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Terrorisme. Une présidence lettone de l’UE hésitante et s’est mis hors jeu

(BRUXELLES2) Face à l'attentat à Paris contre Charlie Hebdo, la Lettonie qui entame sa première présidence de l'Union européenne, aujourd'hui à Riga, a été un peu timide, à mon sens. Malgré une évidente bonne volonté, elle a tergiversé, commis certaines maladresses, et finalement n'a pas su trouvé le ton juste et le sens de l'initiative propre face aux évènements qui se déroulaient à Paris.

Premier temps : l'hésitation. Nous sommes mercredi (7 janvier), les évènements tragiques de Paris sont déjà connus depuis plusieurs heures. C'est l'heure d'une première rencontre informelle avec la presse internationale (dont B2) venue couvrir l'inauguration de la présidence lettone. Le ministre des Affaires étrangères, Edgar Rinkevics, préfère entamer son propos devant les journalistes par un long déroulé des priorités de la présidence lettone : croissance et emploi (la Zone Euro), l'Europe numérique, et le partenariat oriental. Pas un mot sur le terrorisme, pas un mot sur ce qui s'est passé à Paris. Il faudra une question d'un journaliste. Alors que chacun sait, pressent déjà, que cet évènement va bouleverser la donne au niveau européen. Erreur d'appréciation.

Ce n'est pas faute pour le ministre d'être averti. Par hasard, je prends le même ascenseur que lui. Il a en main la réaction publiée par son ministère. En quelques secondes, je lui explique qu'il ne s'agit pas juste de 2-3 personnes d'un journal qui sont atteints mais toute la presse dans son entier. Il parait incrédule... Je ne l'ai pas convaincu.

Deuxième temps : l'erreur de jugement. Il provient, cette fois, de la Première ministre, Laimdota Straujuma. Et est autrement plus grave. Dans un échange avec les journalistes, la chef de gouvernement mélange lutte contre le terrorisme, nouvelle stratégie sur l'immigration (légale ou illégale), parle de "clash des religions" « qu'heureusement en Lettonie nous n'avons pas ». Sous entendu, ce qui arrive en France est un peu la faute de l'immigration. Ce qui révèle à la fois une certaine méconnaissance de la réalité européenne mais aussi des dangers de ce (nouveau) terrorisme, issu de l'intérieur de la société. Les journalistes présents, compatissants, ne relèveront que peu. Un faux pas politique. (*)

Troisième temps : l'indécision. C'est sans doute l'élément plus grave. Car il relève de la compétence propre d'une présidence de l'Union européenne. Alors que ses dirigeants ont été interpellés à plusieurs reprises pour savoir quelle réaction prendre au niveau européen, si une réunion ministérielle extraordinaire de l'Intérieur ne s'impose pas, s'il ne faut pas bousculer le calendrier, rien ne sera dit sauf la reprise de lieux communs. « Les ministres de l'Intérieur en discuteront lors de leur prochaine réunion informelle, à Riga, fin janvier », sera la simple ligne de conduite. C'est-à-dire bien tard et surtout peu risqué puisque la réunion est prévue depuis longtemps sur les agendas. Finalement, c'est le ministre français, B. Cazeneuve, qui décidera avec les autres autorités européennes (Commission européenne, coordinateur anti-terroriste) de convoquer une réunion à Paris. Et le président Hollande d'inviter les principaux chefs d'Etat et de gouvernement à participer.

Pourquoi ce hors jeu délibéré ?

Il ne faudrait pas y déceler une intention négative. La présidence de l'UE est une première pour la Lettonie qui n'a pas d'expérience en la matière. Son gouvernement letton de coalition qui réunit libéraux, chrétiens-démocrates, verts et nationalistes, exerce, pour la première fois la présidence de l'UE, et redoute par dessus tout écart, toute erreur qui, au plan national, pourrait lui être funeste. Il a ainsi peur de bousculer le calendrier, préparé durant de longs mois, conçu avec beaucoup d'attention, et qui révèle un équilibre, très délicat, entre les priorités nationales et européennes.

Ce n'est pas une marque de désintérêt non plus pour les questions extérieures. Les Lettons sont très intéressés ainsi par une ouverture sur l'Afrique. Ils ont inscrit à leur programme les questions de développement (en Afrique). Le ministre du Togo était d'ailleurs l'invité d'honneur des Affaires étrangères, le matin même de l'inauguration. Et en Centrafrique, quand les Européens ont décidé d'intervenir dans une opération initiée par la France (EUFOR RCA), les Lettons ont répondu très vite présents, avec un contingent non négligeable (40 hommes). « Le plus fort engagement en opération extérieure » de l'année nous a indiqué le ministre de la Défense, Raimonds Vejonis. « Par solidarité ».

Une obsession : la Russie

Mais la Lettonie a une priorité importante - son voisinage Est - et une menace — la Russie — qui n'est pas juste de l'ordre théorique. C'est une réalité intérieure et extérieure. Le sujet l'obsède (à juste titre sans doute) et parasite toute réflexion alternative. Le positionnement agressif de Moscou en Géorgie d'abord (en 2008), en Ukraine aujourd'hui, ses outils de "propagande", puissants, qui peuvent trouver des échos et des relais à l'intérieur du pays — la Lettonie compte une forte minorité russophone — n'est pas une fiction. Ce qui fait le plus peur est l'irrationalité apparente du voisin, ancien "occupant" du pays. « Nous avons besoin d'une Russie "prévisible" » confie le ministre des Affaires étrangères, Edgars Rinkevics, non sans raison. « Les terroristes ce sont les Russes » me confie en substance un autre membre du gouvernement.

Un blocage psychologique

La présidence lettone de l'UE a, ainsi, très peur que l'attention politique européenne se détourne de l'Est vers d'autres horizons, vers le sud notamment. « Il faut un équilibre ». Riga craint aussi d'être exclu de la négociation, en cours avec Moscou, menée essentiellement par Berlin et Paris, et de voir la détermination européenne s'éroder au fil du temps et les sanctions européennes prononcées contre la Russie remises en cause. D'où ce blocage qui est davantage d'ordre psychologique que politique.

(Nicolas Gros-Verheyde, de retour de Riga)

(*) Le lendemain (jeudi 8 janvier), nouvelle maladresse devant la presse. Voulant rendre hommage aux victimes de la cérémonie, lors de sa conférence de presse commune avec JC Juncker, L. Straujuma proclame une minute de silence... mais y met fin, au bout de quelques secondes à peine. Elle surprend alors une bonne partie de la salle qui vient, à peine, de se lever en hommage, pour aussitôt revenir aux sujets "importants" : l'inauguration de la présidence lettone. Une faute de goût... La conférence de presse sera d'ailleurs expédiée au pas de charge, avec juste 3 questions. La Première ministre se rattrapera, le soir lors d'une cérémonie officielle, par une minute plus solennelle, et un message plus adapté (lire ici).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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