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Une fenêtre de tir pour la Russie en Ukraine ?

(BRUXELLES2) A écouter les différents prises de position publiques on peut avoir l'impression d'une grande détermination vis-à-vis de la Russie. La "désescalade" prônée par les Européens semble céder davantage le pas à "l'escalade". La guerre des mots, de la propagande obscurcit aujourd'hui la réalité politique. Et il est difficile d'y voir clair dans cette gesticulation permanente. Mais n'est-ce pas plutôt le règne de la RealPolitik qui fait son grand retour. Reprenons le déroulé des faits.

Déroulé des faits

1er temps : la "libération de Kiev"

Vers le 20 février, l'atmosphère se tend à Kiev, les Européens sont "préoccupés". Après des semaines de manifestations parfois heurtées, ce sont des tirs délibérés visant à tuer qui surviennent. Un accord se fait finalement. Le président en titre Ianoukovitch s'enfuit, facilitant ainsi la prise de pouvoir par l'opposition dans un tour de force parlementaire, pacifique pour une fois. C'est la jubilation. Fin de l'épisode de Kiev.

2e temps : Bruxelles "observe"

Quand le 26 février la Russie commence à faire de "grosses manoeuvres" dans ses différents districts proches de l'Ukraine, l'OTAN botte en touches. On se se dit « bien entendu prévenu des manoeuvres ». A l'Union européenne, on se demande bien qui sont ces bonhommes verts déployés dans plusieurs points de Crimée qui gardent l'aéroport et certains bâtiments publics. On se garde de trop accuser les Russes.

3e temps : Moscou accélère sur la Crimée

Moscou décide d'accélérer l'absorption de la Crimée, avec un référendum éclair, les bases militaires sont prises les unes après les autres, et les Ukrainiens sommés de rendre les armes et leurs navires. Les USA et l'Europe élaborent quelques sanctions, à la hâte, qui sont davantage un signal d'ordre politique, symbolique, que réel (*). Fin de l'épisode de Crimée.

4e temps : "l'avertissement sanctions

L'Union européenne passe à la seconde phase des sanctions : en mettant quelques noms sur liste noire, dont des proches de Poutine. Mais c'est tout. Les sanctions économiques sont remisées à plus tard. On "étudie". Parallèlement, l'OTAN fronce les sourcils, et suspend la coopération avec la Russie. Pour être sûr, d'ailleurs on l'annonce deux fois : une fois au conseil des ministres de la Défense, une seconde lors du Conseil des Affaires étrangères. La mesure reste symbolique; cette coopération n'était déjà pas très dynamique. Ces mesures sont très symboliques. Elles visent avant tout à marquer l'attention en matière politique. On espère ramener à la raison la Russie avec l'argument suivant : ca va faire mal à la Russie et à ses oligarques. L'argument est un peu court au niveau stratégique. Qu'importe... Nos stratèges en sont convaincus : la Russie va céder, le Kremlin est isolé sur la scène internationale, son économie est en déroute, son armée est mal organisée, etc. On met en avant la fuite en avant des capitaux, de la récession économique en Russie, etc. La réalité est légèrement différente dans les faits.

5e temps : "la dramatisation"

On revoie à la hâte les plans de l'Est. Les Etats-Unis envoient une dizaine d'avions en plus dans les pays baltes. On crie très fort dans une atmosphère très "les Rouges sont de retour". Il y a 40.000, 60.000, 100.000 hommes massés à l'Est, prêts à intervenir, avec hôpitaux de campagne et génie, etc. Pour être sûr, l'argument sera servi à plusieurs reprises, au point qu'il s'émousse au fur à et mesure de son utilisation. On persiste à regarder au loin alors que le danger est à l'intérieur.

6e temps : "l'alerte" à l'Est de l'Ukraine

Les Européens ont eu à peine de le temps de dire ouf que la Russie est déjà passée à une seconde phase. L'Est de l'Ukraine. Les Européens commencent à s'apercevoir que Poutine et la Russie ne renonceront pas à leur désir d'Ukraine. Ils changent de position. Ok pour associer la Russie au destin de l'Ukraine.

 Quelle leçon en tirer : Poutine a le champ libre ?

A chaque fois, l'Europe comme l'OTAN ont été pris de court. Sur ce point les Etats-Unis ne sont pas en meilleure posture que l'Union européenne. Le président américain, Barack Obama a beau tempêté, menacé de sanctions politiques et économiques la Russie si elle s'avise de déstabiliser l'Ukraine. Mais il se garde bien d'avancer une quelconque menace militaire. La réalité est bien connue : l'OTAN défendra les frontières des pays de l'Alliance, point. L'Ukraine ne fait pas partie de l'Alliance. Elle ne sera pas défendue par l'OTAN. Conclusion : Poutine a le champ libre pour agir du moment qu'il ne le fait pas trop fort. Les manoeuvres continuelles à l'est ne sont qu'une diversion de plus, une manière de monter la pression, d'attirer l'oeil. La vraie déstabilisation est plus sournoise, toute proche. Il s'agit de récupérer district après district l'est de l'Ukraine puis le Sud ensuite via Odessa, et de faire la jonction avec la Transnistrie. Tout en coupant l'Ukraine de toute sa côte.

(*) On verra notamment si elles résisteront au temps et seront jugées légitimes et légales par la Cour de justice européenne

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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