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Carl et Radek. Deux voix de la diplomatie européenne prennent le large

Bildt et Sikorski à Varsovie en 2008 (crédit : MSZ - Min. Aff. étr polonais)
Bildt et Sikorski à Varsovie en 2008 (crédit : MSZ - Min. Aff. étr polonais)

(BRUXELLES2) Avec le départ de Carl Bildt et de Radoslaw Sikorski, le Suédois pour cause de défaite électorale de son parti, le Polonais pour cause de remaniement gouvernemental interne (suite au départ de Tusk vers Bruxelles), ce sont deux ministres "poids lourds" que perd l'Union européenne. Deux ministres au franc parler, aux positions bien "tranchées" en particulier sur les relations avec la Russie, mais aussi sur le proche voisinage, les Balkans, le futur de l'Europe. Deux personnalités avec qui on pouvait ne pas être d'accord, être même opposées, mais qui donnaient un sens à l'idée européenne.

Des positions tranchées notamment sur la Russie

Avec eux, on ne tergiversait pas vraiment. Et le monde était simple. La Russie était l'ennemi qu'il fallait sanctionner. Européens et Américains devraient présenter un front uni. L'Ukraine était un allié qu'il fallait arracher à un oppresseur russe (lire aussi : Bye bye Ianoukovitch !). Le "partenariat oriental" est un peu leur bébé. Ils n'ont pas ménagé leur peine, multipliant les initiatives communes, lettres, déplacements en Géorgie, en Moldavie ou en Ukraine, les deux se retrouvaient un peu partout à Bruxelles ou ailleurs. La Suède avait pris une position très en avant-garde sur la démocratie en Bélarus ; le parachutage d'ours porteurs de messages des droits de l'Homme avait semé plus que la brouille entre Stockholm et Minsk  (lire : Entre Belarus et Suédois, le torchon brûle). Le camp des "durs" face à la Russie perd ainsi deux de ses principaux avocats (sans oublier le départ du Britannique William Hague).

Des nuances cependant

Pour autant, l'un comme l'autre n'étaient pas avares non plus de nuances ou de complexités. On se souvient notamment de la forte critique adressée par Radek Sikorski - conversation privée volée dans un restaurant de Varsovie - à l'encontre du personnel politique polonais qu'il accusait d'être à la botte des Américains (lire sur le Club : La politique américaine de la Pologne : une connerie ! (Sikorski) ou du Royaume-Uni (un pays qu'il connait bien pour en avoir eu la nationalité), jugeant Londres trop peu encline à jouer le jeu européen. Son plus grand succès a sans conteste été de retisser les liens avec les partenaires européens, un peu abîmés après l'ère Kaszinsky, et même avec la Russie (c'était avant l'épisode ukrainien). La Pologne compte aujourd'hui sur la scène européenne, peut-être un peu plus que son simple poids économique et démocratique. Et c'est un peu à Sikorski (comme à Donald Tusk) qu'elle le doit. Carl Bildt avait aussi pris des positions tranchées sur certaines questions de droits de l'Homme, jugeant notamment les Européens trop mous sur le coup d'Etat en Egypte (lire : Egypte. Des Européens prudents. Bildt veut aller plus loin) et son propre avis sur la situation dans les Balkans hérité de son expérience d'envoyé spécial de l'UE puis de l'ONU dans la région. Il au aussi défendu une certaine idée de l'Europe de la défense, même si la Suède s'est engagée plutôt timidement ces derniers temps sur les missions européennes (Mali et RCA). Bref avec eux on ne s'ennuyait pas...

Porter la voix de l'Europe dans le monde

Les deux avaient surtout comme ambition de porter, un peu plus loin, la "voix" de l'Europe dans le monde. Ils avaient ainsi lancé une initiative avec leurs collègues espagnol et italien pour avoir une analyse commune de la politique mondiale européenne (lire : Quatre pays pour une Europe plus forte dans le monde).

Une certaine ambition européenne

Ces deux personnalités ont naturellement ambitionné, de prendre des responsabilités plus importantes au plan européen ou de l'OTAN. Leur nom a été cité, l'un pour prendre le poste de secrétaire général de l'OTAN (à la place de Rasmussen), les deux pour prendre le poste de Haut représentant, à des moments différents (Bildt surtout il y a 5 ans, Sirkoski plus récemment). Mais ils n'ont pas obtenu ces postes. Quelle soit leur opinion qu'on pouvait, partager ou non, leur départ constitue une certaine perte pour l'Europe.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) Sikorski devrait prendre le poste de leader de la majorité de la Plate forme civique à la Diète - le Parlement national. Quant à Carl Bildt, je gage qu'on le reverra à un moment donné sur la scène publique.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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