuite « le manque de ressources et les compétences redondantes des différentes autorités concernées ».

La justice, le versant pourri de l'Ukraine ?

Un point de vue que ne contesteront pas sur le fond les différents experts européens de l'Ukraine que B2 a pu rencontré à Kiev ou à Bruxelles. Tous soulignent combien le chantier de la "justice" est un des plus gros chantiers auxquels ils ont à faire face. « Le coeur du problème repose sur le fait que les juges sont soumis à des intérêts contradictoires. Les jugements ne sont pas impartiaux, ils ne représentent pas la justice mais des intérêts divers » avait ainsi remarqué un de ces experts.

Les poursuites pour détournement de fonds

Même les poursuites contre le clan Ianoukovitch pour détournement de fonds n'ont pas vraiment donné d'effet. Certains acquittements ou non-lieux ont été prononcés. Au point que l'Union européenne qui avait édicté un gel des avoirs sur ces personnes pourrait être obligée de lever les sanctions, faute de preuves.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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