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La mouche (transatlantique) de Pieter

F35 JsfEnvol@Lockheed(BRUXELLES2) Le ministre belge de la Défense, Pieter De Crem, est un homme pressé et consciencieux. Discrètement, mais intelligemment, il laboure les travées de l'Alliance pour faire son chemin comme un recours possible à la tête de l'Alliance, l'année prochaine. Certes pour remplacer un Premier ministre, le Danois A.F. Rasmussen, un (simple) ministre de la Défense, cela peut faire un peu cheap. Mais comme l'Alliance est en retrait(e), un peu partout, mieux vaut un bon profil de ministre qu'une aventure. C'est ainsi que de Crem se taille le portrait du parfait challenger du genre : si vous n'arrivez pas à vous mettre d'accord sur un numéro 1, je suis là.

Multi-linguiste

Le multilinguiste qu'il est (allemand, anglais, espagnol, portugais...) sait user de son charme. Relativement discret dans les médias jusqu'à présent, son nouveau rôle de vice-premier ministre, arrivé un peu par surprise, lui permet d'avoir une certaine stature qu'il n'avait pas encore. La discrétion n'a cependant qu'un temps. Dès qu'il s'agit de défendre un projet américain, Pieter sait y faire. Avec un enthousiasme débordant, il fait ainsi campagne pour le JSF / F-35 américain. Il est bien loin le temps de Gand où le ministre de la Défense faisait les louanges de l'Europe de la Défense. Le sentiment transatlantique bien connu du ministre a repris le dessus.

Un axe La Haye / Bruxelles / Washington

Le rapprochement avec les Pays-Bas, dans plusieurs domaines, notamment aérien lui donne une occasion en or pour glisser qu'il y a une certaine logique à avoir le même type d'appareil dans le sud et le nord de ce qui formait autrefois un seul territoire. Et La Haye qui a décidé de réduire la voilure de la commande en ne prenant que 35 appareils sur les 80 pressentis ne serait pas mécontent de fournir une solution de rechange outre-Atlantique. Cette position louable sert-elle les intérêts de son pays ou de sa campagne ? On peut en douter. Sert-elle la cause européenne ? Assurément non...

Légère entorse aux règles européennes

D'après les informations obtenues par B2, le ministre De Crem privilégierait en effet les relations d'Etat à Etat (lire article sur le Club). Un argumentaire qui cache à peine la volonté de contourner l'obligation de faire un appel d'offres selon la nouvelle procédure européenne de marches publics (les marchés d'Etat à Etat constituent en effet une exemption). Il existe actuellement trois modèles d'avions de chasse européen : l'Eurofighter (ou Typhoon), le Gripen suédois et le Rafale. Il parait étonnant qu'aucun des trois appareils ne répondre pas à la fois aux nécessités militaires belges (surveillance aérienne et engagement dans des opérations multinationales).

Un coût qui pèse ...

Une compétition pourrait cependant être assez utile aux finances publiques belges (qui ne sont pas déjà très en point). Le JSF/F-35 n'est pas vraiment un modèle de vertu. En la matière, on peut même dire que l'avion du futur américain, est un champion de l'inflation. Une envolée telle que si on a le comparait à un rôle lyrique, on serait passer un baryton au rôle de soprano. Au point que même les Canadiens (dont on ne peut critiquer le penchant americanophile) sont pris d'un doute et demandent à revoir la copie. On est actuellement à un prix budgété de plus de 110 millions d'euros l'appareil, et plus d'un demi-milliard d'euros par appareil sur sa durée de vie si on inclut le soutien et les coûts opérationnels, selon une étude KMPG. De fait, on est largement au-dessus des coûts annoncés par le ministre de la Défense à la chambre des députés il y a quelques jours.

L'Europe passée par tribord

A quelques semaines d'un sommet européen consacré à la défense, la Belgique ne donne pas ainsi le meilleur exemple de la solidarité européenne. Certes rien n'oblige un pays à prendre un appareil européen plutôt qu'un appareil américain. Mais ce choix apparait irrationnel à la fois au regard de la logique économique et de la logique politique. L'appareil US est, pour l'instant, le plus cher du marché. Sa fiabilité n'est pas encore parfaitement assurée ainsi que le démontre un rapport du Pentagone. Et la Belgique n'a négocié aucune retombée pour son industrie nationale.

Un plan européen serait opportun

Consolider l'industrie européenne oblige à ne pas faire que des discours mais faire des choix. Des choix qui ne dépendent pas de préoccupations de court terme ou personnelles mais d'un travail de longue haleine, de consolidation. Et c'est là le problème européen. Aujourd'hui, plusieurs pays sont placés devant le même choix : remplacer leur aviation de chasse. Un plan coordonné européen d'achat en commun serait plus opportun. Si la Belgique, connu pour ses convictions européennes, lâche elle-même le train européen, qui y croira demain...

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “La mouche (transatlantique) de Pieter

  • Jürgen Margraff

    Quelqu’un pourra t’il me dire pourquoi il nous faut un avion furtif? Les Talibans ou Al Quaïda n’ont pas de radar pour voir arriver les chasseurs à ma connaissance. Le Gripen suédois est facilement moitiè moins cher et a aussi la possibilité de “supercruise”, il peut donc atteindre plus que la vitesse du son sans mettre la post combustion. Il est partiellement furtif, les Helvétiques qui sont connus pour être prés de leur sous, l’achètent probablement en connaissance de cause. Le Rafale ou le Typhoon c’est une classe supérieure, ils ont tous deux une double motorisation, et je ne sais pas depuis quand la Force Aérienne Belge n’a plus eu de chasseurs bimoteurs, ça doit faire des décennies, le Gloster Meteor devrait avoir été le dernier. Mais il faut rappeler à Sieur Zwarte Piet qu’il y a des règles en vigueur concernant les marchés publics et que même un ministre est tenu s’y conformer…

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